Un ouvrage de référence sur les aspects théoriques et pratiques du véganisme

Ayant fait son entrée dans les principaux dictionnaires de la langue française depuis trois ans le véganisme demeure un mouvement social et politique aussi méconnu que spontanément décrié. Rassemblant près de 1% des Français, le mouvement visant à ne plus recourir à des produits issus des animaux ou leur exploitation ne veut pas changer seulement le contenu des assiettes, il exprime une vision de la société, de la planète et des rapports entre les êtres doués de sensibilité.

 

Les Végans sont de plus en plus présents dans l’espace public ou en donnent l’impression même s’ils ne représentent qu’un pour cent des Français. Les uns s’en prennent frontalement, médiatiquement à l’industrie de la viande comme lors du sommet de l’élevage de Clermont-Ferrand qui s’est ouvert le 4 octobre, poussant les industriels du secteur à leur répondre par voie de presse. D’autres veulent surtout sensibiliser urbi et orbi les consommateurs qui ont recours à des produits d’origine animale. Plus nombreux sont encore ceux qui souhaitent partager le parcours d’un mode de vie qui les a conduits bien au-delà d’un bouleversement de leurs comportements alimentaires. Le véganisme se présente en effet comme « un engagement à ne pas œuvrer, dans la mesure du possible, à l’assujetissement, aux mauvais traitements et à la mise à mort d’être sensibles »   .

Loin d’être une mouvance monolithique le véganisme est traversé de courants aux querelles doctrinales complexes et aux attitudes quotidiennes les plus diverses. Pour appréhender cette part de notre société et celles plus nombreuses chez certains de nos voisins (ex. Allemagne, Israël, Royaume-Uni, Suède), on peut s’en remettre à une littérature de plus en plus volumineuse, détaillant tant les pratiques véganes que leurs lieux d’expression. Ainsi cette année, on a vu apparaître dans les rayonnages tour à tour un Guide du Vegan en France dans la collection du Petit futé (octobre 2017) après qu’a été lancé un mook biannuel consacré uniquement à ce mode de vie et de consommation (Véganes)   . A ces publications sont venus s’ajouter des témoignages sur le cheminement de ce qu’il faut bien qualifier des conversions individuelles   ou des réflexions plus générales sur le monde carnivore   .

Ces ouvrages plus ou moins savants sont une infime partie de ceux consacrés au véganisme. Le plus grand nombre de titres est en effet consacré aux pratiques culinaires pour tous les temps de la vie quotidienne et s’adressent à tous les publics   . Cette pléthore de manuscrits donne une vision tronquée du véganisme et de ses aspirations. Elle entretient en outre une erreur de compréhension du grand public, en réduisant le véganisme à une pratique alimentaire allégée. C’est si vrai que dans certaines librairies les ouvrages sur le véganisme sont rangés au rayon « diététique ».

Dans un tel contexte, il n’est guère aisé pour les simples curieux de s’informer et de chercher à appréhender le véganisme en toute honnêteté et dans toutes ses dimensions : économiques, gastronomiques, historiques, philosophiques et/ou politiques. En outre, le mouvement suscite une telle appréhension, voire une hostilité, qu’il est bien difficile de trouver des narratifs qui ne soient pas ultra-partisans, tant du côté de ses adeptes que de ceux qui leur sont hostiles. Les politiques eux-mêmes n’échappent pas à cette tendance ultra-critique. Les expressions tranchées sur le sujet ne sont pas rares. L’ancien ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll (2012 – 2017) vient d’exprimer un tel point de vue abrasif dans son dernier essai. Il y a ainsi souligné qu’il « a toujours existé des vegan, des végétariens. Ce qui est troublant, c’est le rôle prescriptif, culpabilisant de ces groupes qui voient dans leurs choix une forme d’aboutissement pour l’humanité. L’homme ne tue plus et ne mange plus de viande, c’est sa noblesse, c’est même la mesure de son niveau de civilisation. »  

 

On ne saurait contester que le véganisme est un combat politique pour ses opposants comme pour ses partisans, dès lors comment en débattre dans une société démocratique apaisée ? Bien trop rares sont les acteurs sociaux ayant une vision d’ensemble de la mouvance et de leurs intentions. Il faut donc se résoudre à s’en remettre à des auteurs « militants ». A ce titre, Ophélie Véron ne cache pas son engagement végan, elle le décline d’ailleurs au travers de plusieurs instruments de communication : son blog Antigone XXI depuis 2012((https://antigone21.com)), ses publications scientifiques, ses ouvrages de vulgarisation ou encore des guides pratiques((ex. Bébé veggie, La Plage, 2016, 108 p)) mais elle le fait sans passions excessives, avec doigté, pédagogie et un grand souci informatif pour le plus grand nombre. Elle prend un grand soin à expliquer des conceptions de vie voire les logiques communautaristes qui échappent à beaucoup. Il est vrai que nombre de nos concitoyens ne savent pas, par exemple, que les végétarien-nes   peuvent être également appelés des ovo-lacto-végétarien-nes.

O. Véron prend véritablement par la main son lecteur. Elle expose l’histoire du véganisme, son inscription dans le temps long en revenant sur les expériences jaïn, sikh, pythagoriciennes ou de l’Empire romain, au travers des pratiques des religions du Livre, de l’islam, des débats des Lumières et des expériences entreprises depuis le milieu du XIXème siècle. En normalienne, chercheuse en sciences sociales et spécialiste des mouvements sociaux, elle revient en détail sur les concepts clés de l’éthique animale qui sous-tendent les débats qui nourrissent les communautés véganes (ex. carnisme, sentience, spécisme, véganarchisme, welfarisme vs. abolitionnisme) et les interactions avec d’autres combats politiques tels ceux conduits au nom de l’écoféminisme ou de la dénonciation des escalavagismes. Ces analyses étayées par de nombreuses références de lecture sont l’occasion de mettre en valeur l’épaisseur idéologique du mouvement, son universalité mais également ses interrogations pratiques voire ses propositions programmatiques. C’est ainsi que O. Véron s’est penchée sur le véganisme comme solution pour l’environnement et le développement de notre planète. A ce titre, elle s’est intéressée tout particulièrement aux conséquences écologiques de l’élevage. Ses exposés sont méthodiquement empreints de pragmatisme. C’est ainsi qu’elle s’est demandée si les pratiques véganes sont compatibles avec les exigences du locavorisme afin de consommer des produits élaborés au plus de chez soi.

Les questions sur soi-même, son environnement semblent consubstantiels à la voie végane, qu’on partage ou non cet objectif de vie. C’est si vrai que tout livre végan digne de ce nom ne saurait se concevoir sans favoriser des questionnements explicites sur la consistance de son mode de vie Le travail d’O. Véron n’échappe pas à cette forme d’écriture: le livre répond ainsi à une liste de douze objections des omnivores. Certes, cette liste n’a pas d’autres fondements que la subjectivité de l’auteure, même si les questions abordées ont certainement été exprimées à un moment ou un autre par des amis, la famille ou l’entourage professionnel. C’est pourquoi, autre particularité des manuscrits sur le véganisme, ceux-ci comprennent généralement une dimension très personnelle, voire autobiographique. Ici comme ailleurs, il s’agit de rassurer et convaincre les lecteurs mais plus encore cela traduit l’avidité de connaissances des personnes en recherche. Apporter des réponses très concrètes est donc un impératif. O. Véron décrit en conséquence les conditions complexes d’une transition vers le véganisme réussie à ses yeux. Des conseils très concrets sont donnés pour savoir quels sont les produits essentiels d’une cuisine végétalienne. C’est l’occasion pour le lecteur plus ou moins profane de (re)découvrir des aliments peu connus (ex. agar-agar, gomasio, seitan, tempeh,…) mais surtout de savoir comment remplacer le beurre, le fromage, le lait, le miel, les œufs, le poisson, la viande ou encore les yaourts, tout en restant dans un budget limité. Les informations distillées contribuent à une éducation citoyenne. Elles offrent l’opportunité d’apprendre comment lire les étiquettes de nos achats et faire le distinguo entre les labels (ex. végane, cruelty-free, bio) en visualisant leurs logos, les autorités d’émission ou encore les garanties données aux consommateurs.

Ce parcours pédagogique dépeint les raisons (ex. alimentation idéale, santé,…) qui conduisent certains d’entre nous à faire le choix du véganisme ou à en revenir. Il n’occulte en rien les difficultés de la démarche jusque dans le détail des compléments alimentaires inéluctables notamment pour éviter les carences en vitamine B12, indispensable à la fabrication des cellules et de globules rouges mais que l’on ne trouve pas dans les sources végétales de l’alimentation. La masse d’informations rassemblées permet de savoir comment les femmes enceintes, les enfants ou ceux qui veulent maigrir vont pouvoir être ou demeurer des Végans. En appoint, les pratiquants novices ou plus aguerris trouveront quelques adresses utiles pour poursuivre leur quête d’informations ou traduire leurs choix dans des activités associatives et/ou politiques. Ceux qui veulent vivre un véganisme total apprécieront les chapitres consacrés à se vêtir (cf. le répertoire des 75 marques de chaussures et maroquinerie véganes) ou encore aux produits hygiéniques et cosmétiques. Ils trouveront également des réflexions sur les animaux de compagnie, les loisirs et les divertissements (ex. cirque, équitation, zoo) vus par les Végans les plus déterminés. Les rapports du véganisme à la société sont ainsi définis à l’aune des relations aux autres que ce soit dans l’univers professionnel ou tous les espaces de partage (ex. familles, fêtes, restaurations, voyages). Autant d’expériences partagées sans injonction mais qui renvoient intelligemment chacun à son intime, au sens qu’il entend donner à sa vie et à celle de sa famille, qu’il fasse ou non le choix du véganisme.