L’année littéraire se clôt sur le retour éternel des fêtes, avec leur lot souvent inévitable d’échanges de cadeaux, et de temps de latence. Pour vous aider à dénicher les premiers à la dernière minute, pour stimuler les seconds par de belles lectures, ou pour le plaisir de parler de ce qu’on aime, les rédacteurs de Nonfiction vous présentent 11 livres qui ont particulièrement retenu leur attention en 2016. Dans le désordre, et sans critère.



 

 


Pierre-Henri Castel, Le Cas Paramord. Obsession et contrainte psychique aujourd'hui (Ithaque)
par Elen Le Mée

La particularité du Cas Paramord est de présenter, au-delà de la problématique d’un patient, la façon dont l’analyste parvient à penser et traiter son cas, non pas d’une manière objective, mais d’une manière qui implique également sa subjectivité à lui, largement mise en jeu dans le processus psychothérapeutique. Ce faisant, Pierre-Henri Castel s’expose et expose sa clinique. Clair, ce livre condense et exemplifie le reste de ses travaux sur la névrose obsessionnelle et les illustre d’une manière qui révèle ce qu’est pour lui la psychanalyse : non pas une science qui se transmet à l’identique, mais une pratique qui se transforme à la condition que les psychanalystes s’ouvrent sur l’époque qui les entoure et à ses nouveaux savoirs, en complexifiant la donne plutôt qu’en la simplifiant.

 

Dave Eggers, Le Cercle (Gallimard)
par Florian Besson

Traduction d'un gros succès américain sorti il y a trois ans : un livre à lire absolument. Le parcours de Mae Holland, jeune femme embauchée par une entreprise baptisée The Circle, permet de proposer une critique grinçante et pertinente de Facebook, Google et autres géants du web. Lorsque la transparence s'impose au monde entier, que devient l'idée même de vie privée ? Et, à l'heure où nous portons tous caméras et micros sur nous, dans nos téléphones portables et nos ordinateurs, comment résister ? Au totalitarisme de 1984 pourrait bien succéder un Big Brother beaucoup plus menaçant, car dissimulé derrière la façade souriante des réseaux sociaux...



James S. Grotstein, Un rayon d’intense obscurité. Ce que Bion a légué à la psychanalyse (Les éditions d’Ithaque)
par Jean-Baptiste Desveaux

Ce premier livre de Grotstein publié en français est une avancée pour la compréhension de la psychanalyse américaine. En explorant l’œuvre de W. Bion, le psychanalyste californien nous en offre ici une relecture suivant une connaissance intime et novatrice, explorant des modèles et les vertex méconnus de la psychanalyse française. Par sa construction ciselée, l’ouvrage peut s’aborder ludiquement, picorant ça-et-là en fonction des pensées ou les rêveries du moment ; par son format imposant et la diversité des thèmes abordés, il constitue presque une sorte de manuel de métapsychologie. L’étude du concept « O » de Bion, fil rouge de la pensée de Grotstein, ouvre à des rêveries fécondes, dont les explorations nous invitent à sortir des théories pour réinterroger nos modèles psychanalytiques.



Tony Judt, avec Timothy Snyder, Penser le XXe siècle (Editions Héloïse d’Ormesson)
par Benjamin Caraco

Paradoxalement, mon livre de l’année de 2016 est un livre publié à l’origine en 2012 et enfin traduit en français : Penser le XXe siècle de l’historien britannique Tony Judt. Ce livre d’entretiens a été co-écrit avec son collègue Timothy Snyder. Condamné par une maladie dégénérative, Judt revient ici sur les thèmes de son œuvre qui lui tenaient à cœur. Le livre s’inscrit dans un triptyque testamentaire composé de Contre le vide moral : restaurons la social-démocratie   et du Chalet de la mémoire   . Ses analyses sur l’histoire politique et intellectuelle du XXe siècle et sur les événements du début du XXIe siècle n’auront jamais été aussi actuelles qu’en cette année de Brexit et d’élection de Donald Trump.



Rémi Lefebvre et Eric Treille, Les primaires ouvertes en France : adoption, codification, mobilisation (Presses universitaires de Rennes)
par Damien Augias

La première analyse globale et fouillée d'un phénomène politique qui tend à se généraliser en France : les primaires ouvertes. Rémi Lefebvre - déjà auteur d'un essai remarqué sur les primaires socialistes en 2011 - et Eric Treille co-dirigent cet ouvrage collectif, regroupant des contributions qui concernent diverses forces politiques (droite, gauche et écologistes) et qui touchent à la fois au plan national et au plan local. A la fois stratégie de survie et aveu de faiblesse et de perte de leadership naturel, les primaires illustrent voire renforcent, selon les auteurs, la crise du politique et la fin des partis militants, au profit d'une démocratie d'opinion et sondagière, plus versatile et superficielle. Un important travail d'analyses et de mises en perspective, qui a le mérite de faire prendre du recul sur un phénomène trop vanté par les médias de masse, qui, bien entendu, y trouvent également leur intérêt, renforçant un phénomène de campagne électorale permanente.



Sarah Maeght, C’est où, le nord ? (Albin Michel)
par Florian Besson

Chroniques d'une jeune prof de lettres dont la vie oscille entre un poisson rouge (dépressif), une vie amoureuse (compliquée), des élèves (pas faciles) et de mystérieux santons (mutilés) retrouvés dans son casier... Le style est frais, simple, agréable à lire comme à relire, et le roman joue comme une grande bouffée d'air. Simple, mais pas simpliste pour autant : la fin, plus ouverte qu'il n'y paraît, invite à méditer doucement, sans nostalgie, sur les choix que nous avons faits, et qui ont fait nos vies.


   
Hélène Merlin-Kajmann, Lire dans la gueule du loup. Essai sur une zone à défendre : la littérature (Gallimard)
par Annie Franck

Lire dans la gueule du loup propose une réflexion dense et passionnante, érudite et en mouvement, autour de la fonction de la littérature, de l’art en général, et de son enseignement. A travers la présentation de situations variées, puisées dans l’expérience, et concernant la réception d’un texte littéraire, l'auteure nous invite à un dialogue avec ses idées les plus originales. Prenant appui sur le concept psychanalytique d’aire transitionnelle (Winnicott), l’ouvrage défend l’idée de la nécessité d’une zone de partage, dans laquelle les singularités du lecteur et de l’écrivain trouvent à se rencontrer au travers d’une transmission vivante : « quel usage, quel partage de la littérature est-il important non seulement de défendre mais de promouvoir, voire d’inventer dans et pour des sociétés démocratiques, c'est-à-dire fondées sur ce qu’on appelle le respect de l’individu (…) non moins que sur des valeurs de solidarité sociale et de la citoyenneté ? »



Antonio Moresco, Les Incendiés (Verdier)
par Maryse Emel

2016, en littérature, c’est la découverte aux éditions Verdier d'Antonio Moresco. Les incendiés font suite à Fable d’amour et La petite Lumière, toujours aux éditons Verdier. Avec cette dernière traduction, on dispose enfin de la trilogie complète de ses fables philosophiques. L'écriture de Moresco, traversée par les catastrophes du siècle, s'ouvre dans ce dernier livre aux « illuminations » poétiques. Il y a du Rimbaud dans Les incendiés… de quoi donner envie, après, de relire Une saison en Enfer.




Mustapha Belhocine, Précaire ! Nouvelles édifiantes (Agone)
par Maryse Emel

Dans un autre genre qui tend à ouvrir la réflexion sociologique à la littérature – le livre a pour sous-titre « nouvelles édifiantes » –, le récit de Mustapha Belhocine sur sa vie de chercheur de « petits boulots » mériterait aussi de rester dans les mémoires. On grince des dents devant ses mésaventures trop réelles, tout en gardant le courage de rire. Une tranche de vie entre Walt Disney et la « bienveillance » matriarcale. Pas facile de trouver le respect de sa dignité quand on n’a pas le choix et qu’il faut travailler.




Sylvain Pattieu, Et que celui qui a soif, vienne (Editions du Rouergue)
par Florian Besson

Un roman d'aventure au long cours, qui brasse les destins croisés de mutins, d'esclaves en fuite et de pirates, en quête de liberté sur les mers du XVIIIe siècle. Leur désir d'inventer un autre monde, sur les planches d'un navire ou le sable d'une île utopique, se transpose formellement dans le style inventif et enlevé de l'auteur, qui brasse les époques, les mythes et les histoires. Un grand roman, au rythme soutenu, et qui réussit à être à la fois drôle, captivant et bouleversant.


Francis Wolff, Il n’y a pas d’amour parfait (Fayard)
par Alain Policar

À l’instar de Durkheim qui choisit de faire de l’acte individuel qu’est le suicide un objet sociologique, l’auteur observe les voies singulières de l’amour pour faire de celui-ci un objet philosophique. Les dernières lignes du texte soulignent en creux l’originalité de sa réflexion : l’amour est, dans la littérature, le motif d’un grand nombre d’histoires, mais de toutes ces histoires, la philosophie n’a rien à dire.
Alors que tant d’auteurs évoquent le sentiment amoureux afin de se complaire dans les tourments de leur moi et la jouissance de leurs émois, F. Wolff cherche à définir l’amour et se livre ainsi à un exercice de pensée argumentative passionnant. Cet ouvrage n’est pas une excursion sur un sentier de traverse : il contribue à éclairer la démarche d’un philosophe de premier plan, occupé à dire de quoi le monde est fait, tout en proposant une anthropologie générale, que beaucoup de nos contemporains se refusent à envisager, faute de croire à l’existence de son objet.