Sous-titré "à propos d’un livre d’Eduardo Galeano", cet opuscule passe à côté de son objectif car il laisse le lecteur sur sa faim sans l’inviter à se plonger dans la lecture de Galeano.

De deux choses l’une : soit on connaît le "grand livre de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano" auquel Jean-Claude Michéa se réfère dans la quatrième de couverture, et dans ce cas ces dix-neuf pages introductives sont inutiles et ne constituent pas un "livre"... soit on l’ignore, et dans ce cas ce ne sont ni cette courte introduction ni les quinze pages d’extraits de Galeano qui inciteront le lecteur à s’intéresser à ce journaliste-écrivain surtout célèbre pour sa défense d’une Amérique du Sud autonome, libérée de l’impérialismes européen ou états-unien.

Il y a d’abord tromperie sur la marchandise car les intellectuels auxquels le titre fait allusion ne sont pas nommés et leurs écrits encore moins abordés. Seuls quelques noms sont donnés en pâture dans la note de l’avant-propos, réduite à une maigre page alors qu’elle est censée justifier la réédition, en 2010, d’un livre paru en 1998. On comprend dès le début que le livre de Galeano "célèbre le football" et l’auteur explique : "le résultat [Galeano prenant ses lecteurs "à contre-pied"] est un livre éblouissant, mêlant joyeusement érudition universitaire et exagération poétique, et où le défilé des dribbles ; des parades et des buts se transforme en tout moment en une méditation chaleureuse et profonde sur la condition humaine"   . Curieusement, Michéa pense que ses ennemis sont ceux qui méprisent les sentiments populaires, à savoir "celui qui lit Télérama, regarde Nulle part ailleurs et prend au sérieux le Festival de Cannes"   .

Quelques pages plus loin on est censé accepter l’intérêt de l’auteur pour le football car "comme le tango, le football grandit dans les faubourgs"   . On a même le droit à la légende du football vecteur d’amitié entre les peuples ! "Grâce au langage du football, qui commençait à devenir universel, les travailleurs expulsés par la campagne s’entendaient parfaitement avec les travailleurs expulsés par l’Europe. L’espéranto du ballon rond unissait les autochtones pauvres et les manœuvres qui avaient traversé l’océan depuis Vigo, Lisbonne, Naples, Beyrouth ou la Bessarabie, et qui rêvaient de conquérir l’Amérique en élevant des murs, en déchargeant des bateaux, en enfournant le pain ou en balayant les rues. Le football avait un fait un beau voyage: après avoir été organisé dans les collèges et les universités anglaises, en Amérique du Sud il égayait la vie de gens qui n’avaient jamais mis les pieds dans une école"   .

Bref, soyez heureux dans les bidonvilles d’Uruguay (ou d’Afrique du Sud !), vous aurez toujours de quoi bricoler une baballe pour passer le temps. Pourtant, les études sociologiques dignes de ce nom montrent bien que le foot est un vecteur de haine dès qu’il s’institutionnalise, les clubs se formant avant tout sur les appartenances ethniques ou sociales (voir en guise d’introduction Racism and Xenophobia in European Football, sous la direction d’Udo Merkel et Walter Tokarski, Meyer&Meyer, 1996). Rien là-dessus dans ce très modeste texte introductif, encore moins dans les extraits de la deuxième partie.

Car l’auteur ne semble poursuivre que deux buts : dénoncer d’une part ce qu’il pense être des "dérives" du foot (alors que ce qu’il entrevoit – "corruption", "dopage"   - n’est qu’une conséquence ontologique du sport de compétition), et regretter, d’autre part, le style de jeu de l’ancien temps. Michéa voit dans "les dribbles enchantés et gratuits d’un Ronaldo ou les contrôles extraterrestres d’un Zidane, comme un pied de nez aux maîtres du monde"   . En voilà de grands rebelles qui vont faire trembler le capitalisme triomphant !

La décence interdit sans doute de commenter les dernières pages de ce qui n’est en réalité qu’un éloge démesuré pour Football, ombre et lumière de Galeano. Michéa laisse libre cours à son enthousiasme mais la quinzaine de pages choisies ne suffit pas à convaincre. On apprend certes que Gramsci voyait dans le foot un "royaume de la loyauté humaine exercé (sic) au grand air"   , que la FIFA avait soutenu les colonisateurs en réprimant les indépendantistes   (quelle surprise quand on sait combien cette oligarchie est véreuse et corrompue, voir à ce sujet le dernier numéro de la revue Quel sport ?, critiquée dans ce dossier) ou que les supporteurs ont pu changer leur traditionnel "fils de pute" à l’endroit de l’arbitre en "orphelin de pute" lorsqu’ils ont appris le récent décès de la mère de celui-ci   . Rien de bien étonnant, rien en tous les cas, qui puisse justifier la dépense de six euros pour cette trentaine de pages imprimées en gros caractères (mêmes les notes). Les liens entre les intellectuels, le peuple et le ballon rond méritent un autre traitement

 

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