Comment le web transforme-t-il l'espace public ? Le blogueur Nicolas Vanbremeersch répond dans ce bref essai.

"[ce] livre est un livre de blogueur", est-il indiqué dans l’introduction. Précisons : ce livre est un livre d’un blogueur qui a réussi (précisons aussi que l’auteur de cette critique n’est pas – encore ? – blogueur). Nicolas Vanbremeersch est en effet plus connu sous le pseudonyme de "Versac", nom de son ancien blog (versac.net) devenu en quelques années un des blogs politiques les plus consultés en France (3 millions de visiteurs uniques en cinq ans et demi d’existence). C’est donc un praticien qui, fort de sa success story, nous donne ici à lire sur une centaine de pages, de façon très accessible, quelques réflexions sur la formation d’un espace public numérique qui prolonge l’espace public traditionnel de façon vertigineuse jusqu’à, prochainement, le détrôner comme centre de la vie démocratique.

Après quelques pages sur le parcours personnel de l’auteur, De la démocratie numérique s’ouvre sur une description assez intéressante du fonctionnement général du web contemporain qui se déploie dans trois types d’espaces : le web social, le web de l’information et le web documentaire. Est ensuite décrit un double mouvement, d’importance croissante, de démocratisation et de publicisation de la parole. Non seulement de plus en plus de gens publient sur Internet des informations (billets de blogs, commentaires, photos,…), mais ils les rendent publiques, dans une logique d’échange. Le web deviendrait donc, via les blogs et forums, un gigantesque salon de discussion, un moyen d’échanger sans (trop de) barrières sociales avec des personnes ayant les mêmes passions, et dans lequel l’ancienne figure du bourgeois est remplacée par celle du geek   .

En raison de ces libertés de production et d’échange, le web offre l’occasion aux internautes de contourner certains relais traditionnels. Peuvent ainsi émerger, par exemple, des personnalités politiques que leur parti n’avait pas spécialement mises en avant (cas d’Howard Dean, développé dans le livre, aux États-Unis), de même que certains contenus grâce aux liens pointant sur ceux-ci, agissant comme une recommandation et influençant le référencement de la page concernée. Les intermédiaires traditionnels, à commencer par les journalistes, sont déstabilisés par cette perte de monopole : leur métier évolue et les modèles économiques sont remis en question. Nicolas Vanbremeersch reprend à cet égard les propos de Narvic pour qui l’on a affaire à la "fin d’un magistère mais pas […] d’une profession."   .

Si ce sont les "internautes qui font le web"   , cela ne signifie pas le règne de l’anarchie. D’une part le besoin de médiation persiste. Face à la surabondance d’informations émises, le besoin de filtre n’en est que plus grand. Ce sont simplement ses formes qui évoluent. De nouveaux types d’intermédiaires se créent, auxquels peuvent participer, plus librement, des individus ou des communautés. D’autre part, comme dans tout espace de discussion, le web génère des codes et des pratiques qui participent de la régulation des échanges. Enfin, cela ne se fait pas nécessairement au détriment de la qualité de l’information produite (voir l’exemple de maitre Eolas).

La description des dynamiques du web est assez claire et convaincante. Si Nicolas Vanbremeersch est (incontestablement) optimiste, il n’est pas pour autant naïf : on ne s’affranchit pas totalement sur le web de ses marqueurs sociaux et par ailleurs on y prolonge plus souvent sa vie sociale "réelle" qu’on ne s’en crée une "virtuelle".

Ces évolutions, succinctement résumées, soulèvent au moins trois questions politiques qui, à ce titre, auraient mérité une plus grande place dans cet essai sur la "démocratie numérique".

La première, que Nicolas Vanbremeersch aborde, peut être formulée en détournant le titre d’un livre célèbre de Ferdinand Tönnies : communauté ou société ? En effet, l’agrégation d’internautes par centre d’intérêts, en grappes, en "communautés" ou encore le contournement des grands médias généralistes au profit d’agrégateurs de flux rss se font-ils dans une logique communautaire et ce faisant, contre (ou à côté de) la société ? L’espace public numérique ne serait-il pas en fait un lieu de repli sur l’entre-soi ? C’est une des interrogations exprimées notamment par Cass Sunstein dans Republic.com 2.0 . Pour l’auteur, cette menace est à nuancer tant l’appartenance aux "communautés" sur le web est à la fois non-exclusive et souple (l’individu garde la capacité de réviser librement ses choix).

La deuxième interrogation touche à l’articulation de la vie publique et de la vie privée. À travers leur participation accrue sur le web, les internautes rendent public, de fait, une part importante de leur vie. La question de l’ "e-reputation" devient donc d’autant plus cruciale qu’on ne réfléchit même plus avant de "googliser" quelqu’un : c’est devenu une pratique usuelle. Et si ces différentes traces ne sont pas forcément laissées au même endroit, les recoupements sont toujours possibles, comme l’a montré l’ "affaire Marc L." (qui témoignait par ailleurs du rôle encore majeur des médias institutionnels dans l’établissement d’une hiérarchie et d’une légitimation de l’information, comme l’ont pointé certains observateurs attentifs). Or on regrette que ce point ne soit qu’à peine effleuré à la toute fin du livre.

Le troisième point de discussion sur lequel aurait pu se pencher Nicolas Vanbremeersch concerne l’égalité des acteurs sur le web ou – pour le dire autrement et peut-être mieux – la "neutralité du réseau" et, de façon connexe, la "fonction […] vitale"   , donc incontournable, de Google pour le web   . La technique est-elle vraiment neutre ?

En dépit de ces petites frustrations, l’intérêt de ce livre est bien réel. On en recommandera donc la lecture. "[É]crit comme un blog"   , l’objectif de cet essai n’est-il finalement pas rempli puisqu’il nourrit, précisément, des discussions ?

 

* À lire également sur nonfiction.fr :

- Nicolas Vambremeersch, De la démocratie numérique (Seuil), par Maxime Drouet.

* Lire le dossier complet de nonfiction.fr sur le numérique