Une critique argumentée de la "bonne gouvernance" que le FMI et la Banque Mondiale préconisent depuis vingt ans pour les pays en développement.
 

Ce livre est la première traduction en français d’un économiste américain connu pour sa réflexion sur les stratégies de développement et les institutions qui favorisent la croissance économique en profitant de la mondialisation   ). S’appuyant sur son travail de chercheur, Dani Rodrik a multiplié les prises de position sur l’inadéquation des politiques préconisées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale (rejoignant, sur un ton plus nuancé, le Stiglitz de La Grande Désillusion   ).

Plutôt qu’un livre, Nations et mondialisation est un recueil de quatre articles :

-    le premier s’intéresse à la mondialisation et à ses limites.
-    le second discute des stratégies de développement  "qui marchent ".
-    le troisième est une étude sur les réformes qui ont accéléré la croissance en Inde.
-    le quatrième cherche un remède à l’instabilité économique de l’Amérique Latine.

Le titre Nations et mondialisation est quelque peu trompeur, car dans l’ouvrage il est bien question de mondialisation mais peu de nations, et encore moins de "Nation" au sens historique du terme. Dani Rodrik s’intéresse plus simplement à des pays en développement dont les gouvernements cherchent la bonne politique économique à suivre, et doivent prendre en compte les intérêts et les opinions de la population. Comme d’autres recueils d’articles, Nations et mondialisation présente le défaut de juxtaposer des textes d’intérêt inégal. Les deux premiers textes de réflexion sont très intéressants et accessibles à tous ceux qui s’intéressent aux questions de développement et de mondialisation alors que les deux études de cas suivantes ont un langage plus technique et une portée moins générale.

 

Contre le "Consensus de Washington"

La cible de ce livre est ce que l’économiste Williamson a le premier appelé en 1990   le "Consensus de Washington" : la conviction que le développement passe par une politique macro-économique de rigueur, un rôle accru des mécanismes de marché (privatisation, dérégulation) et une ouverture totale au commerce et aux capitaux.

La position de Dani Rodrik est subtile, puisqu’il ne conteste pas les principes selon lesquels l’ouverture, la déréglementation, une politique budgétaire soutenable et une politique monétaire anti-inflationniste seraient bonnes pour l’économie. Il pense que la meilleure stratégie de développement est celle qui ne les applique pas à la lettre mais qui, avec pragmatisme, les mâtine de protectionnisme et d’interventionnisme. Ce que l’auteur reproche à l’orthodoxie économique, ce n’est pas son idéal de marchés autorégulés, c’est de ne pas comprendre à quel point l’environnement économique réel en est éloigné. Si les réformes "d’ajustement structurel ", si l’ouverture aux capitaux étrangers ont eu des conséquences économiques et sociales négatives, ce n’est pas que l’on n'est pas allé assez loin, c’est que l’on y est allé trop fort.

Vingt ans après la naissance du "Consensus de Washington", il suffit de comparer les performances économiques de l’Inde, de la Chine ou du Vietnam à celles des pays d’Amérique Latine pour constater que les stratégies de développement les plus efficaces sont celles qui n’ont pas pris trop au sérieux les préconisations du FMI et que les pays qui profitent le plus de la mondialisation ne sont pas les membres les plus zélés de l’OMC.

 

Quelles sont les bonnes stratégies de croissance ?

Après son réquisitoire contre ceux qui croient connaître "la" bonne politique de développement, Dani Rodrik ne peut pas à son tour donner "sa" recette. S’il a une leçon à donner, c’est que les politiques économiques et les dispositifs économiques gagnants varient selon les situations. Les pays est-asiatiques ont balayé les certitudes de nombreux experts en trouvant des solutions non conventionnelles à des problèmes classiques (comment inciter les agriculteurs et les industriels à investir davantage ?). Ainsi, la libéralisation des prix agricoles a été réalisée en Chine sans que la planification soit remise en cause. Les agriculteurs sont tenus de livrer des quotas fixes à un prix inférieur au marché, mais sont autorisés à vendre les excédents au prix du marché. Les observateurs soulignent les avantages de cette politique qui a augmenté l’efficacité de l’agriculture dans les années quatre-vingt sans faire trop de perdants. Les réformes chinoises contiennent quantité d’autres innovations institutionnelles (comme les entreprises de bourgs et de village).

Autre exemple non orthodoxe, les politiques industrielles de la Corée du Sud et de Taïwan ont connu un succès éclatant alors même qu’elles reposent sur un lien étroit (et "hérétique" pour les tenants du non interventionnisme) entre l’État et les grandes entreprises. Subventions ou fiscalité favorable, protection commerciale, garanties d’investissement… les pouvoirs publics ont encouragé certains investissements socialement bénéfiques même s’ils étaient risqués pour les entrepreneurs et ont participé ainsi au développement d’activités non traditionnelles.

La conclusion de l’auteur n’est pas, bien au contraire, qu’attribuer des droits de propriété sur la terre et les actifs industriels ou augmenter les incitations concurrentielles est néfaste. Avoir une monnaie saine et une politique budgétaire soutenable est aussi pour lui un élément décisif pour connaître la prospérité économique. Autrement dit, les principes de "bonne gouvernance" issus de l’analyse économique restent valides, mais il faut reconnaître que dans le monde réel, ils ne s’incarnent pas dans un dispositif institutionnel unique et univoque. On peut noter sans enlever à l’intérêt de sa réflexion qu’un bon dispositif institutionnel se reconnaît surtout au fait que c’est… un bon dispositif institutionnel. D’où l’intérêt de l’expérimentation ou du gradualisme dont l’auteur fait l’éloge dans l’expérience indienne étudiée dans le troisième chapitre. En bon spécialiste d’économie politique   , il a aussi un préjugé favorable pour les politiques de développement qui ménagent la paix sociale (même si c’est pour assurer la survie d’un régime autoritaire comme en Chine ou au Vietnam   .

À l’opposé des success stories asiatiques, Dani Rodrik se penche dans le dernier article sur "l’insécurité économique" que connaissent la plupart des pays d’Amérique Latine. Politique économique dépendante des investisseurs à court terme, revenu des ménages directement soumis à la volatilité des marchés, le diagnostic est sombre. Le salut passe pour l’auteur par un rôle accru des acteurs politiques et sociaux (partis démocratiques, syndicats), ce qui augmenterait la demande pour une politique macroéconomique plus stable et pour plus de protection sociale

 

*À lire également sur nonfiction.fr :

-Dani Rodrik, One Economics, Many Recipes. Globalization, Institutions and Economic Growth (Princeton University Press), par Éric Monnet.

-Patrick Artus et Marie-Paule Virard, Globalisation. Le pire est à venir (La Découverte), par Aquilino Morelle.