« Je trouve cette France-là monstrueuse. » Au mois d’août 2009, Marie NDiaye livrait dans un entretien aux Inrockuptibles son sentiment sur la France de Nicolas Sarkozy. Trois mois plus tard, tout juste récompensée par le prix Goncourt pour son roman Trois Femmes Puissantes (Gallimard), l’écrivaine s’attirait les foudres du député UMP de Seine-Saint-Denis, Eric Raoult. Celui-ci en appellait au ministre de la Culture pour imposer un devoir de réserve aux lauréats du prix Goncourt. « En effet, ce prix qui est le prix littéraire français le plus prestigieux est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française. A ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l'image de notre pays.» La cohésion nationale tiendrait donc à l’absence de critique des intellectuels sur le pouvoir. Monsieur Raoult reproche à Marie NDiaye ses propos vifs à l’égard du gouvernement et de sa politique d’immigration. Pour lui, elle devrait donc payer le prix Goncourt de son silence. Du moins, elle serait tenue de respecter un principe de modération dû à la charge symbolique de cette récompense. Il semble d’ailleurs s’être fait une spécialité récemment des affaires touchant à la liberté d’expression, comme le montre sa récente controverse avec Florence Beaugé, journaliste du Monde expulsée de Tunisie suite à ses articles sur le régime du président Ben Ali. Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a refusé de trancher le débat alors que Marie NDiaye et Eric Raoult le priaient de le faire.


Cette polémique pose plus largement la question des prises de position publiques des écrivains, fussent-elles péremptoires, et du bruit qu’elles suscitent. On se souvient du débat virulent qu’avait provoqué Philippe Sollers en dénonçant « La France moisie » à la une du Monde du 28 janvier 1999. Dans le contexte des élections européennes de 1999, Sollers réagissait aux attaques de tous bords contre Daniel Cohn-Bendit et s’en prenait aux souverainistes renvoyant l’image d’une France repliée sur elle-même, archaïque et peureuse. Plus que le fond, on avait reproché à Sollers ses approximations historiques et sa liberté de ton. Il faut croire que plus un auteur est reconnu pour son oeuvre, plus sa parole devient corrosive. A l’heure où nous sommes cordialement invités à débattre de l’identité nationale, nous devrions nous y plier avec rigueur et sérieux. Marie NDiaye a admis que ses propos avaient pu être excessifs tout en les maintenant. Elle voulait éviter qu'on assimile les motifs de son départ pour l'Allemagne en 2007 avec ceux des écrivains fuyant le fascisme dans les années 1930. On ne saurait donc lui intenter un mauvais procès. Lorsque écrivains et hommes politiques s'adonnent à des joutes verbales, le choix des mots compte peut-être autant que les idées qu'ils recouvrent

 

* A lire sur nonfiction.fr:

- Dominique Rabaté, Marie NDiaye (Textuel/ CulturesFrance), par Margot Demarbaix.