L’augmentation de la richesse a cessé de s’accompagner de la diminution du temps de travail, pourtant nécessaire.

Fruit de la réflexion de l’atelier « Travail » du Collectif Roosevelt, cet ouvrage prône la réduction du temps de travail comme solution aux problèmes dramatiques que sont le chômage de masse et la régression sociale. Il rejoint ainsi d’autres ouvrages, rapports, notes et articles qui sont parus récemment sur le sujet.

Pédagogique, il commence par rappeler l’évolution, les chiffres et les effets du chômage. Puis, il retrace rapidement les mesures de politique de l’emploi qui ont été mises en œuvre pour le combattre depuis la fin des années 1970. Les auteurs concentrent ensuite leurs critiques sur les réformes du marché du travail opérées dans la dernière période, incluant la récente Loi Travail, qui visent à flexibiliser le travail et à réduire son coût, pour appeler, en ce qui les concerne, « à changer de cap économique ». Ils expliquent pourquoi, selon eux, réduire le coût du travail ne produira pas les effets attendus sur l’emploi, mais d’une manière qui, à notre avis, écarte encore trop rapidement les arguments contraires   .

Durée moyenne du travail et nombre de personnes en emploi

En revanche, ils montrent de manière plus convaincante le lien qui unit sur le long terme la réduction du temps de travail et la création d’emplois.

Le nombre d’heures travaillées, expliquent-ils, est resté quasi stable en France depuis 1950. Plus exactement, il a baissé de 6 % entre 1950 et 1974, période pendant laquelle le PIB a plus que triplé, et il a ensuite baissé de 1 % au cours des quarante années qui ont suivi, où bien que le PIB ait crû alors beaucoup moins vite, celui-ci a encore plus que doublé. Les gains de productivité ont en effet surpassé la croissance et seule la baisse de la durée moyenne travaillée, de 17 % de 1950 à 1974 et de 20 % ensuite, sur une période beaucoup plus longue, notamment parce que cette durée moyenne a stagné à partir de 2002, a alors permis de créer des emplois, en utilisant une partie des gains de productivité réalisés   .

On peut observer au passage que cette situation n’est pas spécifique à la France, puisque sur les deux mêmes périodes (de durées différentes, rappelons-le), la durée moyenne du travail a diminué de deux fois 24 % en Allemagne et de deux fois 11 % au Royaume-Uni.

Dans le même temps, la population active est passée de 20 millions en 1950 à 23 millions en 1975, puis à près de 29 millions en 2015. Celle-ci a continué de progresser fortement dans la seconde période, en lien notamment avec l’entrée des femmes sur le marché du travail. La réduction de la durée moyenne du travail, qui avait entretemps ralenti, n’a alors plus permis d’absorber l’augmentation de la population active, d’où le quadruplement du chômage constaté sur la période.

Si l’on ne raisonne plus en emplois moyens, mais en nombre de personnes ayant un emploi, il faut prendre en compte la proportion du temps partiel (pourcentage d’emplois à temps partiels et durée moyenne correspondante). On sait que celle-ci varie selon les pays. Son développement, qui concerne avant tout les femmes et/ou les emplois peu qualifiés, revient à un partage du travail, particulièrement inégal, auquel la France a résisté mieux que d'autres pays, au prix certes d’un taux de chômage plus important, mais aussi d’une moindre précarité et pauvreté et d’une plus grande égalité entre les sexes.

Mesures de réduction du temps de travail

Les auteurs reviennent ensuite – exercice obligé destiné « à briser le tabou de la réduction du temps de travail » mais qui n’apprend pas grand-chose – sur les étapes de sa réduction en France et en particulier sur les 35 heures. Ils rappellent les résultats des évaluations quantitatives et qualitatives auxquelles celles-ci avaient donné lieu, mais qui sont, pour les secondes, désormais un peu anciennes. Ils pointent l’opposition virulente dont celles-ci ont été l’objet dès l’origine, tant de la part de la droite que de nombreux économistes. Opposition qui a alors conduit à leur « détricotage » par les gouvernements de droite qui se sont succédés depuis lors, et sur lequel les gouvernements socialistes, peut-être en raison des divisions en leur sein sur le sujet, également anciennes, ne sont pas revenus.

Puis, ils envisagent les formes que pourrait prendre aujourd’hui la réduction du temps de travail, en recensant les propositions récemment émises en la matière.

Et donc, tout d’abord, s’agissant des mesures de réduction collective, la proposition de la CGT de passer la durée légale du travail à 32 heures sans perte de salaire, en liant la réduction du temps de travail à l’obligation de créer des emplois, et en finançant cette mesure par un prélèvement de 20 milliards sur les exonérations de cotisations et autres aides accordées aux entreprises.

Celle, plus aboutie, de Denis Clerc, le fondateur d’Alternatives économiques, de réduire de 6 heures par mois la durée du travail, sans obligation d’embauche, en ramenant l’actuelle CSG sur les revenus salariaux de 7,5 % à 3,5 % de telle sorte que le salaire net ne bouge pas et en le finançant par une augmentation de la TVA et une taxe carbone, qui pèseraient sur l’ensemble des ménages à hauteur de 1 % à 2 % de pouvoir d’achat pour 500 000 emplois créés.

Celle de Pierre Larrouturou et Dominique Méda de proposer aux entreprises de passer à la semaine de 32 heures ou toute réduction équivalente en créant 10 % d’emplois, en le finançant, au niveau de l’entreprise, par une exonération des cotisations sociales à hauteur de 8 % du coût du travail et de la modération salariale et, au niveau de l’Unedic et de l’Etat, grâce à l’augmentation des recettes au titre des cotisations sociales et à des économies sur le coût du chômage et ses conséquences.

On peut regretter que les auteurs ne discutent pas ces propositions, alors même que celles-ci différent fortement, se contentant de les recenser.

Ils procèdent de même avec les propositions relevant de la réduction du temps de travail choisie et individualisée, comme les mesures que préconise le rapport interdit de publication de l’IGAS   : aménagement du congé parental pour inciter le père à le prendre, création d’un congé de soutien familial à temps partiel, développement de congés familiaux également à temps partiel, de congés de formation à temps plein ou à temps partiel prévoyant le remplacement par un chômeur, mesures de préretraite à temps partiel (aujourd’hui limitée aux salariés de plus de 60 ans, ayant cotisé 150 trimestres), congé sabbatique financé, etc. Celles proposées par Ecolinks, comme la création d’un compte épargne-temps de vie, ou encore l’utilisation pour cela du compte personnel d’activité (CPA) demandée par la CFDT, etc.

Outil de transformation de la société

Ils concluent en mettant en garde contre le fait de considérer les solutions ci-dessus comme de simples solutions techniques. Ils préconisent au contraire de faire de la réduction du temps de travail un outil aussi bien de création d’emplois, que de réduction des inégalités et de développement de la solidarité et de mise en œuvre de la transition écologique, mais également de questionnement de l’évolution du travail. Sans renoncer par ailleurs au développement de services publics de qualité et à la consolidation de notre système social par un financement plus juste.

Ils discutent rapidement pour finir des mérites comparés du « droit à l’emploi » et du revenu de base, dont ils indiquent qu’il pourrait être combiné à la RTT, sans trancher absolument entre les deux, en saluant toutefois au passage l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » votée à l’initiative d’ATD Quart Monde et dont la mise en œuvre devrait bientôt commencer. Cette dernière mesure pourrait parfaitement cohabiter avec une relance de la réduction du temps de travail, dont ce petit livre aura montré, en se penchant sur le volume d'emploi et son évolution sur le long terme, qu’elle mériterait de figurer à nouveau parmi les mesures de la politique de l’emploi