Tous les jeudi, Nonfiction vous propose un Actuel Moyen Âge.  La Gay Pride de samedi, après les attentats d'Orlando, est l'occasion de se demander quelle était la place des relations homosexuelles au Moyen Âge.

 

Il serait absurde de le nier : au Moyen Âge, l’homosexualité est difficilement acceptée par les religions monothéistes, avec une attention toute particulière portée aux hommes qui gaspilleraient leur semence dans des relations interdites et stériles. Les textes qui jettent l’opprobre sur ceux qui se livreraient à des actes illicites entre hommes ne manquent pas : que ce soit le passage de la Bible où Dieu punit les turpitudes des habitants de Sodome et Gomorrhe, les Pères de l’Eglise et autres théologiens chrétiens ou encore les oulémas musulmans qui condamnent le « vice contre-nature »… Au milieu de ces exemples, écoutons le prêcheur franciscain Bernardin de Sienne, en 1427 : 

 

« Il n’existe aucun péché au monde qui détienne plus l’âme que la sodomie maudite […] qui est un péché qui a été toujours détesté par ceux qui vivent selon Dieu   . »

 

Pourtant, il serait tout aussi absurde d’opposer simplement un Moyen Âge intolérant à une époque contemporaine libérée et ouverte à toutes les formes de sexualité. La récente tuerie d’Orlando le montre. Avec une violence moins létale mais tout aussi réelle, les réactions homophobes de certaines branches de la « Manif pour tous » ou de certains opposants à l’union civile en Italie, en témoignent également. Dans ce climat général, peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que le Moyen Âge, longue période d’environ dix siècles, n’a pas uniformément poursuivi les relations sexuelles entre personnes du même sexe. De même qu’il ne faut pas laisser aux Frigide Barjot et autres Daesh le monopole de la parole sur l’homosexualité, ne laissons pas Bernardin de Sienne donner le ton.

 

« As-tu forniqué comme le font les Sodomites ? »

 

Pendant longtemps, les clercs avaient d'abord d’autres chats à fouetter que de poursuivre les homosexuels ! Malgré des condamnations ponctuelles, les moines pouvaient avoir des relations entre eux sans trop se poser de questions. En 1099, le roi de France Philippe nomme un certain Jean évêque d’Orléans, alors même qu’il est l’amant affiché de l’archevêque de Tours ; cette nomination est ensuite confirmée par le pape Urbain II lui-même, malgré quelques protestations.

 

Bien sûr, on infligeait des pénitences aux personnes se livrant à des relations sexuelles entre hommes, des jeûnes plus ou moins longs selon le degré de leurs turpitudes. Au début du XIe siècle, l’évêque de Worms rédige un pénitentiel, c’est-à-dire un manuel destiné aux confesseurs, recensant les péchés possibles et les pénitences appropriées. L’auteur ne manque pas de précision, et le vice sodomite y est bien présent, sous toutes sortes de formes. La sodomie – au sens de relation anale – avec un homme, réalisée par un homme marié, est punie de douze ans de jeûne au pain et à l’eau. Si quelqu’un « a forniqué avec un homme entre les cuisses, comme certains en ont l’habitude, en mettant son membre viril entre les cuisses d’un autre », la peine est seulement quarante jours. Sévère, me direz-vous. Certes. Pourtant, le vice semble relativement courant – « comme certains en ont l’habitude » –, et surtout il était très peu poursuivi. On ne jetait pas au bûcher pour si peu…

 

Passif ou actif ?

 

Du côté de l’Islam, la situation est assez semblable. Les relations sexuelles entre hommes semblent avoir été relativement courantes, même si elles étaient théoriquement condamnées par les religieux. Des califes de Bagdad aux tribus berbères du Maghreb, on retrouve des témoignages attestant la présence plus ou moins forte de ces pratiques.

 

Pour l’élite surtout, ce qui est honteux, ce n’est pas de coucher avec homme : c’est de coucher avec un homme à la manière dont le font les femmes. Au Xe siècle, un prince maghrébin se voit ainsi attaqué par un poète : « Guennoun prétend qu’il n’est que pédéraste ; il est cependant le passif quand il se trouve seul avec son page   ». Où on voit bien que la relation sexuelle n’est pas le cœur du problème : la question de la domination dans le rapport à l’autre, en revanche, oui. La position passive rappelle celle de la femme, elle est donc déshonorante ; c’est bon pour un jeune homme ou un individu d’une classe sociale inférieure… La position active en revanche est revendiquée et le poète n’y trouve pas à redire, bien au contraire   .

 

Bernardin de Sienne, Savonarole et les autres

 

Ce n’est qu’à la fin du Moyen Âge que l’intolérance l’emporte. Les prédicateurs sont de plus en plus virulents contre ce qu’ils appellent le vice sodomite, les pouvoirs publics s’en mêlent et condamnent à mort et au bûcher sans scrupule… Les relations sexuelles entre hommes sont formellement interdites tandis que les amitiés entre hommes sont de plus en plus suspectes. Cela ne veut pas dire que les relations homosexuelles cessent d’avoir court, bien au contraire. Mais les poursuites sont plus systématiques, la désapprobation plus générale. 

 

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les sermons de Bernardin de Sienne que nous avons cités pour commencer, et qui rappellent aussi les prêches et les actions de Savonarole quelques décennies plus tard. Ils ne sont pas le symptôme d’un Moyen Âge  obscurantiste, mais au contraire de l’avènement d’une ère nouvelle, d’un Moyen Âge finissant.

 

Le Moyen Âge était-il plus tolérant que nous envers les relations homosexuelles ? Comme d’habitude, cela dépend des espaces et des périodes. Mais les hommes médiévaux ne sont pas si éloignés de nos préoccupations. Certains s’offusquent, certains combattent violemment des relations pensées comme contre-nature, parfois en allant jusqu’à tuer. D’autres au contraire acceptent, voire inventent de nouvelles relations qui s'écartent du modèle du couple hétérosexuel. Rien n’est jamais simple. Mais le tueur d’Orlando n’est pas représentatif d’un Moyen Âge qui n’en finirait pas d’étendre son intolérance à travers le monde et le temps : le Moyen Âge a aussi su se détacher d’une norme sexuelle imposée par des impératifs religieux et sociaux pour accepter, voire dans certains cas promouvoir, l’amour entre hommes.

 

Pour aller plus loin :

 

- John Boswell, Christianisme, tolérance sociale et homosexualité : les Homosexuels en Europe occidentale des débuts de l'ère chrétienne au XIVe siècle, Paris, Gallimard, 1985.

- Elisabeth Crouzet-Pavan, « Police des mœurs, société et politique à Venise à la fin du Moyen Âge », Revue historique, vol. 536, 1980, p. 281-288.

- Simon Pierre, « Homosexualité au Maroc médiéval. Tolérance et réprobation ».

 

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