Tous les jeudis, Nonfiction vous propose un Actuel Moyen Âge. Aujourd'hui, une comparaison entre les combattantes kurdes contre Daesh et les femmes combattantes du Moyen Âge...

 

Une fille au Moyen Âge : Jeanne d’Arc

 

Le film Les filles au Moyen Âge, réalisé par Hubert Viel et actuellement en salles, invite à réfléchir sur le pouvoir des femmes en présentant une galerie de portraits de femmes célèbres du Moyen Âge, de la reine mérovingienne Clotilde à Jeanne d’Arc. Encore et toujours, l’angle d’attaque choisi est bien cette épineuse et périlleuse question : les femmes ont-elles été des « éternelles soumises » ? Car dans ce film en forme de rêverie, déroutant au premier abord, les femmes ou plutôt les filles ont du pouvoir. Beaucoup de pouvoir parfois, selon les cas évoqués. En effet, Jeanne d’Arc est dépeinte comme la principale protagoniste de la reconquête du royaume de France. Dans le film, c’est elle qui prend les décisions. Et c’est encore elle qui va au combat quand le roi et ses généraux sont hésitants. Jeanne d’Arc pallie donc les manquements et les veuleries des hommes et plus particulièrement d'un homme, le dauphin Charles VII, qui finit par la trahir   .

La jeune Lorraine est bien l’archétype de la combattante du Moyen Âge. Nombreuses sont les évocations ou les représentations contemporaines de la Pucelle en armure, armes et étendard à la main. Pourtant, Jeanne d’Arc est l’arbre qui cache la forêt. L’historien Georges Duby évoquait un « mâle Moyen Âge » où les femmes étaient peu visibles dans les sources et l’univers de la guerre a, durant de nombreuses années, souffert de ce constat. Aux hommes, la guerre, aux femmes, la paix. Mais certains historiens, adoptant une démarche longue et patiente en raison de l’extrême pauvreté et de la dispersion des sources, semblent revenir sur ce cliché et intègrent les femmes à l’univers guerrier. Car les femmes qui combattaient étaient bien réelles. En effet, Christine de Pizan, dans Le Livre des Trois vertus ou Trésor de la Cité des Dames, écrit en 1405 à l’attention de la princesse Marguerite de Bourgogne, s’adresse à l’ensemble des femmes du royaume et plus précisément aux baronnes pour évoquer la nécessité d’avoir un « cœur d’homme » et de connaître les règles militaires.

 

Le fantasme de la femme guerrière de nos jours : les combattantes kurdes

 

Il y a quelques mois de cela les médias évoquaient en masse le phénomène des combattantes kurdes. « Fusil à l’épaule et grenade à la ceinture » : c’est bien souvent ainsi que débutaient la plupart des articles pour évoquer la manière dont les femmes contribuaient à la résistance contre l’État Islamique. Ces dernières, pour beaucoup issues du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), mouvement indépendantiste kurde de Turquie, et de son émanation syrienne, le PYD, combattaient  en Syrie et en Irak au sein de la branche armée de ce dernier, les « comités de protection du peuple » (YPG). D’aucuns ont pu parler d’une « glamourisation du conflit » à travers les images de guerrières volontaires et souriantes qui ont été largement diffusées sur les réseaux sociaux. D’autres donnaient à la féminité, avec l’action de ces femmes, une nouvelle signification. Certains évoquaient enfin une « nouvelle arme du féminisme : ces dernières pourraient déconstruire les hiérarchies patriarcales ».

 Mais gardons nous d’emballements, d’héroïsations ou… de mièvrerie. Car si elles semblaient occuper le devant de la scène médiatique, il faut préciser qu’il ne s’agissait pas de l’ensemble des forces de résistance kurdes dont le premier objectif était de déloger les ultra-radicaux de l’État islamique qui semaient la terreur en Irak et en Syrie. Il semblerait que 4.000 femmes, selon l’AFP, combattent au sein de la branche militaire du PYD. On a plus assisté, en réalité, à la reproduction d’un fantasme voire même à une instrumentalisation : la preuve en est la disparition rapide de ces femmes combattantes de nos écrans. Ces guerrières qui combattaient l’État Islamique et qui semblaient porter haut les valeurs de respect, de liberté et d’émancipation, ont été pendant un temps médiatiquement utilisées par les forces kurdes elles-mêmes et par les médias.

 

Les femmes combattantes d’hier et d’aujourd’hui, des « femmes au cœur d’hommes »

 

Ainsi les femmes qui combattaient au Moyen âge étaient bien réelles mais, selon les sources, bien souvent idéalisées et surtout leur courage s’expliquait par leur « cœur d’homme ». Car en combattant, la femme se pare d’attributs masculins. L’historien qui traque les femmes dans les archives, pour les étudier par la suite, doit se prêter à ce va-et-vient permanent entre la réalité et le fantasme qui ressort de certaines sources où la femme guerrière est avant tout un mythe. Et il en est de même pour les femmes combattantes de nos jours. Entrant comme par effraction dans un univers exclusivement masculin, les combattantes suscitent peurs et craintes comme semble l’attester cette rumeur véhiculée par les guerrières elles-mêmes qui évoque la surprise, la terreur et l’effroi qu’éprouvent les jihadistes en se retrouvant nez-à-nez avec des femmes lors des combats.

Il me semble donc que cet exercice auquel se prête l’historien doit être aussi celui du spectateur au cinéma et du lecteur qui parcourt l’actualité. Si au Moyen Âge les femmes qui combattaient étaient largement fantasmées par les chroniqueurs ou les auteurs de romans courtois, il est intéressant de voir qu’aujourd’hui dans certains œuvres cinématographiques et dans certains médias, le fantasme continue, se jouant des époques et des espaces. Au Moyen Âge, dans l'immense majorité des cas, la femme combattante pouvait fasciner et faire peur. De nos jours, au contraire, la femme en armes symbolise la modernité et la liberté féminines. Derrière ces représentations, c'est bien l'imaginaire des rapports de sexes qui est en jeu.

Alors, dire, rappeler, postuler que les femmes ont du pouvoir au Moyen Âge comme à notre époque sans s’interroger sur la nature même de ce pouvoir dit « au féminin », sans analyser les réalités féminines au travers des représentations masculines est-il vraiment pertinent ? Comme les femmes qui lisent et qui écrivent ont pu et peuvent encore déranger, les femmes qui combattaient et qui combattent encore sur d’autres fronts, intriguent et peuvent servir aux hommes à faire passer des idéaux. Dans ce creuset où les frontières entre réalité et imaginaire restent floues, résident encore certains préjugés sexistes. Car ce que l’on admire chez Jeanne d’Arc et ce que l’on continue à admirer, chez ces guerrières kurdes, en soulignant leur étrangeté, c’est bien leur courage « viril », leur courage de femmes au « cœur d’homme ».


Pour aller plus loin :

- Jeanne d’Arc, Histoire et mythes, dir. Jean-Patrice Boudet et Xavier Hélary, PUR, Rennes, 2014.

- Sophie Cassagnes-Broquet, Chevaleresses, une chevalerie au féminin, Perrin, Paris, 2013.

- Christelle Balouzat-Loubet, Mahaut d'Artois: une femme de pouvoir, Perrin, Paris, 2015.

- Nada Maucourant, « L'autre combat des femmes kurdes en Irak », Le Monde diplomatique, juillet 2015.

 

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