Une révision historiographique du portrait de l’une des plus célèbres femmes nobles du XIVe siècle français, et du pouvoir au féminin.

De Mahaut d’Artois, les premières images qui viennent à l’esprit sont celle d’Hélène Duc, puis celle de Jeanne Moreau. Par deux fois portée à l’écran dans les adaptations télévisées du fameux récit de Maurice Druon, Les Rois maudits, Mahaut d’Artois est l’archétype de la femme noble puissante, ambitieuse et autoritaire du XIVe siècle. Pourtant, celle qui fut dans l’entourage le plus proche des rois de son époque était-elle vraiment cette femme « cupide » et « ambitieuse » qu’évoquait déjà Froissart ?

Version remaniée d’une thèse de doctorat, Mahaut d'Artois, une femme de pouvoir propose une révision en forme de mise au point sur la vie et le gouvernement de celle qui fut comtesse d’Artois et de Bourgogne. A la suite des travaux sur Isabelle du Portugal de Monique Sommé et de ceux de Michelle Bubenicek sur Yolande Bar, Christelle Balouzat-Loubert s’attache à étudier la vie de Mahaut d’Artois. Et l’on gagnera à rapprocher ces différents ouvrages en ce que la clé de lecture proposée est une nouvelle fois celle du pouvoir et du gouvernement des femmes à la fin du Moyen Âge.

L’auteur reprend l’ensemble du dossier en évoquant d’emblée la postérité historiographique du personnage controversé de Mahaut. En effet, dans les études historiques, le temps semble être à la fois à la redécouverte et à la réhabilitation de certaines figures féminines frappées d’anathème dans les études des historiens du XIXe siècle. L’histoire des femmes s’était d’abord concentrée sur les figures héroïques et connues – de Jeanne d’Arc à certaines reines célèbres de l’Occident médiéval. Puis était venu le temps des études sur les « ombres insaisissables » de Duby, femmes modestes des campagnes et des villes. On assiste à présent à un renouveau des études qui se tournent à nouveau vers les cas de reines et de femmes nobles initiant des interrogations sur le pouvoir au féminin dans l’Europe de la fin du Moyen Âge, croisant les apports de l’histoire du pouvoir et de l’histoire des représentations. Cet ouvrage prend donc place dans une tendance historiographique récente dédiée au pouvoir et au rôle des femmes dans la société médiévale.

Même si l’on ne parvient pas à repérer d’emblée l’ambition première de l’ouvrage, il semblerait que l’auteure ait voulu replacer Mahaut dans le contexte politique, social et culturel général de la France du XIVe siècle. Suivant le précepte bien connu de Marc Bloch selon lequel « les hommes sont plus les fils de leurs temps que de leur père », l’historienne propose une analyse croisée du pouvoir de la comtesse voyant tantôt ce que celui-ci doit à son statut d’héritière, tantôt comment ses pratiques s’inscrivent pleinement dans son temps – on pense par exemple aux questions des arts, de l’éducation et de la cour. Y sont évoqués ses adjuvants, ses fidèles, mais aussi en filigrane la question des droits et des statuts qui lui furent favorables. C’est par sa condition de veuve que le pouvoir de Mahaut se renforce et s’établit. Le statut de veuve procure-t-il une certaine émancipation ?

L’avant propos présente une mise au point historiographique simple et efficace tandis que l’introduction dresse le portrait du royaume de France au XIVe siècle. Le lecteur perd alors un peu la protagoniste de vue. L’ouvrage est à la fois thématique et chronologique et se décline en 8 chapitres de longueur égale. Les premiers chapitres évoquent la vie d’une femme noble à la fin du Moyen Âge, son éducation, le milieu princier dans lequel elle évolue, les biens qu’elle possède en tant qu’héritière. C’est à partir du chapitre 5 qu’arrive sur le devant de la scène « le neveu déshérité », Robert d’Artois. Dés lors commence le récit d’une lutte entre Mahaut et son neveu qui désire récupérer ce qu’il juge être son héritage légitime.  C’est bien à partir de ce chapitre que tout s’accélère dans l’histoire de Mahaut d’Artois puisque, comme le précise l’auteur, «  Mahaut, qui avait su résister aux seigneurs locaux, à sa belle-mère et aux revendications de son neveu, Robert, fut trahie par ses propres filles. »   Il s’agit du scandale dit « de la tour de Nesles ». Les années qui suivent furent tout aussi difficiles puisque la comtesse eut à affronter les assauts de son neveu ainsi que la révolte des nobles.

Témoin et actrice de son temps, Mahaut d’Artois fut une « femme en guerre »   . Et c’est bien plus son gouvernement, la manière dont elle a défendu ses biens et la façon dont elle a géré les accusations qui étaient portées contre elle, qui sont analysés dans cet ouvrage. On peut regretter que l’auteur ne s’attache pas réellement à montrer les rouages du pouvoir de Mahaut, ou à initier une réflexion sur les spécificités du pouvoir de la comtesse. Manquent peut être aussi des outils conceptuels qui gonfleraient l’analyse et permettraient d’aller plus loin que la description pour proposer ce que Foucault a appelé une « analytique du pouvoir ». Cependant, la lecture de cette biographie permet d’approfondir un cas particulier et tout à fait passionnant, celui d’une femme de pouvoir au XIVe siècle. Il offre aussi une manière de se replonger dans le contexte politique du royaume de France au XIVe siècle. Ainsi c’est bien la vie d’« une femme de pouvoir » qui est présenté dans cet ouvrage dont la lecture reste claire et facile. Quant au pouvoir féminin à la fin du Moyen Âge, il reste  encore à définir