Opposé à la théologie de la libération, Jean-François Bouthors, en appelle au catholicisme libéral.  

On n’a jamais autant parlé de la fraternité, surtout à une époque où le repli sur soi est une des causes de la fracture du lien social. La réserve citoyenne créée par l’Etat pour compenser la défaillance de la fraternité, le troisième principe de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen, arrivé tardivement, serait le souhait de sa réactivation. Du côté des catholiques, si on en croit Jean François Bouthors, ancien journaliste à La Croix, éditorialiste à Ouest- France, éditeur et écrivain, auteur du « Petit Eloge du catholicisme français » il faut défendre la réconciliation fraternelle de l’Etat et de l’Eglise, dans une sorte d’appel à l’ouverture. Accoler catholicisme à français c’est déjà tenir ensemble sans toutefois les confondre, la religion et la nation. C’est ainsi qu’il  consacre  tout un chapitre à la fraternité, non pas pour se mêler des affaires de l’Etat, mais bien au contraire pour entériner la ligne de démarcation de la laïcité, entendue tout à la fois comme distinction et collaboration du politique et du religieux. A lire de près le texte on découvre que cette ligne est énoncée dans l’expression « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » : les catholiques s’occupent de l’homme, l’Etat du citoyen. C’est ainsi qu’il donne à saisir le sens de la laïcité : ne pas tout confondre. C’est ce qu’il explique en prenant l’exemple de Saint Louis. Quand ce dernier se mit à gouverner l’Etat en y mêlant le religieux, cela provoqua des catastrophes. C’est cela le mérite des catholiques : comprendre la laïcité à laquelle ils ont toujours su œuvrer selon Jean François Bouthors.

Liberté audacieuse

Cet éloge est d’abord un récit personnel, une histoire, celle des convictions catholiques d’un homme. Le mot éloge renvoie à deux champs : c’est un genre littéraire qui consiste à vanter les mérites, ici du catholicisme, et c’est aussi une bénédiction. La littérature se met ainsi au service de la foi qui ne se nourrit pas que des textes évangéliques. D’où un ton enthousiaste mais mesuré par la prise en compte de l’histoire du catholicisme. Il ne s’agit pas d’oublier le passé de l’Eglise, celui de l’Inquisition par exemple, ou encore son attitude lors de la Seconde guerre mondiale.  La foi ici tient compte de la raison, de la même façon que l’Etat tient compte des affects dans sa façon de gouverner. À la profession de foi des politiques, Jean François Bouthors  oppose sa propre déclaration de foi de croyant, cherchant à se démarquer des catholiques qui eurent des comportements inacceptables, prouvant ainsi sa liberté, sa liberté de pensée qu’il qualifie de juste écart. Le premier chapitre a pour titre « aveux ». Certes c’est un moment où il raconte son enfance, mais aussi l’histoire de ses choix responsables. Le catholique ne saurait fuir sa propre responsabilité et sa liberté : une autre façon de dire que cette communauté laisse chacun libre de sa propre réflexion et ne se soumet pas naïvement au dogme. Il s’agit de comprendre cette liberté comme mise à l’écart, distanciation. Ce n’est pas le feu de l’action qui importe, bien plutôt la réflexion. La laïcité c’est laisser la décision politique à l’Etat.

Ouverture à l’autre

La laïcité ne relève pas tant d’une opposition entre deux institutions, que de la présentation en parallèle de deux attitudes collectives et personnelles, se prêtant mutuellement main forte. Une sorte de séparation collaborative. Cette séparation tient à l’être même de chaque institution. La croyance catholique doit être audacieuse. Pour éclairer ce qu’il entend par là l’auteur cite En attendant Godot : « Godot ne vient jamais si on ne l’invente pas. L’audace, c’est de l’inventer, de lui permettre de surgir de l’intérieur de soi, sans quoi il n’a rien à dire »   . L’audace c’est de croire que l’amour est « l’essence de la vie ». et de rajouter que cela dépasse les classes sociales. Le croyant catholique agit au nom de l’amour, l’Etat au nom du juste. La fraternité se donne alors à comprendre comme une prérogative catholique au service de l’Etat.

Fraternité catholique

Les hommes sont tous frères même si cette fraternité n’attend nulle réciprocité. Pour l’auteur, cette attitude se justifie par le fait qu’il faut se voir soi-même comme un autre, reprise du titre d’un ouvrage de Paul Ricoeur. Portant en lui le principe de vie divin, l’homme ne saurait se réduire à son être biologique. « La fraternité est un renversement métaphysique » écrit encore Jean-François Bouthors. À un Etat qui se réclame lui aussi de la fraternité, les catholiques donnent un fondement qui dépasse le simple droit naturel de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Le texte, ne cessant de renvoyer à l’homme, donne même à comprendre que tout l’enjeu de cet ouvrage est de redistribuer les cartes entre les catholiques et l’Etat. Implicitement, cette inégalité présente dans l’acte fraternel puisqu’il n’y a pas de retour, fait de la fraternité une exigence catholique et non politique. L’Etat forge des citoyens, les catholiques des hommes. Les droits de l’homme sont affaire des croyants, les droits du citoyen de l’Etat. L’homme s’insurge, le citoyen fait la révolution. L’auteur cite François de Sales qui aurait montré que seul l’amour était un principe révolutionnaire. Aimer le pauvre, c’est aimer Dieu : « en enfermant l’avenir dans la lutte des classes le marxisme a perdu l’amour en route et a condamné le monde à manquer terriblement de souffle »   . Même s’il évoque l’Abbé Grégoire qui rejoignit les rangs de la Révolution française, Jean-François Bouthors fait de la pauvreté la raison d’être du croyant. Il s’agit, dans une sorte de retour philosophique à l’éthique de Lévinas, de vivre l’insurrection qui consiste à voir « le surgissement de l’incommensurable dans la figure de l’autre », sans pour autant bousculer l’ordre social, ceci étant affaire de l’Etat.

Un catholicisme anticommuniste se défendant des « khmers rouges » de l’intégrisme.

Le communisme est à plusieurs reprises mis à mal dans l’ouvrage. A titre d’idéologie d’abord. Jean-François Bouthors renverse la critique que Marx faisait de la religion en lui renvoyant l’attribut « idéologie ». Le ton est brutal et sans concession. À propos des intégristes de la foi, des identitaires, il parle de talibanisation, du retour du clergyman et de la soutane. Ces représentations contribuent selon lui à défigurer le catholicisme. Les grandes figures du catholicisme sont françaises et croient à la force de l’amour et à « la nécessité impérieuse de la justice »   . Le catholicisme a ses modèles : Jeanne d’Arc, Sœur Emmanuelle, l’Abbé Pierre… « Clavel ce soir-là nous disait qu’il n’y avait pas besoin de Marx et de ses émules pour être un homme libre et entrer en dissidence »   . Revendication de la liberté, refus de se mêler du politique. Certes. L’Etat aujourd’hui a des difficultés à  se faire entendre. Panser les plaies est honorable. L’appel à un encouragement  de l’individualisme catholique contre des idéaux politiques de gauche qui l’amène à écrire « Voilà la vraie révolution, bien avant que Marx ne culbute Hegel pour faire du prolétariat la force motrice de l’histoire »   nous amène toutefois à nous interroger sur ce parti-pris qui refuse toute théologie de la Libération... « Si Jean Paul II s'est opposé, avec raison, à l'annexion du christianisme par le marxisme dans certaines formes de la théologie de la Libération, c'est avec tout autant de vigueur qu'il faut dénoncer, aujourd'hui, la tentative d'enrôler le christianisme dans des combats politiques identitaires et nationalistes » déclarait Jean François Bouthors dans Ouest France   . Le catholicisme n’est pas un idéal politique. C’est clair. Toutefois ces nombreuses références à des individus, à l’exercice du jugement, relève d’un choix libéral. Très furtivement est cité Lamennais   . Félicité Robert de La Mennais ordonné prêtre en 1815, s’affirme très vite comme l’un des défenseurs les plus actifs de la contre-révolution. Lui aussi défend le pauvre :

« Au Peuple

Ce livre a été fait principalement pour vous ; c’est à vous que je l’offre. Puisse-t-il, au milieu de tant de maux qui sont votre partage, de tant de douleurs qui vous affaissent sans presque aucun repos, vous ranimer et vous consoler un peu ! »  

Il s’agit de respecter l’Etat au risque de perdre le droit et le juste, comme ce fut souvent le cas dans l’histoire du catholicisme. Il s’agit de consoler. Cela a pour nom catholicisme libéral.  Puissance libérale que cette liberté dont nous parle l’auteur en guerre avec le marxisme. On peut dès lors se demander s’il est si éloigné que cela du politique

À retrouver dans le dossier « La Laïcité au coeur du Catholicisme ».