Cette introduction d’un dossier sur la religion en est le premier moment consacré au rapport religion-laïcité à partir des travaux de Jean Baubérot, Philippe Portier et Céline Béraud. 

« Plutarque affirmait que le « déséquilibre entre les riches et les pauvres est la plus ancienne et la plus fatale des maladies des Républiques » »   . L’économiste John Kenneth Gaibraith rappelle dans L’art d’ignorer les pauvres, la solution proposée par la Bible à cette situation : « les pauvres souffrent en ce bas monde, mais ils seront magnifiquement récompensés dans l’autre »  


Si la religion présente dès le départ une ambiguïté étymologique pour la définir - le terme renverrait à deux origines : religere et/ou relegere, qui l’associerait dans l’hypothèse de religere au « lien » – il en est une autre que l’on ne prend pas assez en compte pour comprendre les enjeux de la laïcité. C’est le mot laïcité lui-même.  Avant le terme de laïcité qui surgit en 1871 pendant la Commune de Paris, dont on parle bien moins que la loi de 1905,  il y a le mot laïcat, renvoyant à l’Eglise catholique, désignant l’ensemble des croyants n’appartenant pas à l’ordre monastique.

« Le mot « laïc », apparu au XIIIe siècle et d'usage rare jusqu'au XVIe siècle, est issu du latin laicus « commun, du peuple (Laos) », terme ecclésiastique repris au grec d'église λαϊκός, laikos, « commun, du peuple (Laos) », par opposition à κληρικός, klerikos (clerc), désignant les institutions proprement religieuses. Le terme laicus est utilisé dans le vocabulaire des églises chrétiennes dès l'Antiquité tardive pour désigner toute personne de la communauté qui n’est ni clerc, ni religieux; c'est-à-dire profane en matière de théologie. Cependant, elle appartient bien à l'Église, dans le sens qu'elle en suit le culte (l'incroyance étant alors inconcevable à l'époque); et peut même y exercer des fonctions importantes. L'abstrait désignant cette position a donné en français le terme « laïcat ». Au Moyen Âge, le mot « laïc » distingue l'homme commun, qui doit être enseigné, de l'individu instruit consacré par son état religieux »   .

Le laïcat : un concept de distinction au sein de la religion catholique.

Vers1150, la religion est l’« état d'une personne engagée par vœu dans un ordre monastique ». Ceci implique une fermeture sur soi et l’ordre catholique, même si le moine ne vit pas toujours cloîtré, et surtout peu d’élus entretenant un rapport hiérarchique avec ceux qui sont « laïcs ». On fait vœu de religion, par choix et liberté. C’est un choix individuel, qui relève de l’espace privé. Il suppose un rapport de l'homme à l'ordre du divin ou d'une réalité supérieure, tendant à se concrétiser sous la forme de systèmes de dogmes ou de croyances, de pratiques rituelles et morales. Depuis la crise de 1880-1910 entre l'Église et l'État, l'usage s'est établi en France, de réserver deux orthographes du mot à deux significations différentes : laïc s'écrit des chrétiens qui n'appartiennent pas au clergé ni aux ordres religieux (le nom correspondant est laïcat, « ensemble des laïcs ») et laïque s'écrit de ce qui respecte strictement la neutralité vis-à-vis des diverses religions.

Le laïcat ou ensemble des laïcs est par conséquent l’ensemble des croyants très souvent issus du peuple. C’est le clergé seul qui n’est pas laïc. Héloïse que présente Etienne Gilson dans Héloïse et Abélard   écrira dans ses lettres que « la seule règle à laquelle le Chrétien soit tenu, c’est l’Evangile »   . Que faut-il comprendre ? Le refus de cette distinction entre Monastère et laïcat. C’est le pouvoir religieux catholique qui introduit le terme de laïc dans un souci de hiérarchie et de domination. Le laïc est croyant mais ne participe pas au pouvoir de l’Eglise. Le laïcat est ainsi un concept qui porte en soi une exigence de séparation hiérarchique de la part du clergé. Pour s’en convaincre, il suffit pour cela de lire encore Héloïse. La seule différence écrit-elle entre le clergé et le laïc c’est le vœu de continence. Cela conduit d’ailleurs à s’interroger, précise-t-elle sur le sens à donner à la sacralisation du mariage.

La laïcité, un renversement ?

Le mot de laïcité se définit communément comme : « principe de séparation dans l'État de la société civile et de la société religieuse ». Un principe c’est un point de départ accepté et nullement soumis à discussion.

Le mot apparaît en 1871au moment de la Commune de Paris, comme l’un de ses premiers décrets. Rien à voir avec le laïcat. L’hostilité est dirigée envers l’Eglise Catholique et plus précisément en réponse au Concordat de 1801 et à la loi Falloux. Mais cette esquisse de 1871 sera peu citée. On ne retiendra que la loi de 1905. Pourquoi un tel silence ?

Selon Jean Baubérot, invité au Comptoir des Presses le 16 septembre 2015, aux côtés de Philippe Portier et Céline Béraud, auteurs de Métamorphoses catholiques, il y aurait en fait, sept idéaux-types de la laïcité, ce qui complexifie notre définition initiale   . Cela conduit le sociologue à parler de la laïcité au pluriel. Il ne s’agit pas d’essentialiser la laïcité écrit-ildans Les 7 laïcités. Il n’y a pas en France une seule laïcité. Affirmer le contraire c’est accentuer le malaise. Gardons le pluriel. Cependant, la question de la laïcité semble se poser  à chaque fois que l’Etat traverse une crise.
La laïcité est un concept flou. À lire de près Jean Baubérot,  trouver une solution à la dissolution du lien social, à la crise de la nation, consisterait à rompre avec la loi laïque de 1905, trop figée sur la question de la séparation. Le refus du mot « laïque » renvoyant à la neutralité, se manifeste donc par le choix du mot laïcité. Remettre en question les idées qui ont conduit à cette situation, l’idée de progrès des Lumières, la critique marxiste ramenant la religion à l’opium du peuple, ou encore la psychanalyse, c’est réintroduire un nouveau principe transcendant qui donnerait sens et cohérence au groupe social. On a déjà la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. La fraternité y figure. Qu’apporterait de plus le principe de laïcité ? Faut-il y lire un correctif du principe révolutionnaire d’une fraternité non religieuse ?

En quête de morale

L’« Enseignement civique et moral » a fait sa rentrée en septembre 2015 pour tous les élèves, dans la précipitation, du fait de la publication tardive des programmes. On pourrait s’attendre à une répétition de l’ancienne éducation civique. Il n’en est rien. Se rajoute à la question citoyenne la notion de morale associée à celle de laïcité. La laïcité est depuis 1905 comprise comme un principe de séparation. Y associer la morale est un parti-pris qui consiste à sortir de la séparation rigide entre la société civile et la société religieuse. À regarder de près la réforme, il ressort la volonté d’un dialogue entre les institutions d’Etat et les religions. Mais s’agit-il vraiment des religions dans leur diversité ?

La doctrine sociale de l’Eglise

Au vu des origines du mot laïcité, le laïcat, il est peu surprenant de lire ces propos du Pape François : « Quand, au nom d’une idéologie, on veut expulser Dieu de la société, on finit par adorer les idoles, et bien vite l’homme s’égare lui-même : sa dignité est piétinée, ses droits sont violés ». Le catholicisme serait un rempart contre la superstition et le fanatisme. La société est un espace laïc, l’espace où le dialogue doit participer certes à la conversion mais entretenir le dialogue avec les autres religions. . C’est ainsi que l’Eglise catholique s’adresse à l’Islam, de façon subtile. L’islam est la cible réelle de ce débat autour de la laïcité, sous le patronage des catholiques qui se présentent comme ouverts au débat. Comme nous l’avons montré la laïcité puise ses  sources dans le catholicisme. Dès le début le principe de laïcat est séparation du clerc et du laïc. Cependant qu’en est-il de ce principe de laïcité pour une religion qui ne connait pas le terme puisque sa structure est radicalement différente ?

L’hypothèse que je pose, et à laquelle ce dossier tentera de répondre, est que la laïcité est restée, sauf en 1871 et dans les discours radicalement opposés à la religion, un concept catholique. Le catholicisme a subi des métamorphoses   . La France est une nation enracinée dans le catholicisme. La hiérarchie de l’Etat et de l’Eglise catholicisme ne cesse de nous rappeler que laïc a pour sens premier le peuple. La France traverse une crise financière qui affaiblit la République. Elle a à faire face à des actes terroristes qui paniquent les citoyens. Alors elle appelle au secours la morale et la religion catholique, non pas pour se fondre en elles, mais pour garantir la sûreté de ses propres institutions. La laïcité est au cœur du catholicisme. Lisons un extrait de la Doctrine sociale de l’Eglise((source : http://www.doctrine-sociale-catholique.fr/index.php?135))

Le Catholicisme  au cœur de la laïcité

« Mais, reconnaissant que de l’ivraie avait été semée avec le froment, il ordonna de les laisser croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, qui aura lieu à la fin des temps. Ne se voulant pas Messie politique dominant par la force, il préféra se dire Fils de l’Homme, venu « pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude »((Mc 10,45)). Il se montra le parfait Serviteur de Dieu , qui « ne brise pas le roseau froissé et n’éteint pas la mèche qui fume encore »   . Il reconnut le pouvoir civil et ses droits, ordonnant de payer le tribut à César, mais en rappelant que les droits supérieurs de Dieu doivent être respectés : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »    »

L’Etat ne se sépare pas de la religion. Bien au contraire. Il répond à l’appel des Indignés pour en montrer l’insuffisance : « et bien que l'indignation ait une apparence d'équité, il n'en est pas moins vrai que tout régime légal est impossible là où chacun se fait juge des actions d'autrui, et prend en main la défense de ses propres droits et de ceux des autres »   . Alors l’Etat s’ouvre à la laïcité

 

SOMMAIRE

1. Une lecture croisée et personnelle, par David Dominé-Cohn, de :
 
- Jean Baubérot, Les sept laïcités françaises. Le modèle français de laïcité n'existe pas
- Céline Béraud, Philippe Portier, Métamorphoses catholiques. Acteurs, enjeux et mobilisations depuis le mariage pour tous

2. Céline Béraud, Philippe Portier, Métamorphoses catholiques. Acteurs, enjeux et mobilisations depuis le mariage pour tous, par David Dominé-Cohn

3. Pierre Manent, Situation de la France

4. Jean-François Bouthors, Petit éloge du catholicisme français

5. Entretien avec Jean Baubérot, Philippe Poirier et Céline Béraud

6. Entretien avec Galeb Bencheikh

7. Une analyse : « L’athée nous interroge »

8. Une chronique : « Langres, quelque part en Champagne, une ville de philosophes »