Depuis ce qu’il est convenu d’appeler « Charlie », la nation est au premier plan. Elle fait d’ailleurs partie du programme d’histoire au concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure. Cet événement est probablement tout à fait étranger au choix du jury, mais il y a parfois de drôles de coïncidences.

Ce jour-là, on parla d’élan national. Les français manifestaient leur soutien à l’idée de nation. En tête, le Président de la République cherchant à être le symbole d’une nation unie, derrière lui. À ses côtés, les représentants des autres nations européennes, signifiant un pouvoir supranational, l’Europe, ne désintégrant pas la nation française mais la consolidant. Une Europe des Nations, dont l’idée se trouvait déjà chez Kant, une Europe de la paix, voilà quel était le message. Ce message se voulait politique. Le Président n’était plus l’homme normal, aux prises avec sa vie sentimentale, il retrouvait la distanciation d’un pouvoir politique sacré au service d’hommes et de femmes affolés. Il incarnait la souveraineté imposant obéissance contre l’ennemi…pouvant aller jusqu’à exiger le sacrifice.

Il faut un ennemi à la nation pour actualiser la communauté politique...

Qui dit nation dit unité, identité, opposition à…celui qui est hors de la nation. Certes les frontières s’estompent mais elles sont encore là…au moins dans l’imaginaire collectif. Ceci n’a rien de nouveau. La nation, dans sa fixité, a toujours signifié, opposition à un extérieur. Une nation citoyenne, telle en est la définition. Pendant longtemps, au nom de la citoyenneté étaient exclus de la nation, les femmes, les colonisés, etc.

Ce jour-là François Hollande marchait. Nul statisme. Une nation en marche, ouverte, ayant mis de côté la restriction citoyenne pour ouvrir la nation à l’humanité. Une nation sans terre, délivrée apparemment de la patrie et du sol…une nation qui renouait avec les thèses de Rousseau : une nation d’hommes et de femmes libres.

Mais cette adaptation de Carl Schmitt, explique non seulement la dimension politique de l’Etat et sa différence avec le nouveau parti : Les Républicains, qui à la lumière de Hobbes, dissout le politique dans un autre corps que celui de la nation. D’où l’absence du mot « nation » chez Nicolas Sarkozy. Ce dernier refuse la solution politique qu’évoque la nation. Il n’y a que de l’économie chez l’ex-Président. Ainsi se comprend également le message au Front National : contre le repli nationaliste la marche vers l’ouverture.

Bien sûr l’interrogation autour de la nation ne date pas d’aujourd’hui. Le siècle des Lumières, attaché au poids de la raison, au progrès de l’histoire et surtout à des convictions politiques républicaines, inaugure le questionnement. Il s’agit alors de penser un changement de régime politique. Le peuple est au cœur du débat. Le peuple on s’en méfie. Ne perdons pas de vue que la nation a pour effet essentiel le contrôle du peuple. Ce n’est pas une œuvre caritative que celle d’inventer la nation. Le peuple n’existe d’ailleurs pas avant la convention qui transforme la foule indisciplinée et sauvage en un peuple réuni par la loi, écrira Rousseau. Le peuple, cette grosse bête prête à dévorer n’importe qui et en premier celui qui croit l’avoir dressé, rajoute Platon dans Les Lois. « Le peuple ne peut pas même souffrir qu'on touche à ses maux pour les détruire, semblable à ces malades stupides et sans courage qui frémissent à l'aspect du médecin » rajoutera Rousseau dans le Contrat Social.

Le but de la Nation c’est la liberté, entendue comme obéissance aux lois. Le sujet obéit à la loi, à nul autre maître. Il obéit à lui-même puisque ces lois sont l’émanation de la volonté générale, distincte de l’intérêt particulier. Etonnante liberté toutefois qui ne se soucie pas de celle des femmes ou encore des peuples réduits en esclavage ou colonisés. Les hommes naissent libres et égaux sera écrit dans le Préambule de la Déclaration des Droits de l’Homme. Et déjà, apparaît ce qui sera au cœur de notre lecture de la nation : très vite les considérations d’égalité vont prendre le dessus sur celles de liberté, la séparation entre les hommes se justifier au nom de la nation.

Ce qui devait rassembler va séparer

Etonnante affirmation, mais au fur et à mesure, l’insistance sur l’égalité sociale et économique, va transformer l’espace politique national en espace économique. La nation devient la caution d’un jeu différentialiste voire hostile aux autres nations, du fait de cette priorité accordée à l’économie. L’omniprésence de l’économique va alors contribuer à rendre problématique l’idée de nation. Les querelles partisanes peuvent se réduire à cette problématique : libéralisme politique ? libéralisme économique ou protectionnisme ?

Faisons la lumière sur ces partis-pris et réfléchissons à d’autres possibles…L’analyse n’est jamais achevée.

 

SOMMAIRE
 

1. Marie-Andrée Ricard, Adorno humaniste

2. Andreas Beyer et Jean-Marie Valentin, Lessing, la critique et les arts

3. Christophe Bouriau, Les fictions du droit. Kelsen, lecteur de Vaihinger

4. Barbara Cassin, La nostalgie : Quand donc est-on chez soi ?

5. Seloua Luste Boulbina, L’Afrique et ses fantômes : Ecrire l’après

6. Alexis Nouss, La condition de l’exilé

7. Didier Daeninckx, La route du Rom

8. Alain de Libera, L’invention du sujet moderne

9. Frenc Karinthy, Epépé

10. Sandor Marai, Les étrangers

11. David Le Breton, Disparaître de soi

12. Gérard Noiriel, Qu’est-ce qu’une Nation ?

13. Stéphane Mosès, Jean-Yves Masson, Approches de Paul Celan