* Cet article constitue le quatrième volet d'une enquête sur l'engagement de Malala Yousafzai pour les droits des femmes au Pakistan.

 Malala tente un exercice périlleux alors qu’elle réside désormais à Birmingham, ville anglaise qui accueille une importante communauté pakistanaise dont une frange non négligeable adhère à un islam rigoriste. L’adolescente, alliant impartialité et modération, s’attache à porter un regard critique sur la société dont elle est issue. Elle aborde le pauvre développement de la République Islamique du Pakistan mais aussi la piètre condition féminine. Ainsi Shahida, aide-ménagère qui travaillait chez ses parents, n’avait-elle que dix ans lorsque son père la vendit à un vieil homme qui, déjà marié, souhaitait une jeune épouse. Il opta, devons-nous ici préciser, pour une fillette car le coût d’une adolescente était sans doute supérieur. Les sociétés rurales du sous-continent (toutes confessions religieuses confondues) sont, en tout état de cause, familières d’unions à un âge précoce, et cela, en dépit de législations les prohibant. Une très grande pauvreté mais également un imaginaire politico-social sous-continental qui fait des filles et femmes de condition inférieure des biens échangeables explique de tels usages.

« Si des filles disparaissaient, ce n’était pas toujours », écrit Malala Yousafzai, « parce qu’on les avait mariées   . L’auteure aborde la problématique des crimes d’honneur que le Pashtunwali valide. Elle donne l’exemple d’une voisine, Seema. Celle-ci, âgée d’à peine quinze ans, entretenait une amourette qui n’était faite que de regards furtifs qu’elle lançait de temps à autre à un garçon. L’on annonça, un jour, qu’elle s’était suicidée, mais Malala Yousafzai apprit plus tard que sa famille l’avait empoisonnée. Autre pratique que l’adolescente se contente de mentionner : celle de la swara – qui permet à deux familles de résoudre un différend en faisant don de l’une de leurs filles ou en recevant une de la partie adverse ; les mariages qui en découlent scellent un accord aux termes duquel la partie féminine, parfois pas même pubère, est affublée d’un homme souvent bien plus âgé. La nouvelle épousée, qui rejoint une famille élargie, se doit de satisfaire au service d’une belle-mère traditionnellement irascible tandis que sa belle-famille, quelquefois soucieuse de vengeance, peut transformer sa vie en calvaire.

Il est d’autres coutumes archaïques que nous souhaiterions, pour notre part, mentionner, tel le mariage au Coran dont la province du Sindh use. Les familles soucieuses de préserver un statut social supérieur peuvent, faute d’un prétendant acceptable, interdire implicitement à leurs filles tout mariage, les liant d’une manière irrévocable au Coran   . Celles-ci demeurent au sein d’une structure familiale qui se charge d’elles jusque dans leur vieillesse ; elles ont souvent un statut bien plus enviable que leurs consœurs, puisqu’elles sont libérées de la férule maritale et de trop fréquentes maternités. Seule ombre au tableau : une nécessaire virginité…

L’union entre cousins germains est fréquente, une coutume qui a pris le rang de tradition. L’objectif initial visait à faire obstacle à l’émiettement des biens, en particulier fonciers. Face à l’absence de véritables sanctions qui tenderaient à progressivement éradiquer la violence conjuguale et une législation qui valide la polygynie, de telles unions autorisent les femmes à quelque protection de leur belle-mère, puisque celle-ci est également leur tante. De même le clan peut-il tenter de s’opposer à ce que ses membres masculins contractent une seconde union ; les hommes, quant à eux, revendiquent parfois une telle liberté, arguant qu’ils n’ont pu choisir leur première épouse. Des quelques entretiens que nous purent, quant à nous, mener en République Islamique, il nous semble que la polygamie (au demeurant, minoritaire, à considérer la crise économique) est un privilège dont la gente masculine se pare, car elle l’autorise à faire montre de supériorité. Les femmes, pour leur part, n’osent s’en indigner publiquement de crainte d’être accusées de renier des principes divins fondamentaux. Les féministes pakistanaises n’en indiquent pas moins que lors de la révélation coranique, l’esclavage était une pratique qu’aucune religion monothéiste n’avait banni mais qui vint peu à peu à s’effacer ; tel devrait donc être le cas de la polygamie.

Quant aux crimes dits d’honneur dont l’ensemble du territoire pakistanais est le champ, ils témoignent de la permanence d’un patriarcat qui entend maintenir son emprise sur les corps de femmes. Cette sanction a, au Pakistan, diverses appellations. Elle frappe autant les femmes mariées que les femmes célibataires, lorsqu’elles sont soupçonnées d’entretenir voire d’envisager une liaison voire un simple rapprochement ; la promesse de mariage par le coupable n’induit aucune clémence. Les motifs de ce qui est, en fait, une mise à mort de femmes déclarées pécheresses n’ont pas toujours trait à la défense d’un honneur strictement masculin. L’on cherche, par exemple, à se débarrasser d’une parente qui revendiquerait son droit à l’héritage. L’islam octroie à la gente féminine une demie part d’héritage tandis que la gente masculine en perçoit une. Les femmes sont cependant appelées à y renoncer, prenant notamment en compte les sacrifices auxquels leur famille consent afin de les marier : l’islam du sous-continent indien a en effet emprunté à l’hindouisme la coutume d’une dot aujourd’hui ruineuse.

Malala Yousafzai, se faisant le chantre d’un meilleur statut féminin en République Islamique du Pakistan, se doit d’adopter une attitude irréprochable ; elle vise à devancer les critiques promptes à la soupçonner voire à l’accuser de renoncer aux valeurs politico-religieuses nationales pour adhérer à un Occident jugé décadent. Sa récente notoriété a, comme nous l’avons déjà souligné, provoqué dans l’État dont elle est originaire une levée de boucliers. En tout état de cause, l’adolescente qui a toujours refusé de voiler son visage continue de couvrir ses cheveux d’une manière lâche : elle témoigne ainsi de son refus du rigorisme mais également de son attachement à une tradition qui fait de ce que les cultures musulmanes nomment la modestie féminine une valeur clé. Elle a d’ailleurs choisi, en couverture de son ouvrage, une photo où elle répond aux critères de simplicité des jeunes filles provinciales, alors même que les salons d’esthétique - très répandus dans le sous-continent - proposent des nettoyages de peau et une épilation de sourcils trop fournis. L’observateur peu familier du Pakistan notera sans doute la couleur rose fuchsia de son voile et de sa longue tunique (une kamiz) ; toutefois l’on tend, en Asie du Sud, à privilégier les teintes vives. De surcroît, celles-ci constituent probablement une forme de protestation au Pakistan. Paradoxe d’un pays où les femmes sont assignées au rôle de dépositaires de l’honneur masculin, il est une débauche de tissus dont les marchés regorgent ; nombre de commerçants et de tailleurs vivent d’achats et de commandes incessantes. Et il ne faut pas se moquer d’un virus qui touche toute femme qui séjournerait quelque peu au Pakistan. Au demeurant, l’attachement affichée de Malala aux traditions pachtoune puis pakistanaise l’autorise à une critique prudente du statut auquel les femmes sont soumises : l’auteure, tout comme la majorité des défenseurs des droits humains au Pakistan, se contente de prôner l’accès libre des filles à l’instruction et la fin de pratiques archaïques?

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