En France, la réforme constitutionnelle de 2008 a accordé des droits nouveaux à l’opposition parlementaire. Comment définir son rôle politique ? Quel est son statut dans nos démocraties majoritaires ?

Faisant suite à la réforme constitutionnelle de 2008, l’ouvrage en question est le fruit d’un colloque sur "l’opposition parlementaire" qui s’est déroulé en décembre 2011 à l’Assemblée nationale. Comme il est de coutume pour le Groupe d’Etudes sur la vie et les institutions parlementaires (GEVIPAR), ce colloque rassemblait des juristes, des politistes, des historiens et plusieurs praticiens pour lesquels il s’agissait de revenir sur la réforme inaugurée alors. Les modifications constitutionnelles étaient en partie inspirées des recommandations contenues dans le rapport rendu au président de la République par un comité de réflexion sur la "modernisation et le rééquilibrage des institutions" composé de juristes et présidé par l’ancien Premier ministre Edouard Balladur. Les dispositions nouvelles permettent notamment de reconnaître que les groupes parlementaires sont les lieux de "l’expression pluraliste des opinions" (article 4 de la Constitution) et garantissent des "droits spécifiques aux groupes d’opposition" (article 51-1). L’objet de l’ouvrage dirigé par Olivier Rozenberg et Eric Thiers est donc de prendre pour objet "l’opposition parlementaire" et de le soumettre à un double examen interdisciplinaire et comparé.
   
Dans une certaine mesure, cette réforme contribue à la remise en cause du système majoritaire qui structure l’esprit de la Constitution de 1958, puisqu’il s’agit d’abord de reconnaître l’opposition et ensuite de lui attribuer un rôle institutionnel et politique. Elle fait alors du Parlement une instance délibérative où les lois ne s’imposeraient pas par la simple volonté de la majorité mais au travers d’un consensus négocié. L’ouvrage revient sur ces questions et nuance quelque peu la portée des réformes.

En lui-même, l’objet du livre est novateur, malgré un récent regain d’intérêt (voir notamment les travaux du groupe de recherche LEGIPAR), les institutions parlementaires n’ont jamais véritablement fait l’objet d’analyse de la part de la science politique (pour un éclairage, nous renvoyons à l’article d’Olivier Nay concernant cet "angle mort"). Dans cette même logique, l’opposition parlementaire fait davantage encore figure de rareté politologique. Les coordinateurs de l’ouvrage reviennent d’ailleurs sur les raisons du mutisme scientifique à l’égard de cet objet. Les difficultés à le circonscrire (l’opposition est multiple, s’exprime dans des arènes non exclusivement parlementaires et ne s’oppose pas toujours au groupe majoritaire mais aussi à la présidence, au gouvernement, etc.) et la consécration française de l’unité du corps politique ont ainsi constitué les principaux obstacles à son étude. Les deux coordinateurs de l’ouvrage fournissent un travail de définition et de délimitation fort utile, en caractérisant l’opposition de manière institutionnelle (les partis qui n’appartiennent pas au gouvernement, qui ont été défaits aux élections, etc.) et comportementale (par les votes, les déclarations, etc.). Dans la même veine, en revenant sur les différents manuels considérés comme des "classiques" de l’étude du droit, le premier chapitre revient plus systématiquement sur l’absence de prise en compte de l’opposition par le droit constitutionnel (en dehors de l’évocation du cas britannique). Le positivisme juridique, qui empêche d’étudier ce qui n’apparaît pas spontanément, couplé à l’idée que la loi serait l’expression de la volonté générale, fondent le statut de non-objet juridique de l’opposition. Son statut est de facto plutôt pris en compte par le droit parlementaire dans une visée plus pragmatique : décrire son rôle et protéger les minorités parlementaires.

Un chapitre plus historique revient sur deux siècles d’histoire parlementaire pour contextualiser l’émergence de l’opposition. Selon Jean Garrigues, il est possible de faire une distinction entre des constitutions autoritaires qui cherchent à contrôler, voire à museler l’opposition (1799, 1802, 1804, 1852) et des systèmes plus libéraux qui permettent la réelle émergence parlementaire de l’opposition (la IIIe République devient alors l’aboutissement de cette libéralisation). L’opposition est ainsi progressivement dotée de ressources (refus de voter, rejet d’une loi, droit d’adresse, droit d’interpellation, etc.). Toutefois, la Ve République semble avoir enrayé cette dynamique : l’ordre du jour est fixé par le gouvernement et l’investiture du Premier ministre échappe au Parlement. Ces dispositions constitutionnelles n’empêchent toutefois pas l’activisme de l’opposition (comme au Sénat lors de la réforme constitutionnelle de 1962 ou en 1984 dans l’opposition à la loi Savary). Les ruptures dans le gaullisme majoritaire à partir de 1974 et la possibilité pour un groupe de soixante députés ou sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel permettent à l’opposition de retrouver un rôle qui se voit donc consacré dans la révision de 2008.

L’exemplarité de l’opposition britannique justifie un chapitre spécial qui n’est pas intégré à la troisième partie sur la comparaison. "L’Opposition de Sa Majesté" (expression de 1867) et son organisation en cabinet fantôme (Shadow Cabinet) ont assuré la popularité du modèle de Westminster dans lequel l’opposition formée par le plus grand parti qui n’appartient pas au gouvernement a un rôle très institutionnalisé. Pourtant, et malgré une opposition très vive parfois, l’impuissance face à la majorité reste patente. Le chapitre rédigé par le constitutionaliste Guy Carcassonne clôt la première partie et revient sur l’expérience de celui qui fut le conseiller juridique du groupe socialiste qui formait l’opposition à l’Assemblée nationale en 1978. Le contraste est alors important entre le manque de moyens juridiques et institutionnels du groupe à l’époque et les possibilités offertes depuis. La réforme de 2008 invite cependant à la prudence : pour l’auteur, il faut voir l’usage fait par les parlementaires de ce nouveau rôle.

Cette première partie historique, juridique et politique permet de mettre au jour les conditions de possibilité d’une opposition au sein de parlement. Le système majoritaire n’exclut pas l’existence de minorités parlementaires actives, à condition que l’architecture institutionnelle lui laisse une place effective.



La deuxième partie se concentre sur le statut de l’opposition en France. Bastien François interroge ainsi les dispositions de 2008, dans la mesure où l’élection présidentielle structure grandement la compétition politique notamment depuis 2002. Le statut de l’opposition, s’il existe véritablement depuis la réforme, n’a encore rien permis de concret et dépend largement du bon vouloir de la majorité. Par la suite, Anne Levade revient une nouvelle fois sur les raisons qui expliquent que l’opposition ne soit pas véritablement un objet identifié par le droit et notamment sur la discrétion juridique de son statut et la faible étendue de ses droits. Pour elle, l’opposition est davantage une posture politique et ne peut être qu’un objet juridique identifiable par défaut. Finalement, Pascal Jan revient sur la succession de réformes (la saisine du Conseil constitutionnel en 1974, la révision de 2008) et fait un inventaire des droits offerts à l’opposition comme la possibilité d’occuper la présidence de la commission des finances, de figurer dans les rapporteurs de la loi, d’avoir un droit de parole garanti, etc.

La troisième partie fait se succéder différents cas nationaux, sans que la comparaison ne soit jamais réellement formalisée, si bien que l’on ne mesure pas toujours l’éclairage apporté ni même la détermination du type de démocratie majoritaire dont il serait transversalement question. Le cas de la Belgique permet toutefois de questionner le statut de l’opposition en raison de son extrême fragmentation. Les coalitions, la relativité du clivage droite/gauche, l’importance des clivages linguistiques et culturels et la structuration fédérale du pays empêchent de parler d’opposition au singulier. Le cas italien est particulièrement développé sur la question du musèlement de l’opposition parlementaire suite à l’obstruction systématique opérée dans les années 1980. Pour le reste, le fonctionnement coalitionnel semble avoir freiné les tentatives d’institutionnalisation de l’opposition. Le cas allemand semble précurseur de la protection de l’opposition puisqu’elle dispose de ressources (financières certes, mais aussi liées à un pouvoir de négociation de l’ordre du jour) depuis 1969. L’activisme de l’opposition permet de rechercher un consensus plus large entre les forces représentées au Bundestag et les partis (comme les verts) trouvent au parlement une arène pour se forger un rôle politique. Le cas du Bundesrat est aussi éclairant puisqu’il s’agit d’y représenter essentiellement les Länders dont la couleur politique peut être différente de celle du gouvernement. Thomas Saalfeld réussit à dresser un portrait concret du député de l’opposition, de son rôle dans le travail parlementaire et dans les différentes commissions. Les perspectives comparées s’achèvent sur une comparaison surprenante entre le Congrès américain et la Parlement européen. Dans le cas américain, la discipline partisane est relative et l’opposition se dilue rapidement dans les coalitions de vote en fonction de l’enjeu en question. L’opposition plus individuelle existe cependant notamment dans le cas du flibustering qui consiste à prononcer d’interminables discours pour faire obstruction au vote, ou pour contester les dispositions de textes dans le cas des rapports officiels (Minority report). Quant au Parlement européen, l’opposition est inexistante, seuls les groupes décrits comme relevant de l’extrême gauche et de l’extrême droite la constituent, mais dans une critique plus large de l’Union Européenne.

En guise de conclusion, Olivier Rozenberg liste les différents pouvoirs de l’opposition (l’opposition lors du vote, le droit à la parole, le droit de réponse, le droit à l’information, le droit d’alerter le juge) et invite à ce qu’ils soient protégés juridiquement. Il dresse également les différents obstacles à l’exercice du droit à l’opposition comme le rôle prépondérant de la présidence de la République, le recours au 49-3, ou encore le renoncement de l’opposition à exercer son rôle dans une stratégie d’exit.

Au final, l’ouvrage jette d’utiles bases de droit et de science politique pour comprendre la codification du rôle de l’opposition et la construction d’un arsenal à sa disposition. Les différentes contributions se retrouvent bien sur un objet similaire et circonscrit qui n’évite pas à l’occasion des redondances dans la présentation des réformes. On peut aussi regretter que le programme de sociologie des rôles ou du métier politique, esquissé en introduction, soit peu développé par la suite (interdisant ainsi de relier l’évolution des règles de l’opposition à celle qui affecte plus globalement le droit de participation aux activités politiques). On en sait par ailleurs peu sur le travail politique du député d’opposition. De même, les contributions se limitent à l’arène parlementaire et restent silencieuses sur d’autres arènes (temps de parole médiatique, travail en circonscription, etc.). Ces réserves n’enlèvent évidemment rien à l’intérêt de l’ouvrage pour comprendre les enjeux de la réforme constitutionnelle de 2008 quant à la question du droit de l’opposition et pour esquisser les bases d’une réflexion sur le fonctionnement majoritaire du Parlement en France
 

*À lire sur nonfiction dans le cadre du dossier "Ce que voter veut dire"

- Vers un consensus par absence d'opposition par Thomas Marty

- Des élections professionnelles, pour quoi faire ? par Laurent Willemez