Le mot de l’architecte Rudy Ricciotti, « être juste », ne peut manquer de prendre sa place dans cette chronique Arts et Sciences, en marge du fait que l’archi-tecture (archè-technè, en grec) tire son originalité d’être art, science et technique simultanément. Le DVD publié par la Cité de l’architecture et du patrimoine, à l’occasion de l’exposition (11 avril-12 septembre 2013) des travaux de Ricciotti dans le même cadre (Paris), montre expressément ce qu’apporte l’architecture aux débats Arts et Sciences, en référence plus particulièrement à l’art de vivre contemporain. Tourné et monté par Laetitia Masson (qui, sur le plan des portraits, n’en est pas à son coup d’essai), le film, produit par Nicolas Daguet/Killers film, soutenu par TV5monde, Lafarge, la Cité Chaillot et le ministère de la Culture, rend compte au plus juste de la perspective d’un architecte qui a fait de la physicalité de la matière et de la forme le motif de son travail. Dans le même ordre d’idée, le catalogue de cette exposition serait aussi à consulter.

L’occasion de ce film n’échappe à personne, en outre du service qu’il rend à l’exposition. Ricciotti est l’architecte du MUCEM de Marseille, ce musée qui a trouvé son occasion majeure et ses financements dans la nomination de la ville au titre de capitale européenne de la culture.

Le film – L’Orchidoclaste, 2013 - ne cache pas la difficulté de l’entreprise : parler de l’architecte ou parler de l’architecture ? On connaît les risques : 1 - muer l’architecte en starachitect ; 2 - dresser le portrait de l’architecte, de l’homme, pousse à une induction sur l’œuvre et réciproquement. Or, le rapport de causalité de l’un à l’autre n’est pas mécanique. Il a donc fallu à la réalisatrice toute son habileté pour, d’un côté, soumettre l’homme à une inquisition intime, tout en le laissant échapper à l’encerclement du film ; et, d’un autre côté, pour présenter l’architecture sans dissoudre la puissance des propositions esthétiques dans la vie camarguaise de l’homme Ricciotti (cigales à l’appui). La question est insérée dans le film, et l’option prise est défendue : ne pas construire un film didactique ou polémique, mais élaborer un film « romantique ».
L’architecture du film est adroite, mais classique, puisque découpée en chapitres : A l’origine (enfance et style de vie de l’architecte), l’architecte (à dompter, avec en surimpression des vues de toro en « arène » du film, mais aussi ses compétences), les chantiers (Vitrolles, Aix-en-Provence, Paris, Marseille), l’agence (passage plus banal, d’autant qu’on nous masque un peu trop les collaborateurs de l’agence et la réflexion conduite selon un principe d’échange), les projets, … 

Moyennant quoi, concernant l’architecture, un autre obstacle guette systématiquement les films de ce genre. On sait que l’architecture, pour peu qu’on soit habile, est photogénique sous de nombreux angles (surtout dans un pays de plein soleil). Mais la beauté des images ne rend pas toujours compte des projets conçus tout de même pour être « habités », elle peut enfermer dans l’hypertrophie de l’image qui met en transe le milieu de l’architecture depuis les années 1980. On peut se perdre dans les soleils couchants de la Méditerranée, ou dans les transparences d’un bâtiment en construction (c’est le cas, le film ayant été tourné durant la réalisation), sans avoir rien dit de son « utilité » ou de son « habitabilité ». Laetitia Masson évite l’obstacle, en donnant un thème à ses visites de chantier, et en mêlant habillement les questions de science de la matière (requise en architecture) et les questions esthétiques (la forme n’est pas une simple justification). Dernier obstacle tout de même : les coûts, la contextualisation, la prestation écologique. Il n’en est pas question dans ce film.

Ricciotti adopte une  position humble – l’heure n’est plus aux positions autoritaires et l’architecte peut se déposséder de son ancienne autorité -, expliquant que l’architecte n’a pas le don d’ubiquité ; que l’acte de bâtir résulte de centaines d’actes cumulés qui doivent cependant finir par faire sens (malgré tout le film pèche de ce côté-là, sauf à avoir nommé l’entreprise technique), malgré, par ailleurs, des aléas toujours possibles (qui d’ailleurs ne sont pas traités dans le film). La responsabilité de l’architecte est aussi tout entière engagée dans sa capacité à résister aux autorités, aux impératifs qu’on lui impose, aux dogmes de son époque ; de là, sans doute, l’insistance que met Ricciotti à citer l’œuvre de Fernand Pouillon (1912-1986) (présente à Marseille).

Pour revenir sur les rapports Arts et Sciences, on remarque facilement au long du film comment l’agencement des deux sources s’opère. La connaissance scientifique de la matière et des agencements se trouve toujours investie dans une réflexion sur les arts. Ricciotti cite ses références en la matière : le mouvement Arte Povera (Mario Merz, par exemple, pour le refus de la consommation), mais aussi le peintre Claude Viallat (1936, pour la disparition des cadres)

 

* Lire aussi sur nonfiction.fr, les dernières chroniques Arts et Sciences : 
- Arts et Sciences - L'altération des modes d'existence (3/3)
- Arts et Sciences - Le spectateur des arts technologiques (2/3)
- Arts et Sciences - De la définition d'un art technologique (1/3)
- Arts et Sciences - Ann Veronica Janssens