Dans son ouvrage, Expérience esthétique et art contemporain   , l'auteure, Marianne Massin, rappelle que la création artistique peut mobiliser la science dans des processus expérimentaux. Elle nous donne l'occasion de revenir sur un certain nombre de travaux dont nous n'avons pas eu l'occasion de parler dans cette rubrique, trop jeune par rapport aux travaux en question.

Dans les cas auxquels elle réfère, cette création déploie, écrit-elle, une démiurgie faustienne. Ou encore, elle invente des prototypes étranges et insolites.

Elle propose alors de distinguer soigneusement des démarches aussi radicalement différentes, dans leurs attendus et leurs résultats, que celles d'Orlan recréant son corps et l'hybridant dans des re-figurations qui questionnent les canons culturels de la beauté (opérations successives dans un perpétuel travail de remodelage de son propre corps) ; de Stelarc se dotant d'une troisième main technologique ou se faisant greffer une oreille sur l'avant-bras gauche (un corps en évolution par augmentation prothésique, créant ainsi des interfaces humain-machine) ; d'Eduardo Kac qui cherche à modifier par un art transgénique le vivant et crée avec le concours de savants le lapon Alba qui devient vert sous une certaine lumière (Alba GFP Bunny, le lapin a été modifié génétiquement par l'intégration à son patrimoine de gènes fluorescents d'une méduse). Le lecteur peut compléter cette liste à loisir à partir de nos chroniques. Mais ce n'est pas la liste qui est intéressante pour soi-même.

L'auteure relève ainsi de nombreux processus d'hybridation ou de bio-art qui ne cessent évidemment d'interroger la question du vivant et de notre rapport au vivant, à l'ère des biotechnologies. Et, en effet, elle en tire quelques considérations théoriques.

Tout d'abord, que toutes ces démarches donnent une place nodale à l'expérimentation scientifique - au risque par ailleurs de tomber dans le spectaculaire et de s'imposer sous la forme d'une injonction -, dont l'œuvre découle et témoigne à la fois. Au demeurant, il conviendrait effectivement d'analyser ces exemples de près, pour cerner au mieux l'intérêt de la recherche dans ce travail, et si justement l'intérêt ne gouverne pas la recherche.

Ensuite, elle remarque que ces travaux ont en commun le fait que le spectateur ne décide pas de l'expérimentation qu'il observe, il est placé selon les cas devant la décision, l'accomplissement ou le résultat des processus expérimentaux.

Et l'auteure de conclure : en conséquence, même si de telles propositions peuvent être risquées et inventives, même si elles donnent à réfléchir et à imaginer, l'expérience esthétique - c'est l'objet de la totalité de son ouvrage - du spectateur y est pour une part résorbée. « Il en est l'observateur ébaudi ou désapprobateur ». Et elle ajoute : "S'il y trouve souvent l'occasion de méditer, ce n'est pas en opacifiant la matière même du sensible ; l'étrangéisation est induite et produite par l'artiste ou le projet, elle ne l'est pas par celui qui reste ici un « spectateur », même s'il peut l'accompagner en direct ou en différé"

 

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