Les œuvres de SF lues et commentées par un scientifique.

Après La science mène l’enquête, Roland Lehoucq publie un nouveau recueil, La SF sous les feux de la science, à partir des rubriques régulières qu’il anime dans la revue Bifrost. L’auteur, féru de science-fiction, lit et commente romans, bandes dessinées, films et séries : amateur de martiens, de cyborgs et d’explorations intergalactiques, il est astrophysicien au CEA de Saclay, professeur à l’École polytechnique, président des Utopiales, festival francophone de science-fiction qui a lieu annuellement à Nantes.

L’auteur nous instruit parallèlement de fiction et de faits et théories scientifiques. En de courts chapitres aux titres amusant, nourris d’exemples, inspirés, il explique, rectifie, donne des réponses rationnelles à des fantaisies ou des erreurs. Avec la curiosité, la rigueur et les outils du savant, Roland Lehoucq revisite les œuvres récentes ou classiques (des dieux antiques à Wells, d’Asimov à Spiderman, X-Men).

En gardant son intérêt à l’histoire, il pousse l’invention d’auteur vers ses implications concrètes ou théoriques : éprouve la faisabilité, la vraisemblance, le défaut des systèmes et machines. En virtuose, il analyse, démonte, extrapole l’affabulation. La science nous éclaire sur le possible, les lois de la physique montrent l’inanité, l’esprit connaissant pousse plus loin l’extraordinaire et nous transporte vers des infinis défiant nos rêves et nos langages. Prenant au sérieux les thèses du romancier, il nous fait envisager les conséquences d’entreprises fictives pour l’écosystème ou l’organisme humain, le coût financier, la dangerosité, le décalage d’années-lumière. Sa déconstruction opposant la raison aux démesures explore la cohérence.

Ses enquêtes ludiques, incongrues, ses évidences surprennent, éveillant l’attention et la curiosité du lecteur. Il lui apprend à douter et poser des questions. Il met à sa portée d’inconcevables phénomènes. Il s’aide aussi de tableaux et renvoie le curieux à des lectures, films et sites littéraires et scientifiques.

La matière à fiction sert à Roland Lehoucq de prétexte à sonder avec humour et sérieux les propriétés d’hypermatériaux, de supermétaux ; il teste la résistance d’ufotechnologies (Star Trek), de propulsion, de nef (carb, scrith) ou de protection (bouclier-miroir, combinaison autonome). Nos capacités physiologiques pourront-elles traverser sans dommage les “trous de ver” (raccourcis spatio-temporels), la téléportation quantique (tels les jumpers) ou la dématérialisation ? Neutralisant divers rayons de la mort, il innocente les vampires. Demandant si l’homme invisible possède une ombre, il nous assure de sa cécité. Car observant au passage comètes, astéroïdes ou vaisseaux spatiaux, se rangeant de mille dangers, Roland Lehoucq nous rappelle les découvertes validées, les lois de la physique et la logique.

Le savant remet en cause l’efficacité jamais contestée des miroirs de la bataille de Syracuse((p. 18-19). Il nous apprend que sur l’Everest l’eau bout à 72 °C. Décrivant le fonctionnement des calendriers mayas, il révoque les fins du monde que nous ne vivrons ni le 21 décembre ni jamais ! Mais il atteste d’énergivores trous noirs : “En pratique, un trou noir de quelques masses solaires a une température lamentable qui se chiffre en milliardièmes de kelvin, mais un tout petit trou noir d’un milliard de tonnes, gros comme un proton, rayonne avec une température de l’ordre de cent milliards de kelvins. » Avant cela, nous ont été clarifiés le poids et la masse, les champs, les interactions (électromagnétiques, nucléaires et gravitationnelles), le vide, le proton et autres particules, les sources d’énergie, l’entropie, l’échelle kelvin, la vie et mort des étoiles et l’attirance des galaxies, l’apport de Stephen Hawking à “des trous pas si noirs que çà”((p. 151)).

Avant d’aller chasser le météore, apprenons donc à les classer. Grâce au livre nous savons distinguer les astéroïdes (ou NEA), selon leur composant physico-chimique : les géocroiseurs (groupes Apollo, Itakawa), les frôleurs extérieurs à l’orbite terrestre ou Amors (Eros), les Atens à l’intérieur et les Arjunas, groupe plus flou dont les caractéristiques orbitales avoisinent celle de la Terre   . S’il pointe l’illogisme, décrypte l’erreur, dénonce les pseudos cautions scientifiques, c’est qu’assuré de la puissance de l’imagination, le chercheur tient à la vérité des faits qu’il rétablit. Penser l’univers, le réel, c’est en montrer les dimensions hautement insoupçonnées, l’infinie complexité, les paradoxes quantiques.

Sa façon est lisible, sa verve et sa concision époustouflantes, sa passion contagieuse. L’humour, la fantaisie au service de la connaissance déboucheraient-ils sur un gai savoir ou sagesse ? Son attitude oppose implicitement l’homo ludens, à l’esprit de finesse et de géométrie, au regard distancié, qui invente et évite des situations, des solutions, qui s’impose des détours, au profanateur et accapareur.

Roland Lehoucq aborde les problèmes concrets, l’usage, l’utile. La démonstration toujours limpide, plaisante, nous ramène à notre échelle, à réfréner nos élans prédateurs et l’utilitarisme des Stars Wars. Pourquoi suivre le physicien Nikolaï Kardashev, qui décréta en 1964 que le degré de civilisation se classe suivant la consommation croissante d’énergie   ? Le progrès et l’humanisation seraient-ils réductibles à pareille croissance surexponentielle ?

Esthètes et poètes ne regrettent-ils pas que la science-fiction, miroir sombre d’âmes inquiètes, déploie ses antimondes et ses combats (navrement humains) ? Après l’avoir dépeuplé de ses dieux et déesses, l’empyrée grouille de monstres : le moderne y éloigne et chasse ses démons nés de ses phobies et du sommeil et chaos de la raison. Visées guerrières et impérialistes, dérives obsidionales, fantasmes faustiens, violence et destructions, instruments despotes, servent le pouvoir, l’appât du gain, le pillage de ressources. Fi des créatures inquiétantes, du visqueux et de fluides glacés ! Rien de nouveau dans le monde sublunaire et ses confins sidéraux. Peu de paradis alternatif, d’outre monde hilare, de bienveillance extraterrestre, de suropéra heureux et jouissifs !

Quelle métaphysique paradoxale unira les univers épistémique et chimérique ? La cohérence, si ce n’est la justesse, peut nourrir le rêve de voyants, tel Jules Verne, quand la “scientifiction” créant un dialogue fécond rend communicables les deux versants de l’esprit humain, et mieux informées les aventures. Vulgariser poétiquement les théories impénétrables, réenchanter l’univers, attiser une appétence de connaissance, de quête, rêver la matière et l’invisible (jouer en apesanteur, vertiges alentis entre les deux infinis, franchir les barrières du visible) : telle utopie visionnaire conçoit des usages, des évolutions, des choix de vie autres en bonne intelligence avec les mondes qu’elle instruit. Optimisme du vivant dans un cosmos musicalement expansif : un futur est à réinventer, à créer.

La réalité nous confronte à notre mesure, organismes finis, terriens reliés et spirituels. Si nos civilisations sont une fraction de seconde dans l’Horloge astronomique, ce règne-là incarnant l’Improbable nous ouvre infiniment au chant/champ du possible. 214 pages lumineuses d’un passionné qui sème vers des temps, un ici et des ailleurs encore inimaginés. Au surréel, il sera une fois...
 

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