Un pamphlet vigoureux contre un courant de la pensée chrétienne qui cherche à dévaloriser l'islam.

Depuis les attentats du World Trade Center en 2001, l’islam   , dans les rapports supposés qu’il entretiendrait avec la violence, a fait l’objet de nombreux commentaires au point d’occuper régulièrement la scène intellectuelle, médiatique ou politique. C’est ainsi que Michel Orcel, docteur ès lettres et sciences humaines et spécialiste d’islamologie   , "à la faveur des recherches sur l’état de l’islamologie contemporaine […] a découvert avec effroi qu’une bonne part de ce qu’on nomme aujourd’hui l’islamophobie savante est intimement liée à l’Eglise." Dans un petit livre dense intitulé De la dignité de l’islam et décliné en sept chapitres, l’auteur se propose d’examiner et de réfuter quelques thèses de ce qu’il considère comme la nouvelle islamophobie chrétienne. 
 

La provocation de Ratisbonne

L’ouvrage s’ouvre sur la fameuse provocation de Ratisbonne (12 septembre 2006) initiée par le pape Benoît XVI alors fraîchement élu, lequel, sous prétexte d’illustrer le lien entre la raison grecque et la foi chrétienne, cita un propos de l’empereur Manuel II Paléologue énonçant que le prophète de l’islam n’avait rien apporté "que de mauvais et d’inhumain." Cette attaque en règle  contre l’islam - peut-on l’appeler autrement ? -  semble ouvrir  la voie à de nouveaux polémistes chrétiens qui n’auront de cesse, selon l’auteur, de déconsidérer  la religion musulmane au profit de la religion chrétienne. Luxenberg   , Gallez   , Gilliot   , Prémare    et Delcambre   entre autres vont ainsi faire l’objet d’un examen critique de la part de l’auteur, lequel souligne que "figés dans leur dogmatisme, les docteurs musulmans laissent ainsi la place à l’exégèse historico-critique des savants occidentaux, que rien ne retient de mettre en pièces le texte saint." 
 

Les nouveaux polémistes chrétiens

Christoph Luxenberg, dans son ouvrage intitulé Lecture syro-araméenne du Coran : une contribution pour décoder la langue du Coran   , soutient par exemple que le Coran initial, autour duquel se serait construit le Coran canonique, est un lectionnaire chrétien ou syro-araméen. Dans Le Messie et son prophète   de Gallez, l’auteur cherche à déconsidérer la figure du prophète Mahomet et partant l’ensemble des référents sacrés de l’islam : La Mecque aurait été inventée par les califes ommeyades ; la Kaaba y aurait été construite tardivement ; Mahomet ne serait pas originaire du Hedjaz mais syrien. Ce travail de déconstruction de l’islam va jusqu’à ravaler au rang de simples anonymes des personnages aussi prestigieux que le sont Jésus et Marie dans le Coran. A.M. Delcambre écrit ainsi dans un article de 2005 intitulé "Islamophilie et culpabilité" que "ce Jésus et cette Marie […] du Coran sont des homonymes qui n’ont de commun que le nom avec le Jésus et la Marie que [les chrétiens] connaissent."

 

Apologie du principe du relativisme

A ces assertions sans fondement scientifique réel, l’auteur oppose le seul principe du relativisme cher à Montaigne   : l’œuvre de déconstruction qu’opèrent tous ces penseurs à l’égard de l’islam pourrait très bien, comme dans un jeu de miroirs, s’appliquer au christianisme lui-même. Que certains penseurs, par exemple, essaient de décrédibiliser la figure de Mahomet en niant son statut de Prophète et la valeur des hadiths ne doit pas faire oublier que l’existence de Jésus, sitôt les sources chrétiennes écartées, ne tient qu’aux témoignages allusifs d’un Flavius Joseph   , d’un Pline le jeune   , d’un Tacite   ou d’un Suétone   .
 

De la même façon, les penseurs précités tendent à dévaloriser le caractère sacré du Coran au seul motif qu’il ne comporterait pas de réelle cohérence thématique. Mais c’est juger ce livre à l’aune des seuls critères occidentaux,  selon la logique et la rhétorique de la tradition grecque. De plus, si l’on applique de tels critères aux évangiles synoptiques, bon nombre d’anomalies et d’incohérences apparaîtraient sans pour autant que la cohérence globale du message chrétien ne soit remise en cause. Ayons donc, nous occidentaux, l’honnêteté d’accorder au texte musulman la même indulgence de ce point de vue.

Enfin, mentionnons le problème de la violence (qui fait l’objet d’un chapitre intitulé "Droit, sexe et violence") prétendument intrinsèque au Coran selon certains penseurs. Tout lecteur attentif du livre sacré aura en effet loisir de trouver des citations qui confirment une incitation à la violence ("Dieu n’aime pas les transgresseurs- / Tuez-les partout où vous les rencontrerez", sourate II, verset 190-191, le Coran, traduction de D. Masson, Paris, Folio, 1988) mais l’honnêteté intellectuelle conduira aussi à citer, dans le même texte, des passages tout à fait iréniques ("Celui qui sauve un seul homme / est considéré comme s’il avait sauvé tous les hommes.", sourate V, verset 32, op. cit.). Or, cette ambivalence du texte musulman, on la retrouve précisément dans le Nouveau Testament où Jésus, présenté par la Tradition comme un Dieu d’amour, peut parfois se laisser aller à de puissantes invectives ("Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites […] ! Serpents, engeance de vipères ! […] c’est pourquoi, voici  j’envoie vers vous des prophètes, des sages, des scribes : vous en tuerez et mettrez en croix, vous en flagellerez dans  vos synagogues [...] pour que retombe sur vous tout le sang innocent répandu sur terre.", Matthieu, 23, 13-36, traduction de la Bible de Jérusalem).

On l’aura compris : ce petit livre de Michel Orcel se révèle assez salutaire sans pour autant être subversif. Par-delà la tentation simplificatrice ou la manipulation idéologique, il invite à une lecture nuancée du Coran et des textes religieux en général. Il ne s’agit pas tant pour l’auteur de sacraliser l’islam que de lui rendre sa dignité en réfutant les thèses de l’islamophobie chrétienne car "qu' à travers quelques-uns de ses représentants […] une religion qui se réclame d’un Dieu d’amour use de procédés retors et de bassesses pour discréditer un rameau concurrent de sa propre foi mérite qu’on lui rappelle les balbutiements de sa propre histoire, ses manipulations et ses violences." A ce titre, la démarche intellectuelle apparaît limpide même si on peut regretter parfois l’empilement  des citations  ou des références livresques au détriment de la démonstration d’ensemble.

 

Vers un islam des Lumières ?

Il n’empêche que, de manière plus large, l’ouvrage d’Orcel pointe une des faiblesses du monde musulman dans son rapport au livre sacré : l’impossibilité (provisoire nous l’espérons) d’en proposer une exégèse historico-critique. Autrement dit, le dogme selon lequel le Coran est la Parole incréée de Dieu obère la lecture du texte lui-même. N’oublions pas pourtant que " l’affirmation que le Coran est créé fut pendant 22 ans (de 827 à 845) l’une des thèses principales de l’orthodoxie musulmane " et que ce que l’on appelle la fermeture de la porte de l’ijtihâd n’apparaît donc qu’au XIe siècle, interdisant de fait toute interprétation exégétique du Coran   . Qu’en ce début de XXIe siècle, certains penseurs musulmans   , de plus en plus nombreux semble-t-il, invitent à une lecture critique et contextualisée du Coran ne peut que servir la dignité de l’islam