Le vote du premier tour de la primaire d’Europe Ecologie-Les Verts a commencé. D’après un sondage Viavoice publié lundi par Libération, 63 % des sympathisants écologistes privilégieraient une candidature de Nicolas Hulot, contre 28 % pour Eva Joly. Nombre d’entre eux partagent néanmoins le sentiment d’avoir assisté à un duel de personnalités plus qu’à un débat d’idées. Tour d’horizon d’un paysage politico-intellectuel encore en friche.


Ecoutez-moi bien


L’écoute serait-elle la qualité la mieux partagée par les écologistes ? C’est du moins celle qu’on attribue le plus souvent à Eva Joly, considérée comme sérieuse, travailleuse et attentive, et Nicolas Hulot, perçu comme déterminé, ouvert et anti-idéologue. Lorsqu’on interroge les têtes pensantes qui collaborent avec eux, une impression très nette se dégage : le futur candidat écologiste construira son programme pas à pas, avec une extrême prudence. Le contexte de la campagne qui s’annonce paraît en effet aussi favorable aux idées écologistes en vogue que défavorable au courant politique qui le défend avec le plus d’assiduité. La crainte d’un 21 avril bis a même fragilisé l’idée qu’Europe Ecologie-Les Verts devait présenter un candidat à l’élection présidentielle. Et lorsque le candidat investi n’est pas vraiment issu du parti, cela devient encore plus problématique. Un militant du parti historique des Verts résume ainsi ce sentiment : "Quel que soit le candidat choisi, on se sera fait entubé. Ni Hulot ni Joly ne connaissent l’écologie politique, et l’histoire de ce parti." A bon entendeur…


Des lunettes rouges d’intello ?

Depuis qu’Eva Joly s’est lancée dans la bataille, son image de magistrate incorruptible et humaniste a quelque peu évolué en celle d’une femme politique combative, clairement à gauche. Sous la houlette de son directeur de campagne, l’eurodéputé Yannick Jadot, elle s’évertue depuis plusieurs mois à assimiler de nombreuses questions qui ne lui étaient pas familières : le travail, la diversité ou l’immigration. Grâce à des relais au sein d’EELV, comme André Gattolin ou Lucile Schmid, tous deux membres du bureau exécutif, elle a pu rencontrer Dominique Méda, Esther Benbassa, Christophe Prochasson ou Patrick Weil. "Il y a deux manières de construire des rapports entre intellectuels et politiques", selon Lucile Schmid. "Soit ils nouent des relations de fidélité sur la durée, soit ils ont des rapports ponctuels. Je pense qu’Eva Joly est plutôt dans la première configuration." Elle aurait vu chacune de ces personnes en tête à tête, "deux ou trois heures", pour échanger et apprendre. François Desriaux, rédacteur en chef du magazine Santé & Travail et ancien président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (ANDEVA), confirme : "Elle a fait preuve d’une grande écoute lorsque je l’ai rencontrée. Elle a rempli deux cahiers entiers de notes et on a pu discuter longuement." Il a ensuite pu fournir une documentation complète à l’entourage d’Eva Joly et monter plusieurs journées de rencontres en sa présence autour de la question de la santé au travail. La députée européenne se rend donc disponible, notamment grâce à l’équipe resserrée qui l’entoure : outre Yannick Jadot, Pascal Canfin, autre parlementaire européen, Eva Sas, en charge de la commission économique d’EELV, ou Julien Bayou, conseiller régional en Ile-de-France en charge de sa campagne Web, sont à ses côtés. Edouard Gaudot, ancien collaborateur de Bronislaw Geremek chargé de développer les relations d’EELV avec l’Europe de l’Est, est aussi un proche.

Si la réputation de droiture de l’ancienne juge n’est pas contestée, certains peinent pourtant à la voir franchir un cap qui lui permette à la fois d’être crédible sur les thèmes centraux de l’écologie et de porter un programme global qui fasse des Verts un parti majoritaire. "Eva est bien placée sur les sujets de morale publique et de démocratie. Elle est crédible pour faire ce qu’elle dit" estime néanmoins Lucile Schmid, qui rappelle qu’au moment où Hulot lançait sa campagne à Sevran, Joly confiait au Bondy Blog que leur connaissance des questions de justice sociale n’était pas comparable. 

Au-delà de cette autorité morale, il reste difficile de distinguer des slogans marquants ou des idées-forces qui marqueraient les esprits dans la campagne d’Eva Joly. Pour le moment, elle mise sur cinq mesures énoncées dans sa profession de foi : une loi de sortie du nucléaire, l'instauration d'une VIe République, une loi sur le revenu maximum, l'abrogation des lois liberticides (dont Hadopi et Loppsi) et l'abrogation de la loi de contre-réforme des retraites. Pour Lucile Schmid, elle fera campagne sur "un projet macroéconomique fort et sa capacité à faire le lien avec l’international". Elle incarne "l’ouverture" et "la diversité" non seulement parce qu’elle s’intéresse à ces thèmes mais parce que son parcours personnel en atteste. Pour ses adversaires, elle s’est au contraire enfermée dans une "écologie de combat" qui distribue les bons et les mauvais points sans la moindre nuance. L’arrivée de Nicolas Hulot dans le paysage politique semble l’avoir marginalisée jusqu’à rendre infructueux ses efforts de dialogue avec le monde intellectuel et associatif. Eva Joly a passé plus de temps à se justifier sur sa bi-nationalité qu’à valoriser sa culture européenne, à suivre une partie de la gauche sur le terrain de la dénonciation des élites plutôt qu’à donner des pistes concrètes de réforme du système éducatif, à condamner les grandes entreprises nucléaires plutôt qu’à proposer un plan alternatif d’énergie renouvelable. Difficile dans ces conditions de transmettre un message politique lisible et efficace.


Le syndrome du Titanic

Les soutiens de Nicolas Hulot aiment décrire un homme mûr qui a fait le grand saut en politique au bon moment, quand son adversaire indécise, un temps proche du Modem, aurait choisi l’écologie par opportunisme. Il est vrai que l’ancien animateur vedette de TF1 avait réussi jusqu’ici à préserver l’équilibre entre sa popularité médiatique et sa volonté de sensibiliser le grand public aux problèmes environnementaux. Lorsqu’il lance sa fondation dans les années 1990, il peut s’appuyer sur sa notoriété pour se faire entendre mais sait qu’il doit trouver la légitimité scientifique nécessaire. C’est Dominique Bourg, professeur à l’Université de Lausanne et à l’Institut des Politiques Territoriales et de l'Environnement Humain (IPTEH), parfois qualifié d’éminence grise de Hulot, qui lui donne l’idée de créer un comité de veille écologique chargé d’étudier en profondeur les sujets portés par la fondation. D’après l’un de ses membres, l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, ce comité réunissait une douzaine de chercheurs autour de Nicolas Hulot tous les deux mois, et se lançait dans des discussions enfiévrées sur la biodiversité, le climat ou l’énergie   . Ce cénacle a publié plusieurs livres collectifs, dont Combien de catastrophes avant d’agir (Seuil, 2003) avant d’élaborer le Pacte écologique, conçu pour être récupéré dans les programmes de tous les candidats à la présidentielle de 2007. Pour Jean-Marc Jancovici comme pour Dominique Bourg, ce projet a abouti   parce qu’il tenait à l’apolitisme du comité. Hulot ne pouvait donc pas se permettre de se déclarer candidat pour défendre ce pacte au risque de trahir la confiance de tous ceux qui l’avaient préparé. Mais il pouvait le laisser entendre pour attirer l’attention de la classe politique. Alors, pourquoi se lancer dans l’aventure en 2012 alors qu’il y a renoncé en 2007 ? Les arguments avancés par Jean-Marc Jancovici pour expliquer le désistement d’il y a quatre ans ne paraissent pas absurdes aujourd’hui : " Une candidature n’aurait pu avoir comme objectif que de devenir un personnage politique à part entière, à l’agenda quotidien entièrement consacré aux discussions avec des élus et des instances représentatives. Or, si la question est de faire naître puis de porter des propositions concrètes, il est paradoxalement beaucoup plus facile d’être dehors que dedans. En effet, aussi surprenante que puisse paraître cette affirmation, la créativité vient rarement des élus, et encore moins sur des sujets de rupture… pour être à la fois créatif et pertinent, il faut un minimum d’expertise sur un sujet traité."   .


Une éponge qui sait où elle va

Pour ses partisans, Nicolas Hulot a précisément accumulé suffisamment d’expérience et d’expertise pour incarner les idées de l’écologie politique. Contrairement à de nombreux militants verts plus soucieux d’affirmer leur marginalité que de vouloir changer la société, Nicolas Hulot serait dans une éthique de responsabilité, selon Dominique Bourg. Il n’aurait pas "le réflexe partisan" mais c’est ce qui lui permettrait de mûrir certaines réflexions et de ne pas s’enfermer dans des dogmes, comme sur le nucléaire ou la taxe carbone. "Il lui a bien fallu deux mois pour accepter l’idée de la taxe carbone, il l’a finalement acceptée, et il a même risqué sa popularité sur cette taxe." Que sera donc un Hulot candidat qui ne doutera plus de lui-même mais peut-être de certaines idées qu’il sera amené à défendre ? Comme tout homme politique, Hulot est une éponge qui consulte beaucoup et prend les bonnes idées là où il les trouve. Mais "il sait où il va", précise son ami et conseiller, et il serait suffisamment préparé pour prendre une autre envergure en politique.

Pour cela, Nicolas Hulot peut compter sur une équipe de campagne fidèle : le député européen Jean-Paul Besset, directeur de campagne et speechwriter, l’avocat Pascal Durand, Sandrine Bélier, ancienne présidente de France Nature Environnement, ou Gérard Felzer, conseiller régional EELV en Ile-de-France. L’ensemble des travaux initiés par Dominique Bourg à la Fondation pour l’homme et la nature   a aussi vocation à alimenter son programme. Quatre groupes de travail bûcheraient actuellement sur la création monétaire (sous la direction d’Arnaud Grandjean), les institutions de la VIe République (animé par Dominique Bourg, ce groupe prépare un ouvrage collectif à paraître au Seuil en novembre, Pour une VIe République écologique, auquel contribuent les chercheurs Bastien François, Yves Sintomer, Loïc Blondiaux, Marie-Anne Cohendet, Julien Bétaille, Jean-Michel Fourniau et Philippe Marzolf, vice-président de la commission nationale du débat public), le basculement des régulations (avec l’économiste Jacques Weber) et les indicateurs (sous la houlette de Jean-Marc Jancovici). "Je serais très étonné si le candidat désigné n’utilisait pas le produit de ce travail", insiste Dominique Bourg. "J’aimerais qu’à terme la fondation devienne un véritable think tank pour l’écologie." Est-ce à dire que la Fondation Hulot et la Fondation pour l’écologie politique en gestation deviendront rivales plus que partenaires ? Voilà une question que la candidature de Nicolas Hulot rendrait sans doute plus complexe. Tant que l’ancien animateur apparaît comme un électron libre indépendant d’EELV, ces fondations n’occuperont pas le même terrain. Dès qu’il sera adoubé par le parti, en revanche, quelle fonction voudra-t-il accorder à la Fondation de l’écologie politique dont le lancement est prévu à l’automne et dont Jean-Paul Besset brigue la présidence ?

Reste donc à trouver une cohérence entre l’écologie de combat défendue à feux nourris par Eva Joly et son équipe, l’écologie créative voulue par Nicolas Hulot et le travail programmatique initié par EELV et prolongé par un dialogue avec le PS   . Mais avant le programme, le candidat. Place au vote