Une biographie de la maîtresse de Louis XV par la romancière Nancy Mitford.

Les éditions Tallandier viennent de rééditer la biographie que Nancy Mitford (1904-1973), romancière à succès, issue de l’aristocratie anglaise, consacra à l’une des plus célèbres maîtresses royales de l’histoire de France. L’ouvrage, paru en 1954, semble quelque peu daté sur le plan de l’historiographie mais n’en demeure pas moins un récit très vivant des heurs et malheurs de la favorite royale.

Une biographie aux allures de roman

L’ouvrage de Nancy Mitford se présente comme une authentique biographie : nul fait, nul personnage d’inventés et l’auteur s’appuie sur des sources historiques  rassemblées en fin d’ouvrage dans une bibliographie. Néanmoins le Mme de Pompadour de Nancy Mitford a terriblement l’air d’un roman : son format tout d’abord (à peine plus de 250 pages), sa structure ensuite (vingt chapitres qui retracent la vie de « l’héroïne » depuis la naissance jusqu’à la mort)  lui confèrent une apparence romanesque et en rendent – avouons-le – la lecture aisée et agréable. Il faut également reconnaître que la vie de Mme de Pompadour a de quoi séduire les romanciers. Née Jeanne-Antoinette Poisson, elle fut bel et bien la première "bourgeoise"  à occuper la position si convoitée à la Cour de maîtresse en titre et parvint à régner, sinon sur le corps, du moins sur le cœur de Louis XV jusqu’à sa mort en 1764. Son influence sur le monarque, quoique très controversée, fut néanmoins réelle, comme en témoigne son rôle dans le renversement des alliances de 1756   . Quant à son influence sur les arts et les lettres, elle n’est plus à démontrer   même si la destruction des résidences de la marquise aux environs de Versailles (Choisy, Bellevue, Crécy et bien d’autres) fausse quelque peu notre vision de son goût. Certains monuments ont néanmoins survécu : on lui doit ainsi plusieurs fleurons de l’architecture française du XVIIIe siècle, dont le Petit Trianon, l’École militaire ou l’actuel palais de l’Élysée.

Une romancière fascinée par la culture française

Une telle personnalité ne pouvait manquer d’attirer l’attention de Nancy Mitford. La romancière anglaise, à la différence de la marquise, ne peut être suspectée d’origines bourgeoises. Issue d’une famille de l’aristocratie anglaise, Nancy Mitford mena une vie tumultueuse dans l’Entre-deux-guerres avant de connaître le succès avec deux romans – The Poursuit of Love et Love in a cold climate – et de se passionner pour la culture française   au point de venir s’installer à Versailles, où elle mourut en 1974. La romancière était manifestement fascinée par l’Ancien Régime – après Mme de Pompadour, elle s’intéressa à Louis XIV dont elle écrivit aussi une biographie – ce qui n’a rien d’étonnant pour une représentante fervente de l’aristocratie   .



Une fine description de la vie de Cour au XVIIIe siècle

Nancy Mitford excelle à peindre la vie de Cour sous Louis XV : elle en donne une description à la fois vivante et enjouée, manifestement « nourrie » par une lecture assidue des mémorialistes contemporains – le duc de Croÿ, le duc de Luynes, le cardinal de Bernis –  qu’elle cite à plaisir, mettant son talent de romancière au service de l’Histoire. Des dialogues, des anecdotes significatives et toujours savoureuses ponctuent le récit. Nancy Mitford fait son miel des "bons mots" colportés par des générations de courtisans et d’historiens   . Elle sait aussi exploiter les nombreux pamphlets, plus cruels, mais tout aussi significatifs, rédigés contre la marquise à la Cour comme à la Ville. Par son analyse des "poissonnades"     la romancière rejoint l’intérêt des historiens actuels pour la littérature de second ordre dans ce qu’elle révèle des disfonctionnement de la société du XVIIIe siècle   .  Nancy Mitford s’attarde ainsi sur l’affaire du renvoi du ministre Maurepas en 1749, ennemi invétéré de la marquise. Parvenu très jeune au ministère, Maurepas   bénéficiait de la confiance de Louis XV, mais il s’était attiré l’inimitié des maîtresses successives du monarque. Avec Mme de Pompadour il poussa la hardiesse trop loin, laissant courir sur son compte des calembours injurieux   . La marquise, secondée par ses partisans du moment, son fidèle médecin, le docteur Quesnay, et le duc de Richelieu obtint alors le renvoi et l’exil du ministre qui dut ronger son frein jusqu’à la mort de Louis XV.

Malgré son caractère anecdotique, la disgrâce de Maurepas n’en est pas moins significative du caractère implacables des luttes de clan qui faisaient, depuis le règne de Louis XIV, le quotidien des courtisans. Nancy Mitford montre bien comment Mme de Pompadour, bien que d’origine bourgeoise, parvint à maîtriser les codes de la société de Cour, rassembla autour d’elle un clan d’amis, de partisans et d’obligés, indispensable pour assurer son influence à la Cour. En dépit de la passion, puis de l’affection, que lui porta Louis XV, Mme de Pompadour dut lutter toute sa vie contre des ennemis irréductibles : le clan dévot à la Cour rassemblé autour des enfants du roi, ses rivales, plus nombreuses à partir du moment où sa liaison avec le roi se mua en amitié, le peuple de Paris qui ne voyait en elle qu’une "catin" dépensière accusée de ruiner le royaume… Elle finit par s’épuiser à cette lutte et mourut en 1764 "désenchantée".

La reine des plaisirs

Nancy Mitford met bien en valeur le principal atout de Mme de Pompadour – que la plupart des historiens s’accordent à lui reconnaître : sa capacité à amuser un roi dont les divertissements se bornaient avant elle aux exercices physiques et à la chasse. La romancière insiste sur les talents de la marquise, qui, loin de sortir du ruisseau   avait reçue dans sa jeunesse une éducation très soignée. La jolie Mlle Poisson, avant de devenir favorite royale, avait appris la musique, la danse, le dessin, la gravure, bref tous les arts d’agrément. Une fois mariée au financier Lenormant d’Étiolles, elle devint une figure importante de la société parisienne, recevant chez elle les dames à la mode et les écrivains célèbres du temps, dont Crébillon, et surtout Voltaire avec qui elle entretint par la suite des relations aigres-douces. Une fois maîtresse en titre, Mme de Pompadour semble avoir tenu à se faire représenter en protectrice des arts, des sciences et des lettres, comme en témoigne le plus célèbre portrait de la marquise, le grand pastel de Maurice-Quentin Delatour, qui la montre entourée de livres, de partitions, de cartons à dessin et de gravure – art qu’elle pratiquait elle-même   .



La passion de la comédie et du pouvoir

Nancy Mitford consacre aussi plusieurs pages au théâtre du Petit-Cabinet, fondé par la marquise dans son château de Choisy. Mme de Pompadour avait elle-même rédigée les statuts de cette petite troupe, composée de courtisans fidèles, qui joua pendant cinq ans des pièces  de théâtre, des opéras et des ballets. Elle se produisait elle-même dans le rôle titre avec, si l’on en croit Nancy Mitford, un talent remarquable et fit en sorte de restreindre l’accès aux représentations à quelques courtisans triés sur le volet. Assister aux représentations données par la marquise devint alors une marque de faveur pour laquelle certains étaient prêts à faire n’importe quoi. Le petit théâtre de Mme de Pompadour, loin de n’être qu’un simple divertissement, lui permit ainsi d’affermir sa position à la Cour, mais alimenta également les rumeurs concernant sa frivolité et son extravagance.

Si elle excelle à évoquer la passion de la marquise pour le théâtre, l’auteur s’attarde moins en revanche sur les relations entretenues par la marquise avec le monde des arts et des lettres. Nancy Mitford se contente d’énumérer le nom des artistes traditionnellement associés au style Pompadour, le peintre François Boucher, le sculpteur Jean-Baptiste Pigalle, le pastelliste Maurice-Quentin Delatour, sans fournir la moindre analyse du mécénat de la marquise (la manufacture de Sèvres par exemple fait à peine l’objet d’un paragraphe). De même la succession des résidences de la marquise est simplement évoquée, sur le ton de l’émerveillement convenu, mais assez peu instructif. Le monde des lettres bénéficie d’un intérêt un peu plus marqué : certes la romancière rappelle les rapports tumultueux de la marquise et de Voltaire (dont elle choisit pour épigraphe le vers qualifiant la marquise de "tendre et sincère Pompadour") mais là encore le lecteur peine à comprendre la raison de cette alternance de louanges et de querelles   .

Mme de Pompadour ou l’incapacité des femmes en politique ?

Fascinée par la civilisation de cour et par la personnalité de Mme de Pompadour, Nancy Mitford s’intéresse en revanche peu aux questions politiques, pourtant décisives dans la seconde partie du règne de Louis XV. Le rôle joué par Mme de Pompadour dans le renversement des alliances qui préluda à la Guerre de Sept ans (1756-1763), est évoqué très sommairement. La position de Nancy Mitford semble rejoindre celles des biographes de Louis XV, qui comme Pierre Gaxotte ou plus récemment Michel Antoine, considèrent que l’action politique de Mme de Pompadour ne répondit à aucun dessein politique précis, mais fut dictée par son ambition et ses sympathies personnelles. Certes, mais il est difficile d’y voir la preuve, comme le fait Nancy Mitford dans certains passages du livre, de l’incapacité des femmes à exercer le pouvoir !

Une biographie partiale, mais d’une lecture aisée

La biographie ne mérite cependant pas de tomber aux oubliettes. Preuve de la fascination durable exercée par la destinée des maîtresses royales sur les écrivains, des frères Goncourt à Françoise Chandernagor en passant par Stefan Zweig et tant d’autres, le livre de Nancy Mitford doit se lire comme un roman, instructif et vrai, qui a l’immense mérite de nous faire aimer le personnage de « la Pompadour », même si on peut reprocher à l’auteur une admiration quasi aveugle   pour son héroïne ainsi qu’un évocation trop rapide des enjeux politiques de la France des Lumières.