Dans cet essai vigoureux, le président du Parti de Gauche expose des convictions radicales mais cohérentes, qui méritent de susciter le débat à gauche, en particulier sur la question européenne. 

Depuis sa rupture avec le PS en 2008 pour fonder le Parti de Gauche, depuis ses interventions médiatiques remarquées et les débats sur le "populisme" qu’elles ont provoqués   , Jean-Luc Mélenchon suscite les passions. Ce n’est sûrement pas pour déplaire à ce héraut de la "République sociale", qui cherche à gagner en notoriété en vue des échéances électorales de 2012. Court, peu onéreux et écrit dans un style accessible, son dernier livre s’inscrit dans cette quête : faire connaître sa personne et ses idées à un large public.  

 
La "révolution citoyenne" pour crever la "bulle"
 

Dès les premières pages, le titre-slogan "Qu’ils s’en aillent tous" est replacé dans son contexte par l’auteur. Cette formule, rappelle-t-il, a été utilisée dans chacune des révolutions qui ont amené la gauche au pouvoir en Amérique Latine, à la place des élites libérales et sociale-démocrates. Or, c’est le retour à une souveraineté populaire véritable qui caractérise ces expériences, fascine Mélenchon, et l’inspire dans la description de la "révolution citoyenne" qu’il propose.   Le lecteur aura vite compris qui est concerné par le "coup de balai" qu’il compte entreprendre : le pouvoir actuel et ses alliés, les grands patrons, les financiers avides, les "déclinistes" en général… On croirait presque lire le Jean-François Kahn des Bullocrates   lorsqu’il s’insurge : "Le pays regorge de talents bloqués derrière le mur de l’argent. Les partants seront remplacés en vingt-quatre heures par meilleurs qu’eux, plus soucieux des autres, plus inventifs, moins addicts au fric, plus loyaux avec leur patrie républicaine"   . A la domination de cette "bulle oligarchique", Mélenchon entend substituer le règne de l’intérêt général, lequel se définit par tout ce qui concourt au bien-être humain. Pour y parvenir, le leader du Parti de Gauche prône une refondation républicaine dont il développe les contours dans le premier chapitre. L’élection d’une Assemblée constituante servira ainsi à corriger les déséquilibres institutionnels de notre pays, mais surtout à impliquer tous les citoyens, y compris les membres des classes populaires qui ont depuis longtemps déserté le chemin des urnes. Selon Jean-Luc Mélenchon, c’est "la condition pour que les pouvoirs soient de nouveau légitimes"   aux yeux des Français, chez lesquels il diagnostique une inquiétante résignation politique. 

 

Cependant, la restauration d’une vie civique digne de ce nom exigera selon lui des mutations profondes dans deux secteurs en particulier : l’école et les médias. Son républicanisme l’amène évidemment à insister sur la portée émancipatrice de l’éducation, mais en précisant que celle-ci doit être laïque, et préservée des règles du marché. Dénonçant la "marchandisation des savoirs" et la "mise en concurrence" des établissements de formation, Mélenchon refuse en effet de laisser "au secteur capitaliste […] la formation initiale et continue"   . Quant aux médias, il compte s’attaquer aux programmes débilitants destinés à libérer du "temps de cerveau disponible", tout comme aux conditions de travail des journalistes qui les contraignent souvent à suivre le chemin balisé de la pensée dominante. Ainsi propose-t-il pêle-mêle l’élection du président de France Télévisions par ceux qui paient la redevance, la transformation des titres de presse en coopératives, et enfin la sécurité de l’emploi comme "norme" dans les rédactions. Beau programme, même si aucun argument n’est fourni sur sa viabilité économique. 

 
 

Partager les richesses et rompre avec l’Europe du traité de Lisbonne

 

On s’en fait cependant une petite idée à la lecture du second chapitre, consacré à la question économique et sociale. Appelant à une augmentation des salaires et à davantage de services publics de qualité, Jean-Luc Mélenchon est habitué aux répliques apitoyées sur son manque de réalisme et son ignorance de la réduction des marges de manœuvres financières. Pourtant, martèle-t-il, de l’argent il y en a, il suffit de le reprendre ! Il chiffre le "magot" à près de 200 milliards, soit la proportion de la richesse nationale passée "de la poche des producteurs à celle des rentiers"   depuis 1983. Dommage que le plaidoyer ne soit pas plus précis : sans nier la déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salariés moyens et de l’investissement productif, on aurait souhaité la prise en compte des arguments de Denis Clerc. Le fondateur d’Alternatives Economiques, qui n’est pourtant pas stipendié par les forces de capital, récuse depuis longtemps l’ampleur de ce chiffrage   . En revanche, Mélenchon pourra trouver du soutien même auprès de l’économiste Patrick Artus, pour souligner que si le capital était imposé de manière identique au travail, 100 milliards d’euros seraient récupérés chaque année par la puissance publique. Les travaux de Camille Landais vont aussi dans son sens lorsqu’il décrit l’envol des plus hautes rémunérations salariales par rapport à celles du commun des mortels. Or, constate-t-il, "le lien direct entre l’extrême accumulation de fortune et l’extrême pauvreté est occulté"   . Alors que selon lui, ce sont bien les privilèges maintenus des classes possédantes qui commandent les sacrifices imposés aux couches populaires. Lucidement, Mélenchon remarque d’ailleurs que plus la condition salariale se dégrade, moins ceux qui en sont les victimes se sentent forts pour contester l’ordre social.

L’auteur effleure ici la difficulté majeure que rencontrent les partis à gauche de la social-démocratie : réussir à mobiliser des salariés atomisés et mis en concurrence, et surtout les convaincre qu’il est possible d'imposer un autre modèle par les urnes. Pourtant, l’homme politique ne va guère plus loin, son but étant justement de "faire partager un optimisme"   … Alors il dresse la litanie des excès du CAC 40, conteste l’utilité sociale des grands patrons, dénonce les ravages d’une finance autonomisée de la sphère productive, remet à sa place Nicolas Anelka effarouché par les taux d’impôt français… Le tout pour mieux justifier le traitement qu’il préconise : une nouvelle nuit du 4 août, avec salaire et revenu maximum, et progressivité accrue de l’impôt, jusqu’à devenir confiscatoire au-delà de 30 000€ mensuels.  

Bien que l’impact de ces mesures sur l’immense majorité des Français soit relativisé, elles signifient un conflit radical avec les détenteurs de capitaux. D’autant plus que la nuit du 4 août  "mélenchonienne" n’est qu’une partie d’un dispositif qui vise à réduire les pouvoirs de la sphère financière, modifier les missions de la banque centrale, rapprocher le régime de propriété des entreprises du modèle de l’économie sociale, soustraire certains secteurs (comme l’énergie) à la concurrence… Bref, autant de contradictions avec l’Union européenne et la zone euro telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui. Mélenchon assume : il faudra sortir du traité de Lisbonne, pour recouvrer notre souveraineté. D’autant que l’Europe à laquelle il croyait, une Europe fédérale, semblable à une "République élargie"   , cette Europe-là s’est selon lui définitivement éloignée, pour laisser place à une "monstrueuse broyeuse bureaucratique"   , imposant régressions sociales et suivisme atlantiste à des peuples dont le vote est ignoré. 

 
 

Plaidoyer pour une planification écologique

 

Parmi les nombreux articles du traité de Lisbonne que Mélenchon récuse, sont visés notamment ceux qui concernent le libre-échange. En effet, Qu’ils s’en aillent tous ! est aussi l’occasion pour lui de convaincre que sa conversion à la problématique écologiste est sincère. Pas par amour de la Nature pour elle-même, mais parce qu’il s’agit de préserver "l’écosystème qui rend possible la vie humaine"   . En quelques pages, il démonte les tentatives de "verdir" le capitalisme, arguant que la nature de ce dernier est intrinsèquement productiviste. Dès lors, dans l’intérêt général des sociétés humaines (et c’est là que son écologie rejoint son républicanisme et son socialisme), il importe surtout de relocaliser les productions pour favoriser des circuits courts d’échange. Il s’agira aussi de mettre en œuvre une planification démocratique afin de transformer nos modes de production et de consommation   . Enfin, il faudra sortir du nucléaire progressivement, dans le but de reconquérir une indépendance énergétique et de s’épargner une technologie dangereuse et productrice de déchets compliqués à traiter. Jean-Luc Mélenchon s’est donc approprié le sujet écologique, et le prouve en dévoilant des convictions assez claires. A ce titre, on notera la désignation significative de Martine Billard, une ex-Verte, à la co-présidence du Parti de Gauche. 

 

Un partenariat franco-chinois ? 

 

Sur le chapitre international, dernier thème de son livre, Jean-Luc Mélenchon met en garde contre les ferments guerriers qui continueraient d’agir en Europe, soulignant qu’ "à mesure que les problèmes sociaux s’accroissent, les solidarités se brisent"   . D’où l’importance d’une réorientation des politiques européennes, et d’une nouvelle "hiérarchie des normes" pour que les échanges commerciaux soient subordonnés à des critères écologiques et sociaux   . Par ailleurs, l’auteur recommande d’en finir avec l’alliance privilégiée avec les États-Unis. Dans un registre de "Realpolitik assumée", il relève que l’empire américain, fondé sur le dollar et sa capacité militaire, est sur la voie du déclin. Dès lors, la confrontation maladroite avec la Russie dans le cadre de l’OTAN, tout comme le projet de "grand marché transatlantique", seraient à remiser au profit d’un nouveau type d’alliances avec les pays émergents. Dont la Chine. Expédiant en deux lignes la nature dictatoriale et néolibérale de son régime, Mélenchon argue qu’il s’agit de notre indépendance, qu’ "en matière économique, on peut facilement se comprendre", et que "dans les relations internationales, [les Chinois] ne pratiquent pas l’impérialisme aveugle des Américains"   . Sur ce dernier point, il n’est pas sûr que les pays d’Afrique ou les plus proches voisins de la Chine partagent la même opinion… quant au chapitre économique, la manipulation du taux de change de la monnaie chinoise et son dumping social sont tout bonnement éludés. Mais après tout, ces considérations "réalistes" peuvent se défendre. Encore faudrait-il éclaircir le paradoxe qu’il y a à vouloir dans le même temps substituer les délibérations de la CNUCED   au G20, objectif louable s’il en est mais un peu irénique d’un point de vue… "Realpolitik". 

 

Au final, l’essai de Jean-Luc Mélenchon est agréable à lire et expose ses principales propositions avec clarté. Certaines paraîtront trop radicales à certains, comme la sortie du traité de Lisbonne, dont on peut légitimement craindre les conséquences à terme. Pour autant, ses positions ont le mérite de la cohérence (ce qui se discute toutefois sur le plan international). Elles dévoilent en creux les impasses faites par le PS sur des questions aussi essentielles que le productivisme ou la nature de l’Union Européenne