Alors que la saison des prix littéraires vient de s’achever avec la consécration de Michel Houellebecq, lauréat du prestigieux prix Goncourt pour La Carte et le Territoire (Flammarion), le site littéraire du Nouvel Observateur, Bibliobs, revient cette semaine sur le nouveau rôle des grands prix de la littérature dans l’espace de médiation et de prescription du livre. Interviewée par Bibliobs, l’universitaire Sylvie Ducas, spécialiste de la consécration en littérature   livre une analyse du monde éditorial et de sa domination par le système des prix. 

Premier constat de Sylvie Ducas : aujourd’hui, le succès des prix littéraires repose sur une réalité éditoriale paradoxale, consacrant à la fois le talent d’un auteur tout en augmentant considérablement le chiffre de vente de son œuvre. Devenu un véritable label, la mention "prix littéraire" est désormais utilisée comme argument de vente par les maisons d’édition et les libraires et n’est plus nécessairement un gage de la qualité de l’œuvre primée. Sylvie Ducas livre une analyse assez critique du système des prix littéraires, devenu, depuis les années 70, "une machine à fabriquer du succès littéraire, hypertrophiée par la société du spectacle et l’industrie de consommation de masse". 

Elle invoque également la "paresseuse facilité" des membres d’une "Académie vieillissante" pour expliquer leur consécration du livre de Michel Houellebecq, qui était déjà un succès en librairie avant la remise du Goncourt, puis revient sur le phénomène Marc-Edouard Nabe, seul auteur auto-édité retenu parmi les finalistes dans la course au Renaudot   . Le qualifiant de "pseudo-évènement médiatique", Sylvie Ducas en relève la contradiction : si le projet de Nabe était avant tout de s’ériger contre le système éditorial qu’il estime corrompu, il entre inexorablement dans la logique utilisée par les éditeurs eux-mêmes puisque sa nomination au Goncourt influera obligatoirement sur les ventes de ses livres. Pour Sylvie Ducas, cela tient avant tout au fait que "l’écrivain n’est désormais plus au centre des enjeux de la chaîne du livre".

Progressivement relégués au second plan par l’univers éditorial, les écrivains ne sont plus non plus au centre des enjeux des prix littéraires. Désormais, ceux-ci sont avant tout voués à la défense des professions de l’édition et de la librairie en participant à la "fabrication" du succès littéraire de l’œuvre lauréate. 

Sylvie Ducas s’intéresse également à ces prix moins prestigieux, dits "populaires" car constitués d’un jury tournant, à l’image du Goncourt des lycéens   , du Prix du Livre Inter, du Prix RTL-Lire ou encore le Grand Prix des lectrices de Elle. Nés à partir des années 80, dans le sillage du développement de la culture de masse et des nouveaux médias, ces nouveaux prix se veulent le reflet de l’opinion publique et opposés aux élites intellectuelles traditionnelles. 

Ils sont révélateurs du rôle joué par les médias dans la détermination du goût en matière de littérature. Si le choix du lauréat relève d’avis de spécialistes,  il doit également traduire le jugement des lecteurs. De plus, le palmarès de ces multiples prix alternatifs est ensuite repris comme argument de vente de la part des maisons d’éditions, qui affichent fièrement le fameux bandeau rouge sur la couverture des livres récompensés. 

On assiste ainsi, selon Sylvie Ducas, à une mutation du rôle des médias dans le champ littéraire, qui "s’érigent à leur tour en producteurs de goût, au nom d’une mission de "service public" (donner la parole aux lecteurs/auditeurs) qui n’exclut pas des intérêts commerciaux évidents (fidéliser un lectorat ou renforcer une audience)". 

L’universitaire souligne enfin la prégnance de plus en plus forte d’Internet dans la recommandation culturelle : avec l’émergence des réseaux sociaux   , mais aussi des blogs   et des forums spécialisés, on assiste à une "démocratisation de la sociabilité littéraire", et à un brouillage des frontières entre critique professionnelle et jugement amateur. Se pose néanmoins la question de savoir si cet accroissement du jugement littéraire profane peut garantir l’excellence littéraire

 

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