Le dernier numéro de la revue de l’IFRI, "Politique Etrangère", dresse un panorama des défis politiques auxquels fait face la nouvelle coalition au pouvoir au Royaume-Uni.

Les élections générales britanniques du 6 mai dernier ont vu la victoire d’une coalition entre Conservateurs et Libéraux-Démocrates (Lib Dems) inédite. Cette alliance dirigée par le Premier ministre conservateur David Cameron et son allié, le Lib Dem Nick Clegg (vice premier ministre), a mis fin à 13 ans de gouvernement travailliste – ceux du New Labour de Tony Blair puis de Gordon Brown – alors que la situation du Royaume-Uni reste fragile après la crise économique et financière de 2008 qui l’a touché de plein fouet.

Comment la nouvelle coalition entend sortir le pays de la crise ? Quelles sont les lignes de force de sa politique en économie, sur l’Europe, sur l’immigration, la défense ou encore du point de vue de "l’identité nationale" ? C’est à ces questions que tente de répondre la dernière livraison de la revue de l’IFRI, Politique Etrangère en nous proposant un dossier titré : "Le Royaume-Ui : après les élections".

Sur l’Europe, tout dépendra, nous dit Jolyon Howorth ("La Grande-Brtagne et l’Europe : de la résistance à la rancœur", p.259-271), de la capacité de ce grand parti pro-européen (une position minoritaire au Royaume-Uni, particulièrement en Angleterre) que sont les Libéraux-Démocrates à imposer, dans le rapport de force interne à la coalition, une politique plus favorable à la construction européenne. Le problème, c’est qu’en face d’eux, le parti conservateur reste farouchement anti-européen (ainsi, par exemple, le secrétaire au Foreign Office, William Hague est-il bien connu pour ses positions anti-européennes puisqu’il s’est prononcé contre les traités européens depuis Maastricht). L’article de Jolyon Howorth est d’ailleurs d’un optimisme très modéré. Il rappelle notamment que les Britanniques (sondages et enquêtes Eurobaromètre à l’appui) sont sceptiques vis-à-vis des institutions européennes qu’ils perçoivent à la fois comme inefficaces et dangereuses pour leurs libertés, Parlement inclus ! La présence, à la droite du Parti conservateur, de partis nationalistes ouvertement anti-européens tels que le UKiP et le BNP alimentent d’autant le pessimisme qu’ils jouent un rôle d’aiguillon envers les Tories.

En matière économique, la question posée par Eric Le Boucher, admirateur de l’expérience blairiste, de la fin ou du rebond du "modèle" britannique ("Economie britannique : fin ou rebond d’un modèle", p. 273-281) reste en suspens même si le journaliste conclut plutôt de manière optimiste en insistant sur les atouts (démographie, marché du travail, fiscalité, industrie…) du Royaume-Uni pour sortir de la crise par le haut. La puissance de la place financière de Londres pouvant elle aussi redevenir un atout après avoir failli emporter toute l’économie du royaume à l’occasion de la crise. Enfin, Eric Le Boucher souligne que la non appartenance à l’euro crée les conditions d’une meilleure sortie de crise grâce à un surcroît de croissance permis par la dévaluation de la livre – celle-ci ayant déjà perdu 25% de sa valeur par rapport au dollar et 28% par rapport à l’euro en trois ans.

Ces dernières années, la question de la cohésion du Royaume-Uni a souvent été posée. Entre d’une part le processus dit de "dévolution" mis en œuvre par le gouvernement travailliste et qui a donné aux "périphéries celtiques" (écossaise, galloise et nord-irlandaise) une importante autonomie, et de l’autre, la remise en cause par certains groupes politiques et sociaux du multiculturalisme à la britannique – combinant large tolérance pour les pratiques culturelles et sociales des groupes immigrants et communautarisme institutionnalisé –, la société britannique, par ailleurs fortement inégalitaire au regard de ses homologues européennes, est soumise à d’importantes transformations de son "identité". Alan Butt Philip met en perspective ces différentes dimensions en se demandant si le Royaume-Uni sera plus uni en 2020 qu’aujourd’hui ("Le Royaume-Uni sera-t-il plus uni en 2020 ?", p. 283-293). La réponse qu’il donne est à la fois plutôt négative et plutôt pessimiste puisque selon lui la dévolution pourrait aggraver les conflits entre centre et périphéries et donner du grain à moudre aux adversaires du système politique britannique.

Une réponse plus encourageante à peu ou prou la même question est donnée dans le plus suggestif des articles du dossier par Andrew Geddes ("Immigration et multiculturalisme en Grande-Bretagne : vers une nouvelle nation civique ?", p. 295-308). Il prône une "nouvelle nation civique" comme remède aux divisions et tensions sociales et culturelles. Une nation qui s’organiserait autour d’un contrat social intégrateur et solidaire plutôt que d’une gestion prioritairement multiculturelle de l’immigration. Le projet esquissé par l’auteur renvoie à une forme de communauté des citoyens davantage que des individus, plus proche du "modèle"… français en quelque sorte.

Le dossier proposé par PE se termine par un article sur les perspectives de la politique de défense britannique ("Quelles perspectives pour la politique de défense britannique ?", p.309-321) avec pour conclusion que la difficile situation actuelle, budgétaire notamment, devrait conduire le Royaume-Uni à établir des "coopérations pratiques" avec les Européens, notamment avec la France. On reconnaîtra là une antienne sur les questions de défense qui a toujours eu du mal à être mise en musique.

Au total, on retiendra de ces contributions disparates et inégales tant par leur objet, la qualité des contributeurs que par le niveau d’analyse proposé, que le Royaume-Uni dispose encore d’atouts remarquables pour l’avenir mais qu’il lui faudra savoir les utiliser s’il veut continuer à jouer les premiers rôles. En somme, un business as usual des puissances moyennes de l’Europe du début du XXIe siècle

 

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