Ce qu’il y a de fascinant en Europe, est que tout le monde y vit, mais peu, voire personne, semblent se préoccuper de son avenir. C’est encore cruellement le cas en matière politique, non seulement à l’échelle européenne, mais de manière transnationale. L’actualité nous donne hélas tous les exemples possibles : l’Europe des Tsiganes est une réalité, mais ce sont des politiques nationales qui prévalent ; la régulation des banques et des dettes sont des réalités européennes, mais il s’agit toujours et encore de jouer les nations les unes contre les autres.

Si l’Europe est bonne ou mauvaise, c’est désormais de son fait par le biais des élections, depuis le traité de Lisbonne : on ne le dira jamais assez, dans les textes, le parti européen gagnant dispose du choix pour la présidence de la Commission. Cette innovation avait pour but de développer l’intérêt pour la vie politique européenne, pour l’instant, admettons que nous en sommes encore aux balbutiements.

L’émergence ou le recul de la politique européenne ?


Si nous devons être objectif, le décollage de la politique n’est aucunement inscrit dans les faits, à s’en tenir aux participations des élections à l’échelle européenne : de 61% de participation en 1979 à 43% en 2009, dans une descente continue (tel que le note une contribution de la FEPS, sous la plume de la politologue Ania Skrzypek). Si les faits sont têtus, les explications sont plurielles. Il est indéniable que la défaite cuisante des partis progressistes en 2009 relève essentiellement d’une abstention croissante depuis 30 ans de leurs électeurs traditionnels, c’est en tous les cas l’explication officielle que le PSE met en avant. Et un an après la défaite, il est enfin temps de construire une stratégie pour regagner le coeur de l’opinion progressiste européenne. C’est en tous les cas, les thèses qui fleurissent sur de nombreux blogs, et autres sites partisans généralement progressistes. La toile européenne progressiste est pour le moins un phénomène émergent, mais existe, cela dit. Ne manquent que les débats de fond, alors qu’une demande se fait jour au sein de la vie politique européenne, celle d’un débat sur les moyens à entreprendre pour faire renaître l’adhésion populaire pour le parti social-démocrate à l’échelle européenne.

La quête du modèle Obama pour l’Europe progressiste

La référence est assez facile. Quel parti politique peut aujourd’hui éviter de reprendre à son compte les fameuses méthodes de l’équipe Démocrate outre-atlantique ? Peu, il faut l’avouer, mais à population comparable, il est vrai que la remarque peut susciter de l’intérêt. José Reis Santos fait ici directement part de cette inspiration.

Au commencement, il y a le réseau des militants socialistes européens, ceux qui suivent le PSE tout au long de ses pérégrinations au travers l’Europe. A vrai dire, les partis européens de part et d’autre réunissent régulièrement leurs troupes. Mais la manière diffère. Le PPE se réunit beaucoup, mais cela avec un cartel de dirigeants ; les écologistes peinent pour trouver leurs interlocuteurs dans l’Europe entière. La particularité des militants de gauche tient semble-t-il à leur histoire : elle est une volonté de fédérer un véritable parti européen, capable d’unifier toutes les singularités des partis socialistes et sociaux-démocrates, avec de vrais divergences entre les nations, cela dit.

La PSE a officiellement affirmé ses ambitions à Prague, en décembre 2009. Tirant les leçons d’une cuisante défaite aux européennes de juin 2009, Poul Nyrup Rasmussen a mis la reconduction de son mandat en jeu dans la promesse, désormais statutaire, de nommer un leader européen pour la prochaine campagne, lui-même devenant le candidat naturel des 27 partis socialistes nationaux.

Rappelons, puisqu’un rappel n’est jamais superflu en matière européenne, que ce principe avait particulièrement mal fonctionné en 2009 lors de la précédente élection. De notoriété publique : les Portugais ne voulant guère du retour de Barroso ; les Espagnols jouant une certaine solidarité ibérique comme monnaie d’échange ; les Allemands emmenés par Martin Schultz s’étant ralliés au dernier moment, dit-on pour monnayer des postes et des présidences décoratives.

Et tel que l’explique le blog du collectif “27roses”, article retranscrit sur le nouveau think-tank Eurocité, une fois voté cet engagement de principe d’un choix commun pour les 27 partis membres en 2014, le processus de désignation n’est en rien décidé. Et pour tout dire, le débat ne fait ainsi que commencer. Mais désormais, les militants PSE mènent une très large campagne de sensibilisation, ayant débuté leur mouvement, comme il est d’usage dorénavant, par un groupe Facebook. Une des plus sérieuses sources de presse sur les informations politiques européennes, EUObserver, fait ici le récit relativement fidèle de la dynamique enclenchée.

La philosophie politique d’un processus de désignation


De plus, dans le choix de la désignation, se pose la question de la stratégie électorale à mener tout au long de la campagne. L’ombre des méthodes “obamiennes”, pèse alors dans le balancier des décisions européennes. Le long récit des Caucus après Caucus de l’autre rive de l’Atlantique a fait des émules non seulement en France, mais désormais semble-t-il en Europe. Avant tout, car il serait capable de rallier parfois des composantes d’alliages assez disparates.

Argument second, parmi les principaux leaders d’opinions sur la scène des e-médias européens, nous pouvons identifier John Worth, conseiller politique en la matière - également pour le PSE, faut-il le préciser - qui participe aussi à la sensibilisation européenne sur le thème désormais des primaires, car nos moyens de communications nous permettent désormais de le rendre possible.

Bien sûr, le risque est, dans une telle démarche, de ne reproduire que des débats nationaux, voire régionaux, dans un cadre européen ; mais, interrogé précisément sur ce fait, par un des principaux journaux de gauche irlandais, Politico, Desmond O’Toole rétorque que l’intérêt principal d’une primaire à l’échelle européenne est de tirer vers le haut les débats et de “galvaniser” un leader sur des enjeux plus larges et européens. Autrement, le blogueur d’Eurocitizen, Conor Slowey voit cette initiative avec une certaine distance  : certes, les systèmes de prises de décisions sont imparfaits, cependant asseoir un système de primaires permet d’abord, selon lui, de développer un mode de fonctionnement interne au PSE régulier et démocratique, afin de le contraindre à voter à chaque élection pour ses représentants; ensuite, cela changerait la nature même des euro-partis : ils devraient non plus discuter de leurs intérêts strictement vis-à-vis de l’Europe, mais délibéreraient de manière véritablement européenne. Et le plus visible des cas, pour le juriste suédois Ralf Grahn, qui se définit lui-même comme “indépendant”, est l’effet des nouvelles technologies pouvant rapprocher les débats européens, pour ceux voulant vraiment construire ensemble à l’échelle européenne. Il propose d’ailleurs une campagne online. Soutenant ce mouvement, il enjoint les autres partis européens à le suivre. Une certaine concurrence vertueuse à l’échelle européenne pourrait ainsi s’installer.

Reste la faisabilité d’une telle organisation de primaires à l’échelle européenne. Là, les soucis du réalisme et du pragmatisme ressurgissent. Aymeric Lorthiois voit une solution peu plausible sur le front uniquement européen, mais décliné par chacun des partis nationaux. Dan Luca, responsable de la section des sociaux démocrates roumains à Bruxelles, propose lui un agenda relativement précis : début mai 2011, sélection à l’automne de la même année, validation des candidats et recherche de fonds en 2012 pour un début des primaires en 2013.

Parmi une des causes de réussite du mouvement...

Cet appel des militants socialistes a été entendu par la direction du PSE, qui les a invités à participer aux travaux du parti à Bruxelles. Mais cette réussite, pour un groupe Facebook, tient à plusieurs facteurs dont l’influence des réseaux sociaux. Il n’est pas commun de rassembler aussi rapidement une foultitude de militants séparés par des frontières à la fois nationales, linguistiques et partisanes. Le deuxième élément de réponse est semble-t-il dans la nature bien particulière du PSE (parti) vis-à-vis de ses militants (activités PSE). La direction du PSE a besoin de ses militants européens pour sensibiliser et sortir les partis nationaux de leur léthargie habituelle, et du sentiment qu’ils perdent à chaque concession une partie de leur pouvoir, de leur influence, et de leurs prérogatives. Sans doute d’ailleurs, à tort. Mais ce qui est vrai pour les gouvernements envers l’UE est, sociologiquement, également vrai pour les partis politiques.

L’humain est ce qu’il est, rassuré dans ce qu’il connaît déjà, menacé par toute innovation. Même limitée, et même si cette initiative rate son objectif premier, force est de constater que l’effervescence des contributions et des liens entre européens, créés par ce mouvement, est déjà un succès en soi. Il importe donc de soutenir et d’observer de très près ce mouvement pour comprendre et connaître l’Europe politique de demain...

 

A lire aussi :

- Le site de la campagne pour des primaires au PSE.

- Les tweets de PES Primary.

- Le dossier de Nonfiction.fr sur la politique extérieure de l'Union européenne.