L'examen des frontières de la vie tout comme celles de la mort exige une formulation de critères temporels indissociables des réalités intangibles qui fondent l'être et l'humanité.

Pour commencer une histoire, il faut être. Toute vie est une histoire dans sa nature et dans son écoulement. Les êtres vivants, quels qu'ils soient, livrent à toutes les échelles de perception du monde un spectacle de diversité incommensurable. L'explosion de vie étalée laisse découvrir une organisation indépendante du vivant revêtue de caractères esthétiques et physico-chimiques. Mais dans le monde, la raison sait si bien retourner la réalité en un questionnement intelligible qu'on en viendrait à douter des choses les plus évidentes et les plus sûres. Dans ce cinquante-cinquième numéro de la revue Champ psychosomatique, la grande question explorée par différents spécialistes   des sciences médicales et du vivant mais aussi humaines et sociales est : l'humain est-il perfectible ? On pourrait se demander d'emblée si la critique de la perfectibilité de l'humain ne serait efficace que parce qu'elle suit une démarche essentiellement philosophique voire épistémologique, la perfectibilité ici ayant pour sens de rendre meilleur, de réparer ou de corriger les défauts génétiquement somatiques   . Dans une perspective matérialiste basique et comparative, la perfectibilité se différencierait de fait de la perfection ou de la plénitude de l'être dit ou prétendu accompli, donc sans défaut naturel.
 
Accidentellement ou pas, l'entreprise de perfectibilité apparaît comme une activité esthétique et intellectuelle de changement vis-à-vis de l'être. La culture du volontarisme véhiculée expressément à travers l'éducation et la science mène, historiquement parlant, les termes dans lesquels il nous est possible sinon permis d'entrevoir la question. Une telle approche n'emporterait pour autant aucune obligation de se limiter à la philosophie. Les interrogations relatives à la vie et à la mort, mais qui restent dans leur complexité tout aussi éthérées que profondes n'empruntent pas leurs difficultés à la vie mais à son interprétation, à ses enjeux et à ses limites. La médecine, l'anthropologie, la psychanalyse et même le droit ont à juste titre sur ce point leurs mots à dire parce qu'ils interviennent directement ou indirectement dans la ciselure de la vie, dans l'incantation des forces qui la transforment et dans la désacralisation de ses limites naturelles. Telles sont, pour le plaisir des lecteurs, les spécialités en action dans l'analyse de ce numéro de la revue Champ psychosomatique et qui permettront du reste une diversité d'approches et d'interventions techniques et philosophiques sur un phénomène classique : la vie. On observera que la diversité de problématiques corrélées à la vie en ferait irrévocablement un phénomène unique distendu par une multiplicité de sens.
 
 
Une diversité de problématiques corrélée aux valeurs rattachées à la vie
 
Que signifie la vie ? Où commence la vie ? Que vaut-elle ? Quand prend-elle nécessairement fin ? Ces questions trouvent-elles des réponses en un seul mot ? Ces questions sont larges et semblent a priori irréductibles à l'homme. Il s'impose de les ramener à la raison humaine pour marquer le domaine de validité de toute argumentation sur ce sujet. Toute l'activité de pensée sur la vie devient ainsi affaire d'hommes. Le réductionnisme capacitaire de la raison humaine part donc de l'hypothèse bien fondée en philosophie suivant laquelle la raison est le premier niveau de discrimination naturelle entre les hommes et le reste. Comme on le sait sans doute, en l'état actuel de notre droit, tout ce qui n'est pas une personne physique n'est pas humainement constitué et tout ce qui ne peut être une personne ne peut qu'être un objet pensé et non une personne pensante. De cette logique découle l'humanité comme entité et légion du raisonnement. L'irréductibilité de l'humain à la chose s'attribue ainsi un bail de dignité à moindre frais. Que veut dire ce terme dignité, sinon comme le stoïcisme et la christologie le définissent : "un être à l'image de Dieu"   . C'est ce que nous dit Xavier Lacroix   . Il l'étendra et la précisera en ces termes   : "La dignité, c'est l'humanité reconnue comme telle, reconnue comme fin et non comme moyen". Cette logique argumentative relève de l'éthique, comme il en convient, étant entendu que cette matière serait "la visée de la vie bonne"   prise autant dans l'individualité que dans l'altérité.
 
Cette abondance de sens qui évince la déraison de la raison humaine ne contredit-elle pas pour autant l'égalité des vivants ? Il faut peut-être s'y faire mais pas s'y résoudre. Le respect sur la base de la dignité est certainement transcendant et tous les êtres créés sont des dignités dans la vie comme l'homme est une dignité par la raison. La dignité s'attache à l'éthique comme l'arbre à l'écorce. Cependant, parallèlement à l'éthique, Xavier Lacroix nous le dit, la morale est la "régulation de l'agir humain". L'agir humain serait bien au-delà de sa forme apparente de simple activité naturelle, une praxis, c'est-à-dire d'une certaine manière un art de faire paramétré selon des principes immatériels ad hoc, interprétation faite du discours éthique dont l'intervenant se fait le relais. C'est aussi une cohérence décrite dans l'unité du spirituel, du charnel et du psychique, ajoute-t-il. On reste dans ces deux schémas de raisonnement dans la tradition philosophique kantienne qui fixe le fondement de la distinction entre les principes formels et matériels de l'activité régulatrice humaine.
 

 
L'opportunité de la libération morale de la femme ou de l'individu dans le jeu démocratique semble inconditionnellement définie par des critères de moralité. Mais il est constant que la légalité du fait moral (la base jusnaturaliste de certaines libertés est admise) et la légitimité de l'usage inconditionné d'un déterminant moral (en l'espèce le traitement et l'état de possession du corps) dépassent le fait ou le simple phénomène juridique pour relever de la métaphysique des mœurs. Ces distinctions ne sont pas toujours bien comprises autant que l'interprétation des lois sur l'interruption volontaire de la grossesse largement diffusée et tenant à la loi Veil de 1975 qui, entendue de manière libérale, sinon large, concluait à tort à une tragique libération morale de la femme, par l'attribution par la loi à cette dernière d'un pouvoir contre ou sur la vie même, comme l'explique Xavier Lacroix. Cette évolution législative néanmoins fut saluée comme un progrès par les féministes qui crurent remporter une bataille cruciale dans l'interprétation de la liberté et de la vie. Le progrès légal ou législatif sur le point des libertés individuelles a nourri et rythmé l'histoire politique depuis l'apothéose de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à la fin du vingtième siècle et explique d'une part le déchaînement des passions que le débat suscite, et d'autre part la polarisation de la société entre ceux qui font le choix des valeurs conservatrices et ceux qui parient sur ce qu'ils appellent les idéaux progressistes.
 
De manière concrète, le progrès s'introduit partout, principalement grâce à la science, et force est de constater comme Olivier Ferry   que la responsabilité des consommateurs se réduit autant qu'elle édulcore celle des concepteurs des objets du progrès. Le flux d'énergie entre la pensée des créateurs et le désir des consommateurs engendre une symbiose qui pose problème du point de vue de l'universalité. Dès qu'il n'y a pas accord de tous, il ne peut y avoir universalité. Pour que cette universalité supposée soit reconnue, elle doit respecter la condition de non contradiction proposée par Kant, laquelle toutefois se trouverait mise à mal par les supposés théoriques (égalité, différence et relativité) de l'ethnocentrisme   . De fait, Olivier Ferry s'élève contre l'argumentaire de l'ethnocentrisme qui devrait s'effacer devant, pense-t-il, l'inévitable conclusion du débat démocratique mené dans les formes. Le but de la problématique éthique en effet ne serait pas de rassembler l'adhésion de tous mais de parvenir à des valeurs universellement acceptables. De même, en ce qui concerne la régulation des biotechnologies, il est nécessaire, affirme-t-il, d'interdire l'action mauvaise et non de définir l'action bonne. Les difficultés liées à l'interprétation des valeurs de la démocratie gardent tout leur sens dans un schéma d'ouverture sociale permanent mais ne peuvent masquer la tension évidente qui découle de la rencontre des possibilités indéfinies de la science avec les valeurs établies dans les sociétés. Olivier Ferry le démontre bien, il n'y a pas que la science qui défie le droit, les valeurs morales sont elles aussi fortement éprouvées par des tendances généralement et péremptoirement désavouées - à toutes époques - par les traditions civilo-religieuses. A titre d'exemple, on rappellera entre autres, le mariage homosexuel, la polygamie, l'adoption, ou encore et toujours l'avortement.
 
Les points sur lesquels le droit tranche ne font pas toujours office de jugement social absolu, et la jurisprudence relevant de l'interprétation judiciaire du droit positif peut être mise en défaut par le débordement du fait social. Le domaine de la légalité pose une rationalité normative qui intervient en tant que discriminant dans l'arbitrage de valeurs aussi contradictoires les unes que les autres. En ce sens, le terme bioéthique, comme souligne fort à propos Dominique Thouvenin   recèlerait des ambiguïtés qui justifient nécessairement voire immédiatement une précision : la bioéthique ne consiste pas en effet à résoudre les problèmes moraux que posent la biologie mais interroge sur l'acceptabilité sociale que les progrès de celle-ci rendent possibles. Le travail du législateur en effet serait d'écarter les modalités d'utilisation du corps humain contraires aux droits subjectifs de l'individu mais aussi d'organiser la pratique médicale de manière à ce qu'elle respecte la dignité de l'individu, l'ordre public et les bonnes mœurs. La science évoluant de manière rapide, le législateur français a estimé devoir fixer par exemple une échéance de révision (établie à 5 ans) pour la loi du 6 août 2004   relative à la bioéthique et plus spécifiquement aux recherches sur l'embryon humain, afin de permettre un double degré d'évaluation : d'abord matériel pour ce qui concerne la pertinence des recherches sur les cellules souches, puis organique conformément aux attributions de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Mais cette démarche légale menée à des fins éthiques ne doit pas faire perdre de vue l'évaluation faite par les praticiens eux-mêmes. Christian Hervé   le défend amplement : "La réflexion éthique impose de connaître la pratique concernée, de produire une pensée sans corporatisme". A cela convient-il d'ajouter la progressivité de l'acceptabilité sociale des pratiques qui renvoient encore et résolument à la démocratie. Toutefois, si la démocratie permet le respect de la voix de chacun, on ne peut en dire autant de l'idéal de démocratie empreint d'une certaine métaphysique et qui met en lumière la pénibilité de l'entreprise de totalisation des valeurs éthiques. L'hétéronomie exclue, l'autonomie légitimée, que reste-t-il finalement sinon une transgression permanente de l'autonomie du sujet par le renouvellement interactif de la pensée sociale ?
 

 
La vie : phénomène unique ou sens multiple
 
La vie est ainsi aux mains des citoyens, elle vaut quelque chose, dirons-nous, elle est la mesure la plus haute de toute valeur. Stéphane Donnadieu, de l'Unité de traitement de la douleur de l'Hôpital européen Georges Pompidou, souhaite une reconnaissance comme acte citoyen des contributions volontaires à la recherche clinique permettant l'amélioration des thérapeutiques et des traitements. Les synergies entre médecins et patients ne devraient pas accuser le coup de l'ajustement financier sur une base exclusivement commerciale. Les actes de haute portée citoyenne doivent être qualifiés comme tels et servir à améliorer les représentations sociales de l'acte clinique voire de la déontologie médicale. Il en va pareillement de la neutralité de principe du médecin dans le diagnostic des maladies héréditaires. Si la biologie moléculaire permet aujourd'hui d'affiner les possibilités de la médecine prédictive, elle reste cependant impuissante à altérer la soif de solutions et le désespoir du patient qui s'est engagé à connaître ses probabilités de développer une maladie héréditaire. Les auteurs   de l'article sur la médecine prédictive ne manquent pas de rappeler le dilemme qui finit par écorcher les pieds des messagers de l'avenir. Les quatre principes proposés pour le statut du savoir génétique ne suffisent pas à limiter la nuisance potentielle induite par le pouvoir d'appréciation discrétionnaire détenu par le patient vis-à-vis de lui-même (effondrement psychologique de ce dernier en cas de résultat positif par exemple).
 
En effet, dans tous les cas où les principes de la bienfaisance, de l'autonomie du consultant, de la confidentialité, de l'égalité ou du choix éclairé sont respectés, le patient reste au centre du jeu et des enjeux de la maladie. Mais là encore et après le diagnostic, faut-il qu'il veuille d'abord s'engager sur le chemin d'une thérapie audacieuse, ensuite qu'il fasse confiance à des pratiques expérimentales ou palliatives, autant dire prospectives ou alternatives, tout en restant suspendu à l'incertitude du traitement proposé et aux aléas de son aptitude à la rémission. Depuis l'avènement de la médecine prédictive, l'individu, grâce à la technologie va vers la maladie lorsqu'elle reste encore non dévoilée pour un peu de temps seulement, se posant comme un ver sournois et imprévisible dans le fruit, susceptible de se jouer des espérances thérapeutiques les plus légitimes. Les conditions de vie normales s'effritent inéluctablement de cette manière par l'effet conjugué des plaies qui la frappent et par la corrosion engendrée par l'absence d'assurance sur la viabilité éthique de certaines solutions technologiques envisagées. La certitude de la solution technologique, quelle que soit son efficacité scientifiquement postulée doit se soumettre au verdict éthique de l'institution sociale en charge de son examen. Le bien-être que l'institution sociale caractérise par des critères définis peut être décrété.
 
Le bien-être n'est pas une question simple. Ceux qui l'ont défini se sont toujours situés dans une vision historique inachevée de ce qu'il représente. Alain Leplègle   précisera le développement de la pensée du bien-être à travers l'histoire économique et juridique et différentes conceptions produites par d'éminents théoriciens. John Rawls avait fait une critique de l'utilitarisme fondée sur la commensurabilité des différents biens évalués qualitativement selon leur utilité pour le sujet social. Les insuffisances de la théorie des biens premiers de Rawls seront exposées par Amartya Sen puis Martha Nussbaum. Le premier proposera un fondement théorique d'évaluation de la mesure du bien-être individuel et des états sociaux quand la deuxième élaborera une liste de critères d'évaluation de la pauvreté et des injustices sociales. C'est à l'aune de la définition du bien-être individuel que se constitueront les approches de caractérisation du handicap. Au plan sanitaire, deux thèses s'affrontent sur ce point : l'une tenant au principe d'universalité et qui fait du handicap un phénomène commun à tous les hommes, qui relèverait de la condition humaine, quand le second point de vue voudrait en faire un mal qui affecterait seulement un nombre réduit de sujets. Les institutions telles que l'OMS ont établi une classification internationale du handicap révisée qui passe, pour des raisons de philosophie sanitaire, d'une classification des conséquences de la maladie à celle des composants de la santé. Celle-ci permet de considérer désormais le handicap ou l'état sanitaire d'une personne en considération de l'interaction dynamique entre son état et un certain nombre d'éléments contextuels. La question de l'adaptation du malade à son environnement devient cruciale lorsque l'environnement social reste techniquement inaccessible aux douleurs de ses propres sujets.
 
De ce fait, comme le souligne Leplègle, il est d'intérêt de rappeler l'importance des travaux de Sen et Nussbaum qui plaident en faveur d'une reconnaissance par la société du besoin et de l'importance d'adapter les fonctionnalités sociales aux défaillances physiques des sujets qui n'ont que peu ou pas de choix face au plafond d'opportunités résultant des contraintes tenant au handicap. En revanche, pour ceux qui ne sont pas atteints d'un handicap quelconque, l'autosanté   reste une solution préventive, ou à tout le moins d'anticipation, contrairement à l'adaptation de la société qui serait une option alternative quand elle n'est pas obligatoire.
 

 
L'autosanté décrite par le professeur d'épistémologie du corps Bernard Andrieu est présentée par lui-même comme une nouvelle forme de perfectibilité du corps. Le recul des limites de la science ouvre de nouvelles voies d'espérance. Comment éluder dès lors la "cyborgisation"   ou encore le "bio-pouvoir", du moment que la société accepte sinon accrédite l'hybridité relationnelle amplifiée par le phénomène de mères porteuses ou encore l'insémination artificielle ? Bernard Andrieu se livre à une parade implacable   : "Nous provenons tous du dedans et de la matière du corps des autres". Le résultat qui compte finalement dans cette néo-épistémologie du corps humain reste de l'ordre de la fiction, c'est à dire un changement mécanique de l'être sans une transformation fatale de l'identité. Le sujet dont l'hybridation biosubjective doit être reprogrammée à travers l'accompagnement qu'offre cette technique connaît une réalité plastique d'interpolarité   en tout ou en partie avec l'autre, son second recomposé. Sur ce sujet, Bernard Andrieu se montre particulièrement entreprenant et semble minimiser la hantise et les frasques possibles provoquées par la métamorphose psychosomatique de l'être-entité, dont la prise en charge reste déterminante mais incertaine dans la phase de déconstruction-reconstruction. Mais les conditions de vie de l'être adulte concernent aussi celles de l'embryon d'autant plus que nul n'a vocation ni intérêt à briser la magie de la vie dont le point de départ fait polémique. Juristes, médecins, chercheurs et couples ne partagent pas nécessairement la même vision des choses. Maurice Adjiman, médecin spécialiste de la procréation médicalement assistée le concède, et conclut sur une terrible impuissance à fixer de manière générale et absolue le statut de l'embryon humain.
 
La mort aussi fragilise cette évidence en ce sens que le critère qui en fonde le paradigme peut échouer à faire consensus. Eric Hamraoui   nous invite à une lecture philosophique du critère cérébral de la mort. L'axe d'argumentation défendu dans son exposé ramène le problème à une discussion du choix entre le caractère métaphysique des critères de détermination de la mort et le paradigme physique incontestable de définition de celle-ci. C'est à ce sujet que les rôles du cœur et de l'encéphale s'opposent lorsqu'il s'agit d'entretenir, organiquement parlant, un sujet à l'article de la mort, et dont l'état clinique reste désespérément conditionné par l'efficacité de l'outil technologique. Le rapport de l'Université de Harvard   prend ici tout son sens puisqu'il propose de dire finalement quand la personne, et non l'être, doit être dite décédée. Cette distinction n'est guère anecdotique, car la personne et l'être sont des artefacts dans la fiction psychanalytique. Le psychologue Karl-Leo Schwering propose à cet effet un réexamen de la question en partant de la critique philosophique de Hans Jonas. Cette dernière récuse en effet le critère cérébral de la mort en tant qu'il serait une facilitation voire un laisser-aller vers la mort. Le médecin se libèrerait de sa mission de salut du corps pour livrer ce dernier à sa triste fatalité quand tous moyens de le ramener à la vie ne seraient plus efficaces. Le nouveau seuil de la mort permis par le critère cérébral serait ainsi, suivant une lecture stricte et littérale du serment d'Hippocrate, une transgression d'un principe cardinal de la pratique médicale : s'abstenir pour le médecin de tout mal même lorsqu'on le lui demande. Cela reste valable lorsque se profile un intérêt médical quelconque tenant à la possibilité de transfert d'organes vers des sujets qui en ont urgemment besoin. La clarification éthique du critère de la mort serait loin de résoudre les questions en suspens parce qu'elles ne baliseront que le chemin de la légalité et dans une certaine mesure de la légitimité, sans nier, dans l'absolu, le caractère d'actes de transgressions délibérées et opérées sur un organisme affaibli et brisé, dépossédé presque de toute volonté saine à quelques encablures de la mort, et qui seraient susceptibles in fine de corrompre la validité éthique de l'acte de transplantation d'organes.
 

 
Les questions tenant à l'éthique transplantatoire ne trouveront pas un épilogue dans le clonage, technique consistant à reproduire à l'identique un être vivant. Mark Hunyadi, philosophe et spécialiste des questions éthiques, s'illustre par une analyse très pointue au carrefour du droit, de l'anthropologie et de la science. Après avoir mis en évidence les réductionnismes qui par leur excès heurtent la philosophie à la base des biotechnologies, il prend soin de distinguer entre l'éthique du clonage et le substrat psychique de l'individu, virtuellement objectivé dans la mise en œuvre de l'organisme répliqué à l'identique. Une grande fracture demeure possible, et il en démontre la dangerosité. La quête de la réflexion éthique consiste, précise-t-il, à considérer que l'évolution de la bioéthique ne manquera guère d'apparaître nécessairement et tout aussi bien comme méthodologiquement "métaéthique"   . Elle est métaéthique parce que les figures de la projection technologique ne sont pas linéaires et les objets du clonage se recouvrent d'une sémantique à l'intersection de l'anthropologique et du psychologique, ce que le droit ne peut faire d'autant plus qu'il ignore les données ontologiques de la personne. Or il est certain que la problématique du clonage affecte au même titre l'autonomie formelle et l'autonomie ontologique. Pour ces raisons, la prudence resterait de mise avant toute certitude sur les implications psychiques du clonage, qui en réalité, pose la question de l'herméneutique de soi. Cependant, il conviendra de rappeler contrairement à Mark Hunyadi que si les préoccupations métaphysiques ou ontologiques sont étrangères au droit et ignorées ab initio par lui, elles ne sont pas moins prises en considération indirectement par le droit à travers la personne-sujet sans laquelle le droit deviendrait sans objet.
 
Ce numéro de la revue Champ psychosomatique vise spécifiquement un public très averti. Quand on parle de vie, de vivant ou encore de la mort, on touche à des phénomènes conceptuels et matériels qui surpassent le simple régime de la norme et le champ de l'étude philosophique. Il est acquis que ce ne sont pas des éléments mesurables. Il est certain que toute pensée relative à ces éléments est limitée par le propre conditionnement de l'esprit. Il est aussi évident, en conclusion, que l'esprit ne saurait épuiser les données endogènes du vivant (que savons-nous finalement de nous-mêmes et a fortiori des autres vivants ?) et exogènes, c'est à dire qui concernent les supports de vie, incrustés dans l'immense enchaînement de propriétés qui innervent l'univers et dont le poids insoupçonné dans le réseautage de l'être ne cesse de surprendre les plus habiles techniciens de la biologie et de l'écologie. Les questions traitées sont pointues et nécessitent de très bonnes connaissances de différentes matières : le droit, la médecine, l'histoire, l'anthropologie, l'économie et la psychanalyse. La question de la vie, de l'interdit, du permis et de la permissivité, de la morale et de la conscience intervient à bon droit dans toutes les disciplines susceptibles de les interpréter légitimement à leur manière. Que l'humain soit perfectible, il faudrait l'entrevoir non seulement au sens des spécialités sélectionnées, des matières considérées mais aussi du temps de l'histoire définie