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Pourquoi le débat sur le care émerge-t-il maintenant ? Et quelles solutions cette notion encore méconnue peut-elle apporter aux problèmes actuels de la société française ? Dominique Méda répond à ces questions pour nonfiction.fr.

 

Nonfiction.fr- La notion de care émerge au même moment dans le débat politique et intellectuel, avec le discours de Martine Aubry sur "une société du soin mutuel", et de nombreuses publications universitaires sur la question. Cela correspond-il à une attente actuelle de la société française ?

Dominique Méda : Je ne sais pas si c’est une attente consciente de la société française. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’un tel concept est susceptible d’apporter des réponses à des questions qui se posent actuellement et concernent notamment les modalités de prise en charge et la répartition des activités de soins. D’une part, nous sommes confrontés depuis des années au manque criant d’offre d’accueil pour les jeunes enfants, alors même que nous savons que cette situation – ainsi que la faible implication des pères – sont à l’origine de la majeure partie des inégalités professionnelles entre hommes et femmes. Qui doit prendre en charge le jeune enfant ? Comment les responsabilités doivent-elles être réparties entre l’Etat, le marché et la famille, et au sein de celle-ci entre les deux parents ? Cette question n’est jamais parvenue à trouver la place qui lui revient dans le débat français. Elle se pose aujourd’hui avec la même urgence pour les personnes âgées dépendantes : les risques d’une "re-familialisation", c’est-à-dire d’une prise en charge reposant à nouveau principalement sur les femmes, sont grands, en raison des réductions budgétaires programmées. D’autre part, ce concept de care attire également l’attention sur des métiers en général peu valorisées, ceux qui consistent précisément à s’occuper des autres, notamment des personnes dépendantes et qui présentent la caractéristique commune d’être considérés comme peu qualifiés, d’être mal payés et d’être principalement occupés par des femmes. De nombreux travaux universitaires ont attiré l’attention sur ces deux sujets depuis au moins une quinzaine d’années mais n’ont jamais réussi à faire l’objet d’un débat public de qualité. C’est donc à la fois formidable que l’on commence à les évoquer, et dramatique qu’ils alimentent immédiatement un débat caricatural et à mon sens complètement à côté de la plaque. Je pense que cette situation a en grande partie à voir avec le fait que ces questions sont jugées comme relevant de thématiques "féminines" et qu’elles concernent aujourd’hui principalement les femmes et les conditions de leur émancipation.


Nonfiction.fr- A votre avis, la notion de care peut-elle fonder une nouvelle politique de gauche, sans être réduite à un appel aux bons sentiments ?

Dominique Méda : Cette notion est tellement vague qu’elle peut être le support d’interprétations radicalement différentes. L’idée qu’il faudrait plus s’occuper les uns des autres et faire plus attention les uns aux autres est sympathique, mais ne représente pas la version la plus subversive du concept. En revanche, il est possible de prendre appui sur celui-ci :

1) pour repenser les modalités de prise en charge des personnes dépendantes (jeunes enfants, personnes âgées…), leur organisation, leur financement, et mettre en place de nouvelles politiques sociales fondées sur une offre performante de services publics – comme dans les pays nordiques ;

2) pour réévaluer les conditions concrètes de l’égalité entre hommes et femmes, qui passe évidemment par un meilleur partage et une certaine délégation des tâches de soins et par un modèle dit "à deux apporteurs de revenus, deux pourvoyeurs de soins" ;

3) pour réévaluer au sens fort du terme les métiers du care ;

4) pour passer d’un paradigme de la production- où l’activité essentielle de l’homme, "possesseur et maître de la nature", vise à transformer, voire anéantir celle-ci pour la faire à son image- à un paradigme du care où l’entretien du patrimoine commun devient central et où la richesse est moins mesurée par le Produit Intérieur Brut (PIB) que par notre capacité à produire sans détruire le patrimoine naturel et social. C’est pour cette raison que les réactions qui ont entouré l’entrée du concept dans le débat public m’ont paru incroyablement inadéquates à l’ampleur du sujet.

 

Dominique Méda est sociologue. Elle a notamment écrit Le temps des femmes. Pour un nouveau partage des rôles, Champs-Flammarion, 2001, rééd. 2008, Au-delà du PIB. Pour une autre mesure de la richesse, Champs Essais, 2008, et Travail. La Révolution nécessaire, L’Aube, 2010
 

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