Entretien avec Nicolas Monceau, éditeur scientifique de Istanbul - Histoire, promenades, anthologie & dictionnaire, chercheur associé au CNRS, laboratoire PACTE (Politiques Publiques, Action Politique, Territoires).

 

Nonfiction.fr- À quel type de lecteur s'adresse l'ouvrage ?

Nicolas Monceau : L’ouvrage s’adresse aux lecteurs qui sont intéressés, sinon passionnés, par Istanbul, son histoire millénaire, son patrimoine historique et architectural, sa richesse sociale et culturelle, son dynamisme et son énergie d’aujourd’hui. Les lecteurs qui s’intéressent aux Beaux-arts en général et à la littérature y trouveront aussi leur compte. En effet, de nombreuses promenades sont consacrées aux échanges culturels entre l’Europe et Istanbul, aux architectures plurielles qui l'ont sédimentée au fil des siècles au cœur de la ville – chrétienne, ottomane, marquées par des influences nationales et étrangères, contemporaine –, ou encore au cinéma et à la photographie. L’anthologie littéraire (un quart du livre, plus de 300 pages) présente une sélection des plus grands auteurs turcs et de Turquie – parmi lesquels Orhan Pamuk, Nâzim Hikmet, Yasar Kemal, Nedim Gürsel ou encore Orhan Veli – et de la nouvelle génération de romanciers turcs ainsi que des écrivains étrangers, en particulier européens, comme Pierre Loti, Nerval, Théophile Gautier, ou Chateaubriand sans omettre des textes moins connus, comme celui par exemple de Jules Verne sur Istanbul, et des témoins oculaires des grands événements historiques ayant marqué l’histoire de la ville. Le livre s’adresse enfin à tous celles et ceux qui ont fréquenté Istanbul, y ont vécu ou séjourné, ou qui découvrent cette ville pour la première fois et souhaitent être accompagnés d’un ouvrage complet qui leur en offre de multiples portes d’entrée.

 

Nonfiction.fr- S'agit-il d'un hommage à la ville ou de la proposition d'une direction que pourrait prendre son histoire ?

Nicolas Monceau : L’ouvrage s’apparente davantage à un portrait de ville, qui relate aussi bien son histoire – plus de vingt siècles d’une cité qui fut capitale de trois Empires et qui est devenue aujourd’hui une mégalopole tentaculaire – que son présent, dans ses dimensions multiples (architecture, beaux-arts, influences culturelles, évolution urbaine et sociale, démographie, arts et culture). Le livre décline ainsi une géographie intime et affective de la ville à travers un dictionnaire contenant plus de cinq cent notices sur la ville ainsi qu’avec une quinzaine de promenades dans différents lieux et espaces urbains, certains très connus - comme le Bosphore et la Corne d’or, les marchés et bazars d’Istanbul, le centre culturel de Beyoglu fréquenté par la jeunesse stambouliote -, d’autres à découvrir et à explorer comme le quartier asiatique et mystique d’Üsküdar ou les îles des Princes, les lieux de vie de la bohème à Istanbul ou de la communauté russe de Constantinople. L’ambition du livre est d’offrir aux lecteurs une multitude de portes d’entrées à la ville, dans toute sa richesse et diversité.

 

 

Nonfiction.fr - Quels ont été vos rapports avec la recherche historique turque ? Pourquoi les essayistes turcs sont-ils minoritaires dans l'ouvrage ?

Nicolas Monceau : Durant mes activités de recherche en Turquie, notamment à l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes-Georges Dumézil, j’ai étudié l’évolution et les enjeux contemporains de l’enseignement et de la recherche historiques en Turquie - produite par l’Etat de Turquie et celle émanant de la société civile – dans l’ouvrage Générations démocrates. Les élites turques et le pouvoir (Dalloz, 2007). Dans le cadre de cette recherche, je me suis intéressé plus particulièrement au rôle pionnier et catalyseur joué par la Fondation d’Histoire de Turquie, une organisation non-gouvernementale turque fondée en 1991, dont les objectifs ont visé à développer une conception moderne de la citoyenneté en Turquie en approfondissant la conscience historique des citoyens turcs et en refondant leur rapport avec le passé national, dans un sens plus pacifique et moins nationaliste. A l’aide d’une enquête de terrain par entretiens et questionnaire auprès des membres de cette organisation - plus de 1250 personnes appartenant à la catégorie des élites turques qui se définissent comme pro-européennes et démocrates-, ce travail a permis de mieux connaître les trajectoires et le profil des élites turques, leur rapport à des enjeux contemporains en Turquie comme l’Europe et la démocratie, tout en analysant la place et le rôle de l’histoire et de la mémoire en Turquie comme enjeux contemporains de mobilisation citoyenne et d’action civique.

 

Les auteurs qui ont participé à l’ouvrage « Istanbul » partagent une connaissance approfondie du sujet, enrichie par une fréquentation ancienne et étroite de la ville. Ce sont pour une majorité d’entre eux des universitaires et des chercheurs spécialistes de Byzance-Constantinople-Istanbul. La nécessité de rédiger en français, dans un style qui corresponde à la collection « Bouquins », a réduit les possibilités de participation d’auteurs de Turquie. Cependant, plusieurs auteurs originaires de Turquie en particulier certains historiens de l’Empire ottoman, ont collaboré à l’ouvrage « Istanbul ». C’est le cas de Stéphane Yérasimos qui fut l’un des premiers à donner son accord pour participer à l’ouvrage. Après son décès, nous avons choisi de reproduire, sous la forme d’un hommage, l’un de ses textes sur l’histoire ottomane d’Istanbul, depuis la conquête par Mehmet II en 1453 jusqu’à la fondation de la République de Turquie, en 1923, qui consacre avec Ankara le changement de capitale de la Turquie nouvelle

 

 

 

Propos recueillis par Thomas Mercier.

 

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- Nicolas Monceau (dir.), Istanbul : Histoire, promenades, anthologie & dictionnaire, par Thomas Mercier.