La revue d’histoire de Sciences-Po, Vingtième Siècle, publie dans son numéro d’avril-juin 2010 un dossier sur "Norbert Elias et le 20e siècle. Le processus de civilisation à l’épreuve". Auteur allemand aujourd’hui considéré comme une référence indiscutable en sciences sociales (que ce soit en science politique, en sociologie ou en anthropologie), Norbert Elias (1897-1990) a développé d’importants travaux sur le "processus de civilisation". Il étudia ainsi sur une période historique très étendue (du XIIème au XXème siècle) les évolutions des sociétés européennes vers la civilisation occidentale contemporaine afin de "penser ensemble, et dans le temps long de l'histoire, l'évolution des structures psychiques, mentales et affectives des individus et celle des structures sociales et politiques des groupes qu'ils forment" (Florence Delmotte, p.29)   .
 
Norbert Elias et l’histoire

 
Après avoir longtemps été ignorées, les thèses de Norbert Elias ont été utilisées à partir des années 1970 par des auteurs de différentes disciplines comme cadre de réflexion pour leurs analyses politiques ou sociales. Le rapport des historiens à ces thèses peut cependant paraître en contradiction avec l’importance donnée à celles-ci dans d’autres disciplines. C’est notamment à cette question que cherchent à répondre les auteurs du dossier de Vingtième Siècle : "Pourquoi les historiens spécialistes du 20e siècle, à la différence de ceux travaillant sur les époques médiévale ou moderne, n’ont-ils pas, ou peu, utilisé la réflexion de Norbert Elias sur le processus de civilisation ?"   . La réponse semble venir des faits eux-mêmes : l’histoire du XXème siècle   semble contredire les thèses d’Elias sur une "civilisation des mœurs". L’évolution de la pensée de Norbert Elias au cours du siècle a néanmoins permis l’étude de plusieurs processus du XXème siècle, comme la mondialisation, avec une perspective élassienne.
 
Différents articles du dossier de Vingtième Siècle montrent comment les idées de Norbert Elias peuvent être mises en avant dans l’étude de nombreux phénomènes : il s’agit "de mesurer concrètement les gains d’intellection et les limites du recours à ce cadre d’analyse".
 
"L’analyse historique de ce qui serait une civilisation occidentale est-elle possible ?"
 
Cette question est également posée en filigrane dans les différentes parties de ce dossier, dossier composé de trois parties distinctes. La première présente en détail Norbert Elias et ses idées principales, avec notamment un article de Jean-François Bert sur les différentes définitions du concept de civilisation, "Eléments pour une histoire de la notion de civilisation. La contribution de Norbert Elias", ainsi que la correspondance entre Raymond Aron et Norbert Elias datant de 1939.
 
La deuxième partie illustre comment les thèses de Norbert Elias peuvent être utilisées en histoire. Le rapport de Norbert Elias aux deux guerres mondiales, et principalement à la première, est traité par Stéphane Audouin-Rouzeau qui montre comment la question de la violence, fondamentale dans l’étude du "processus de civilisation", est "évitée" par l’auteur allemand en ce qui concerne la guerre de 1914-18. La question coloniale, essentielle dans l’analyse de Norbert Elias, qui fut souvent critiqué pour son regard trop "européocentré, opposant les sociétés civilisées aux sociétés non civilisées", est étudiée dans une perspective élassienne par Romain Bertrand.
 
La troisième partie présente les prolongements de la pensée de Norbert Elias réalisés par des auteurs anglais, américains et hollandais. Une étude critique de l’impérialisme américain est ainsi rédigée par Stephen Mennell qui applique l’analyse du processus de civilisation aux Etats-Unis. Eric Dunning   propose une étude élassienne du hooliganisme, contre-exemple important de la thèse du sport comme élément fondamental du "processus de civilisation".
 
Le dossier de Vingtième Siècle présente ainsi d’une part Norbert Elias, son parcours intellectuel et les thèses qu’il a développées, et d’autre part comment des historiens, ou des spécialistes d’autres sciences sociales, utilisent ses idées en les critiquant ou en les appliquant à des phénomènes contemporains. Ce numéro peut donc être utile aux personnes désireuses de découvrir ou d’approfondir leurs connaissances sur un auteur phare du XXème siècle
 
 
* Vingtième Siècle, "Norbert Elias et le 20e siècle. Le processus de civilisation à l'épreuve", n°106, avril-juin 2010.
 
 
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