Patrick Dandrey pénètre grâce à la voix des écrivains du temps l'univers fascinant de la cour de Louis XIV.

L'histoire de la cour de Versailles au XVIIe siècle n'est plus à faire : les ouvrages relatifs à la société de cour au temps de Louis XIV, dans le cadre du plus célèbre palais d'Europe, sont légion, avec en particulier quelques études récentes de belle qualité. Ainsi, des approches relevant de l'anthropologie historique, comme celles de Mathieu Da Vinha il y a peu   , font mieux comprendre l'essence d'un lieu politique, au sens plein du terme – c'est-à-dire où toutes les dimensions participent de la célébration d'une véritable religion royale.

Louis XIV est quant à lui plus que jamais sur le devant de la scène, en témoigne l'actuelle politique du musée et du domaine public du château de Versailles, avec en particulier l'exposition « Louis XIV, l'homme et le roi » qui se tient ces jours-ci au château. C'est dire que cette période éclatante de Versailles fascine toujours l'homme du XXIe siècle. Mais il s'agit de ne pas se laisser éblouir par les éclats du passé.

En vérité, Patrick Dandrey n'ambitionne pas de faire l'histoire de la Cour de Louis XIV; c'est bien en spécialiste de la littérature française du Grand Siècle qu'il se positionne   . Ici, c'est par le biais des écrivains du temps, à l'intersection de l'histoire littéraire et de l'histoire des représentations politiques et des pratiques curiales, que sera humée l'atmosphère de Versailles. A travers les écrits, il s'agit de donner à entendre une syntaxe, un vocabulaire, une musique, de décrypter, aussi, la portée des mots, la puissance du langage et de ses multiples significations. Ainsi, l'histoire de la cour de Louis XIV par la seule voix des écrivains de son temps n'avait jamais été tentée   : elle apparaît particulièrement pertinente dès lors qu'on considère l'importance capitale que prend en cette seconde moitié de XVIIe siècle la langue – c'est à cette époque que l'Académie française entreprend de contrôler son usage, notamment grâce à la rédaction d'un dictionnaire sensé établir un état correct du français.

Cette langue, du reste, Patrick Dandrey en connaît excellemment les ressorts, les nuances, les subtilités. Son empathie avec le sujet auquel il s'attache apparaît aussi dans son recours à une écriture nourrie de la lecture de ces « classiques ». Une fois familiarisé avec la plume de l'auteur, fleurie et quelque peu précieuse, le lecteur peut goûter pleinement une analyse qui vaut par sa précision et sa finesse.

Ces qualités se distinguent avant tout dans le choix du traitement. Patrick Dandrey, évitant une énumération stricte et peu signifiante des divers chroniqueurs, entreprend de traiter son sujet le long de chapitres thématiques. C'est ainsi assez habilement que l'auteur fait émerger des thématiques transversales, fines et propres à permettre un propos pertinent et original. Il donne ainsi à percevoir tout à la fois la diversité et les caractéristiques de cette nébuleuse « des écrivains du temps de Louis XIV ». Ensuite, par une analyse en profondeur des écrits, des morceaux les plus connus jusqu'aux recoins les moins pratiqués, l'auteur nous donne un panorama riche et varié de la vitalité d'une vie littéraire qui n'est pas celle que l'on évoque parfois, uniforme, contrôlée, voire muselée.

Le corpus des auteurs abordés couvre un large spectre d'écrits: mémoires à proprement parler (Saint-Simon évidemment, mais aussi l'abbé de Choisy, Primi Visconti, Dangeau, Tallemant des Réaux, ou les auteurs anonymes du Mercure Galant), écrits de membres du petit cercle royal (mémoires de Louis XIV lui-même, journal de son valet de chambre, mémoires de la Princesse Palatine, lettres de Madame de Maintenon, mémoires de Marie Mancini), relations postérieures (souvenirs de Madame de Caylus, mémoires du curé de Versailles François Hébert, Relation de la cour de France en 1690 par Ezéchiel Spanheim), œuvres de fiction littéraire (Molière, La Fontaine, Madame de Sévigné, Madame de La Fayette, Voiture, Bussy-Rabutin), écrits de prédicateurs et théologiens (Bossuet, Nicole), œuvres de moralistes (La Bruyère, La Rochefoucauld).

Dans une première partie, Patrick Dandrey étudie à travers le regard des écrivains la cour comme « comédie des apparences », véritable spectacle ordonné par et autour du roi: le souverain y crée une société artificielle où la moindre fonction prend un sens dans le cadre de la religion royale qui se joue à Versailles.

Dans un deuxième temps, l'auteur braque les projecteurs sur ces moments ou récits d'exception qui donnent une image idéalisée de la cour, factice mais révélatrice de son essence et de son principe même. La cour est aussi vue à travers le prisme des diverses formes de discours à portée morale, tour à tour affublée dans les Fables de la Fontaine ou les Caractères de La Bruyère (troisième partie), et édifiée par les prêcheurs et moralistes (quatrième partie).

Enfin, dans une dernière partie, l'analyse d'un épisode particulier, le mariage du duc de Berry, dans les dernières années du règne, permet à l'auteur de disséquer de manière passionnante les mécanismes qui régissent aux phénomènes d'intrigues et de cabales dans la cour louis-quatorzienne.

On le voit, la cour est abordée par les écrivains comme un concentré des passions humaines. C'est en tant que sujet privilégié propre à fournir les exemples et à donner à voir l'être humain par excellence qu'elle est, de manière plus ou moins explicite, un motif très présent dans les écrits du temps. Patrick Dandrey, dans un travail qui évite les lieux communs si répandus sur le sujet, rectifie et affine bien des aspects d'un univers qui demeure profondément étranger à notre temps. Si la lecture n'en est pas toujours aisée, elle doit permettre de rendre toutes ses nuances, et donc toute sa vérité sensible, à notre perception de la cour de Versailles sous Louis XIV