Christian Paul présentait hier soir à la Maison des Métallos (Paris, XIe), aux cotés de Martine Aubry et de Patrick Bloche, le tout nouveau Laboratoire des idées du Parti socialiste qu'il préside, le "Lab". Un nouveau logo, de nouvelles têtes, un volontarisme tourné vers l'ouverture. Premier succès : une salle pleine pour cette première sortie. Pêle-mêle, on notera la présence d'Olivier Ferrand, président de Terra Nova, Gilles Finchelstein, président de la Fondation Jean Jaurès, Jean-Pierre Azéma, Sophie Wahnich, Daniel Lindenberg, Philippe Bataille, Rémi Lefebvre, Robert Castel, etc.

Car c'est bien connu : le PS s'est depuis un certain temps déjà coupé des intellectuels. L'expérience du pouvoir et le glissement de celui-ci vers les cabinets ministériels, l'approche gestionnaire des problèmes publics, la notabilisation du parti, tout cela a contribué à creuser un fossé entre Solférino et les universitaires, chercheurs ou autres experts. On les invitait bien de temps à autre, à l'Université d'été de La Rochelle notamment. Mais la portée de leurs propos ne franchissait que rarement la clôture de telle conférence ou de tel colloque. Le PS s'est "désintellectualisé" dira, lors de cette réunion, Jean Le Garrec. Mais les intellectuels, de leur coté, se sont aussi dépolitisés, désidéologisés.

Alors, pour remédier à tout cela, pour renouer le fil, la nouvelle direction du PS, sous la houlette de Martine Aubry, a lancé le Laboratoire des idées. Mais attention, nous dit Christian Paul, il ne s'agit pas là d'un énième think tank de gauche, mais d'un "hub", très simplement. C'est-à-dire, pour reprendre les termes d'un intervenant, d'un "receptacle, sur le mode d'un percolateur". Avec un double mot d'ordre : ouverture sur la société civile de gauche, au-delà des frontières du PS, et faire le lien entre le terrain et les idées.

Plusieurs groupes de travail sont déjà en place, comme "Crises et changement du modèle de développement" ou "Civilisation numérique". Nombre de participants n'ont pas manqué, après la présentation liminaire, de souligner l'absence de tel ou tel thème, pourtant au cœur de ce qu'est le socialisme : le travail, l'inégalité, les rapports Nord/Sud, mais aussi l'entreprise, les relations du PS avec les syndicats, etc. Mais là ne résident pas les vraies problématiques qui se posent au Lab, celui-ci étant voué par ailleurs à s'agrandir à de nouveaux groupes de travail pour compléter son offre thématique.

 

 

Les questionnements portent plutôt sur la nature de ce nouvel instrument et son positionnement. Certes, Christian Paul veut parler de "hub" et non pas de think tank. Mais il est bien difficile de se stabiliser entre ce que peut être, par exemple, Terra Nova, et une simple confédération ou collectif de divers groupes de réflexions, associations ou clubs qui gravitent dans la galaxie socialiste. Qu'est-ce qu'un hub ? Un noeud de communications, une zone de transit et de brassage, dirons-nous. Mais alors, comment décliner ce concept au niveau des structures de production de connaissance et d'idéologie ?

De même, le Lab sera-t-il le nouveau lieu, le temps d'une saison, de la République des experts, ou bien parviendra-t-il à aller chercher sa matière dans la diversité de la société, parisienne, française et même européenne et internationale ? Trouvera-t-il une troisième voie entre socialisme technocratique et expertise intellectuelle ? La salle a fait écho à cette inquiétude, et a sollicité le PS à regarder du coté du privé, des praticiens.

Evacuer certaines fausses polémiques, fruits de l'immédiateté télévisuelle, et nourrir l'espace public de débats structurants, tel est l'objectif assigné au Lab par Christian Paul. Mais le Lab trouvera-t-il son tempo, par définition de moyen et long termes, au sein du principal parti d'opposition qui se doit de réagir quotidiennement à la politique du gouvernement ?

Par ailleurs, les chercheurs en sciences sociales présents se sont alarmés de la dégradation des outils d'observation de la société, nécessaires à toute analyse de celle-ci. Les sciences sociales en général, ainsi que les outils de recueil de données statistiques en particulier sont durement touchés par la politique du gouvernement actuel. Ils clament l'urgence d'une réaction du PS, trop atone à leur goût. La Lab pourra-t-il, sur ce terrain, jouer un rôle de contre-offensive ?

Dans son discours de clôture, Martine Aubry, qui a été "élevée entre la revue Esprit et les Cahiers du cinéma" dit-elle, a replacé l'enjeu du chantier intellectuel du PS dans le combat des valeurs, celles de la gauche. "Changeons tout", dit-elle très simplement. Et cela passe avant tout par un aggiornamento des fondements de cette civilisation qui vacille, qui se découvre décidément bien laide. L'individualisme, oui, mais celui qui émancipe, non celui qui enferme l'homme dans le matéralisme. Et quel rapport de l'individu à la société ? Voilà les questions de fond qui devront structurer l'action du Laboratoire des idées du PS et de ses groupes de travail

 

* Le site du Laboratoire des idées

 

* À lire aussi sur nonfiction.fr :

- notre dossier sur les nouveaux think tanks français.

- notre entretien avec Emmanuelle Mignon, ancien directeur des études de l'UMP.

 

 

Cet article a été écrit par Nicolas Leron, avec la participation de Barnabé Louche, responsable du pôle "Politique" de Nonfiction.fr.