Les historiens savent retrouver le sens du collectif – ou de la corporation – dès qu’il s’agit de disqualifier les travaux de qui s’aventure dans leur discipline sans répondre au profil classique de l’universitaire : agrégé, docteur, voire ancien élève d’une Ecole normale supérieure. Peu de chercheurs « du dimanche » forcent les barrières de cet « entre-soi » scientifique. Pour un Eric Roussel   , un Jean Lacouture   ou un Jean-Denis Bredin   , combien d’historiens non professionnels renvoyés – souvent à juste titre – à leur incompétence par des spécialistes sourcilleux ? François Dufay, qui est mort à 46 ans seulement le 25 février dernier, appartenait à ce petit nombre des historiens « amateurs » dont les travaux avaient suscité intérêt et éloges dans le milieu universitaire.

L’homme pouvait certes aligner des signes extérieurs de « respectabilité intellectuelle ». Normalien et agrégé de lettres, il choisit cependant le journalisme dès la fin des années 1980. Figure des pages politiques et littéraires du Point, puis de L’Express, il avait construit une œuvre originale, à mi-chemin entre la rigueur du chercheur et la liberté du romancier. Il était fasciné, comme d’autres hommes de sa génération   par la figure de l’ « écrivain de droite », des hommes de lettres égarés dans le soutien à Vichy aux hussards ruant dans les brancards sartriens à la fin des années 1950   . François Dufay se fit en particulier l’historien du voyage des écrivains français à Weimar puis dans d’entre villes d’Allemagne, en octobre 1941. A l’heure où le livre de son fils attire l’attention sur la figure jusque-là oubliée du critique et romancier Ramon Fernandez, la relecture du Voyage d’automne de François Dufay nous rappelle en effet les circonstances de sa peu glorieuse expédition en territoire ennemi. Chardonne, dont François Mitterrand prisait fort le style, Abel Bonnard ou Marcel Jouhandeau participèrent aussi à un Congrès international des écrivains sous bannière nazie… La partie la plus passionnante de ce livre de François Dufay   était consacrée à la manière dont les écrivains impliqués cherchèrent à minimiser ou à effacer cet épisode du voyage à Weimar de leur biographie.

François Dufay avait participé du renouvellement de l’intérêt historique pour les écrivains et les intellectuels. Il avait consacré aux normaliens un ouvrage de bonne facture, en collaboration avec Pierre-Bertrand Dufort, plusieurs années après le maître-livre de Jean-François Sirinelli sur les khâgneux et normaliens de l’entre-deux-guerres   . De même ses livres sur les écrivains de droite offraient-ils un contrepoint en forme d’essais historiques aux travaux sociologiques de Gisèle Sapiro sur l’engagement des hommes de lettres pendant la Deuxième Guerre mondiale, en France  

C’est un remarquable historien du dimanche – la formule a gagné sa dignité en étant revendiquée par Philippe Ariès – qui a donc disparu brutalement le 25 février 2009. Nul doute que sa probité et son élégance de plume seront regrettées par de nombreux « historiens professionnels »…