Une chronique sur le vif de la campagne présidentielle américaine, qui analyse aussi les enjeux auxquels sera confronté le nouveau gouvernement.

Jeune auteur passionné de politique récemment installé à Washington pour raisons professionnelles, Niels Planel livre un essai stimulant sur la campagne présidentielle, côté Obama   . Passons sur les tics d’écriture énervants : "L’avance du métis est désormais trop importante"   ; "Le métis, formé au droit, se révèle être un ardent défenseur de la négociation"   … Dans de petits chapitres enlevés, s’adossant à des citations éclairantes et à des fragments biographiques sur Barack Obama, l’auteur livre une chronique sur le vif de la campagne présidentielle américaine (partie I). Il examine ensuite quelques enjeux auxquels sera confronté le nouveau président, voire le reste du monde (partie II). Précisons d’emblée que, si le livre est présenté par l’éditeur, et par l’auteur en avant-propos, comme une analyse "de l’intérieur" de la campagne, il s’agit plutôt d’une synthèse, sérieuse et passionnée, d’articles de presse, d’extraits d’interviews et de notes de think tanks washingtoniens, soit des sources de seconde main mêlant à la doxa des informations plus originales au plus proche de la campagne et des idées du candidat progressiste.


Portait d’Obama en héros

À l’unisson des autres parutions post-électorales, Niels Planel dessine, par touches successives, un portait admiratif d’un Obama clairvoyant, réceptif, d’une rare humanité   . Conciliateur et rassembleur, Obama dispose de ces deux qualités indispensables au chef d’État, surtout dans un pays aussi clivé que les États-Unis : "Sa philosophie rejette clairement les divisions, et entend surmonter celles apparues aux États-Unis dans les années 1960, qui ont déchiré le pays depuis, bénéficiant surtout à la droite"   ; "Il marche entre les mondes. Il a fait ça toute sa vie" selon sa demi-sœur Maya Soetoro-Ng   . Soucieux d’en finir avec l’esprit partisan, Obama apparaît comme un homme de dialogue capable de réconcilier l’Amérique avec elle-même et avec le reste du monde : "Pour le sénateur de l’Illinois, surmonter les divisions passe par l’ouverture. C’est pouvoir, comme il le répétera, travailler avec des républicains (…) ainsi, le démocrate a collaboré avec Tom Coburn pour faire passer une législation pour la création d’un moteur de recherche facilitant la consultation des dépenses publiques en ligne"   .

Le style, disait Michelet, c’est "le mouvement de l’âme". Niels Planel qualifie Obama d’"éloquent, élégant et photogénique"   . C’est clair que son style très Ivy League le rapproche d’un Kennedy aux discours énergiques, maître de lui, incarnation de la grace under pressure. Dans une interview au Times, Obama déclare : "L’une des choses que je pense pouvoir apporter à la présidence, c’est de rendre le gouvernement et le service public cool à nouveau. Il y a une telle envie chez les jeunes de trouver un débouché pour leur idéalisme"   . Et l’auteur de bien traquer derrière ce charisme et cette folle aisance, un combat intérieur lié à l’identité : "l’épaisseur du vécu de ce nautonier afro-américain qui traverse les océans, de ce citoyen du monde qui se forge une identité à force de la voir sans cesse remise en cause jusqu’à ses vingt ans"   . Cela nous rappelle ce que disait, en 1981, à ses étudiants de l’université de l’Arkansas, le professeur Bill Clinton invité dans le cadre d’un cycle de cours consacré à la politique en littérature : chez tous les leaders politiques, on assiste à une lutte entre la lumière et l’obscurité ; au registre de l’obscurité, on compte l’insécurité, la dépression et les perturbations familiales ; chez les grands leaders, la lumière l’emporte sur l’obscurité, mais toujours au prix d’un combat   .


La stratégie gagnante

   
Fabuleux narrateur (storyteller) de sa propre vie ("Le personnage est fort habile en ce qu’il a réussi a faire oublier qu’il était tout à la fois le protagoniste majeur de son odyssée, mais aussi son unique narrateur, contrairement à beaucoup d’autres, qui s’éteignent ou s’épuisent de ne pas savoir imposer leurs récits aux médias"   ,  épaulé par son spin doctor en chef David Axelrod, Obama apparaît en homme de tête et en homme de cœur, plus proche de Main Street que de Wall Street ("Obama donne l’impression, dans ses discours, de s’adresser personnellement à chaque individu venu l’écouter"   . Son récit polyphonique et tout en contrastes lie intimement sa vie (l’animateur social des quartiers pauvres de Chicago et l’universitaire ; l’idéaliste qui n’oublie pas d’être pragmatique ; l’homme des compromis et le gardien des principes fondateurs de la Nation) et l’histoire de l’Amérique à travers son dialogue incessant avec les Lincoln, les Luther King…

Sa femme, Michelle, complète le portrait ("Barack n’est pas d’abord et avant tout un politicien. C’est un activiste social (community activist) explorant la viabilité de la politique pour changer les choses"   . Les centres d’intérêt de Barack ? Ni trop sélects ni trop banals, chacun peut s’y retrouver : "ses films préférés sont Le Parrain, Le Parrain II, ou encore Lawrence d’Arabie (...) ses goûts musicaux vont du rappeur Jay-Z au violoncelliste Yo-Yo Ma. Le candidat lui-même confesse être un joueur de poker occasionnel mais doué, concentré sur le mental de ses adversaires, un amoureux des tragédies de Shakespeare ou de Pour qui sonne le glas d’Hemingway, un gaucher qui n’en est pas moins adroit au basket…"   . Il a lu Sartre, Saint-Augustin, Nietzsche. Dans son bureau de sénateur  trônent des photographies de ses modèles : Lincoln, Gandhi, Martin Luther King. Voici un candidat populaire, historique, "post-racial" ("cette rare chose, un politicien noir qui s’adresse à la nation toute entière, non pas seulement à une enclave ethnique"   . Sorte d’Halle Berry au masculin avec la virtuosité d’un Tiger Woods de la politique ?

Face au couple Clinton ("Billary") qui cultive les réseaux depuis toujours au sein du Parti démocrate, Obama développe son propre courant et se lance bille en tête dans la campagne. Sauf qu’on est en présence d’un démiurge politique qui ressent mieux que quiconque les vibrations contradictoires de l’Amérique et entend les dépasser en faisant appel à la meilleure part de chacun, aux espoirs, non aux craintes. Contrairement à une Hillary Clinton aux abois, des poches de venin sous ses yeux froids, pratiquant l’attaque personnelle - on voit qu’en politique, mieux vaut avoir des adversaires que des concurrents -, Obama parle à l’intelligence des électeurs et valorise le débat honnête. Il est le candidat du changement contre celui de l’expérience politique : "Et si le sénateur n’a certes pas passé sa vie dans les antichambres du pouvoir, son expérience a une autre valeur : il a vu la misère des quartiers pauvres de Chicago, senti les ravages de la corruption qui gangrène l’Afrique ou l’Asie, ou encore connu les soucis de l’amérique ordinaire qui court derrière les factures à payer et les prêts à rembourser"   .



Obama s’inspire du modèle initié par Howard Dean, ancien candidat aux primaires démocrates de 2004, qui a inventé le processus de mobilisation populaire en s’appuyant sur la "blogosphère" politique. Des millions de donateurs et de bénévoles enthousiastes reliés à l’équipe du candidat par l’Internet et les réseaux sociaux virtuels (Facebook, MySpace) apportent l’argent et maillent chaque parcelle du territoire ("Ses bénévoles organisent des piques-niques, se réunissent dans les bars, les rendez-vous étant annoncés sur le site d’Obama, vont toquer aux portes, une par une, rue par rue, dans tous les États, pour inscrire les électeurs potentiels, lèvent des fonds pour leur candidat, luttent contre les fausses rumeurs, partagent les informations, rédigent des blogs"   . Une banque de données gigantesque constituée des numéros de téléphone d’électeurs potentiels et d’idées originales est progressivement constituée. Les millions de données récoltées permettent, mieux que des sondages, de construire un discours et un programme sur mesure pour chaque catégorie d’électeur (micro-targeting). Comme Roosevelt avec la radio, comme Kennedy avec la télévision, Obama utilise en virtuose les nouvelles technologies et fait interagir démocratie et technologie, créant une sorte de Parti démocrate virtuel.

On nous dit qu’Obama ne laisse rien au hasard : "allant jusqu’a ouvrir un bureau de campagne en Alaska pour les primaires, ce qui fait sourire, jusqu’a ce qu’il remporte l’État à 75%"   ; "Le candidat aime également à vanter la transparence qu’il entend instaurer dans la gestion des affaires publiques, mais son équipe de campagne filtre tous les messages, et aucune "fuite" ne parviendra jamais aux médias, quand les journalistes se délectent des rivalités déchirant le camp Clinton ou des déboires de McCain. La campagne d’Obama a la discipline d’une légion romaine sûre de sa victoire"   . Obama est-il un control freak ? L’auteur passe un peu vite sur la part de manipulation, voire de cynisme, qui doit bien, dans une certaine mesure, marquer un tel personnage, qualifié par l’auteur d’"Ulysse noir" (en référence à la couleur de sa peau... Mais qui nous décrira un jour le Dark Vador en lui ?). Reste à rallier la famille Kennedy (après un deal avec le sénateur Ted Kennedy qui sera l’homme-clé de la construction programmée d’une sécurité sociale digne de ce nom) et les clintoniens grande époque (Robert Rubin, Lawrence Summers, Robert Reich) pour parachever cette odyssée qui a converti un outsider sûr de lui en un présidentiable crédible. Une fois Hillary évincée, Obama éclipse Sarah Palin et John McCain. Comment les idées des années 1950 pourraient-elles triompher face a cet "enfant des alchimies humaines"   ?



Des idées ?

Dans la seconde partie, l’auteur prend du champ et, sur le mode de la fiche technique circonstanciée, détaille quelques défis de la Présidence Obama : la couverture maladie universelle, la régulation de l’économie, l’immigration, la question raciale, la sécurité nationale, le leadership américain. Cette partie prétend faire la lumière sur l’argumentaire de "la Gauche américaine" mais n’a évidemment pas le souffle de L’audace d’espérer   ou la solidité d’un livre d’Anthony Giddens   . Certes, l’auteur souligne avec pertinence que la stratégie innovante d’Obama "vise non plus à imposer une idéologie, à l’instar de la "troisième voie" de Bill Clinton, du "conservatisme compatissant" de George W. Bush, du centrisme d’Hillary Clinton ou du combat contre la pauvreté de John Edwards, mais un homme, un homme faisant face à l’histoire"   . C’est donc sa vie plutôt que ses idées qu’Obama met en exergue ("D’une certaine manière, Obama n’a pas de message, parce qu’il est le message dans un monde où l’"humanité" d’un individu compte toujours davantage pour séduire les électeurs")   et c’est le pragmatisme qu’il valorise plutôt que les idéologies totalisantes - pour montrer qu’il cherche à constituer une administration adaptée aux problèmes du moment des américains, Obama envisage un "gouvernement iPod", facile d’emploi.

Mais Niels Planel identifie bien la conviction centrale d’Obama : concilier la justice sociale avec l’autonomie et la responsabilité des individus : "Il démonte d’ailleurs consciencieusement la philosophie conservatrice de ces dernières décennies, accusant la "société de propriétaires" (owernship society) promue par Bush de laisser les individus avant tout seuls face à leurs problèmes. À cette idéologie, il oppose sa propre définition du progrès : offrir aux individus la possibilité d’avoir une vie décente et un destin dont ils restent les maîtres, en échange de leur labeur"   ; "La responsabilité individuelle et la responsabilité mutuelle – voila l’essence de la promesse américaine"   .

Livre d’actualité s’il en est, ce court essai s’interrompt le 5 novembre 2008, au lendemain de la victoire du premier Président afro-américain des États-Unis. Fin d’une saga, naissance d’un président désormais installé dans cette Maison Blanche jadis construite par des milliers d’esclaves noirs. Obama va-t-il refaire couler la sève dans le corps social américain ? Forti nihil difficile