Dans un Paris transformé par Haussmann et Napoléon III, l'Exposition universelle de 1867 marque l'apogée du Second Empire, peu de temps avant sa fin et la guerre contre la Prusse.

L’archiviste et historien Edouard Vasseur signe un ouvrage des plus complets sur l’Exposition universelle de 1867, depuis ses préparatifs jusqu’aux héritages dont une fascination renforcée pour le Japon. D’une certaine manière, l’événement consacre l’apogée du Second Empire et met en avant le Paris haussmannien, cinq ans après l’Exposition universelle de Londres. Le gouvernement y défend son économie et les industriels mettent en avant la qualité de leurs produits alors que l’organisation témoigne d’enjeux pluriels.

Les Expositions universelles de 1889 et 1900 sont étudiées dans le cadre du programme de première pour saisir les transformations de la société française à la fin du XIXe siècle. Aborder celle de 1867 permet de les replacer dans une profondeur chronologique et de rappeler que la France en est l’inventeur.

Nonfiction.fr : Vous consacrez un ouvrage particulièrement dense à l'Exposition universelle de 1867, organisée à Paris. Elle prend la suite de celles qui se sont déroulées en 1851, puis 1862 à Londres et Paris en 1855. Comment ont été créés ces événements et qui décide de leur lieu d'organisation ?

Édouard Vasseur : A l’origine se trouvent les expositions nationales ou régionales de produits de l’industrie. La France, la première, les a instituées sous le Directoire, avec plusieurs objectifs : servir à la célébration de la République ; encourager l’innovation et l’émulation ; pallier la disparition d’un certain nombre d’institutions et de procédures héritées de l’Ancien régime (certification des produits, statistique industrielle) ; montrer, en temps de guerre contre l’Angleterre, la résilience de l’industrie française. La formule ne s’est véritablement stabilisée que sous la Restauration et surtout la monarchie de Juillet (les expositions deviennent quinquennales en 1834). La formule a séduit et a été reprise dans plusieurs pays.

S’agissant des Expositions universelles, si l’idée est française, la réalisation est anglaise et a été proposée par un groupe d’hommes proches de la Royal Society of Arts. Ceux-ci ont réussi à convaincre un sponsor, le prince Albert, époux de la reine Victoria, ainsi que le parlement britannique du bienfondé de leur projet. C’est ainsi qu’est née l’Exposition de 1851 à Londres. Deux ans plus tard, le gouvernement impérial français décide de transformer son exposition nationale de 1854 en exposition universelle et lançait en conséquence des invitations aux gouvernements étrangers. Et ceci sans qu’existât une gouvernance internationale décidant, sur la base de candidatures, quelle ville organiserait une Exposition. Il faut pour cela attendre la convention de Paris signée en 1928.

Il s'agit donc de la seconde exposition organisée sous le Second Empire, à douze années d'intervalle. Quelles différences avez-vous relevé entre les deux et quel sens entend lui donner Napoléon III ?

La première Exposition (celle de 1855) est encore fortement ancrée dans l’héritage des expositions nationales des produits de l’industrie. Il faut s’adapter sans arrêt et l’ensemble est un peu hétéroclite. L’Exposition de 1867 tire les conséquences des difficultés rencontrées en 1855 en matière d’organisation, ce qui explique en partie les différences entre les deux éditions : prise en considération des déficits structurels compensés par des subventions de l’État et de la ville de Paris ; garantie des recettes propres par des capitaux privés ; choix d’un site nouveau permettant d’accueillir dans un même local, de plain-pied, l’ensemble des exposants ; centralisation du choix des exposants français et anticipation maximale de l’installation.

C’est le choix du montage financier qui, à terme, a le plus de conséquences. Le souci en 1867 de préserver le capital de garantie collecté auprès d’investisseurs privés incite les organisateurs à multiplier les « attractions » destinées à attirer et à retenir les visiteurs à l’Exposition : cafés et restaurants ; spectacles ; démonstrations de produits ; aménagement de pavillons à l’architecture variée ; etc.

Cet ouvrage est en partie issu de votre thèse, soutenue en 2005. Sur quelles sources aviez-vous travaillé (l’ouvrage présente notamment de précieux documents iconographiques) et depuis cette soutenance, avez-vous fait de nouvelles découvertes sur l’Exposition ?

Cet ouvrage s’appuie sur la très riche documentation disponible. Tout d’abord, les archives de la commission organisatrice, conservées aux Archives nationales. On y trouve les procès-verbaux des délibérations des organisateurs, les budgets et la comptabilité, les relations avec les pays participants et avec les exposants français, tous les documents ayant trait à l’aménagement des terrains et des bâtiments, etc. Ce fonds d’archives comprend un exceptionnelle iconographie, notamment deux albums de prestige réalisés à la fin de l’Exposition (les Albums du parc) et toute une collection de photographies qui nous donne une idée précise de ce qu’était réellement l’Exposition. D’autres fonds d’archives (ministère des Affaires étrangères, ministère du Commerce, préfectures, commissions étrangères, exposants comme celui de la Compagnie universelle du canal de Suez, conservé aux Archives nationales du monde du travail à Roubaix) permettent de diversifier les points de vue.

À côté de ces archives, on dispose de nombreux journaux spécialisés et d’articles dans la presse, de rapports nombreux rédigés par les commissions organisatrices et par les ouvriers invités à l’Exposition, de brochures multiples et variées publiées par les exposants, ainsi que de quelques mémoires de visiteurs célèbres. De quoi occuper des années de travail.

Vous rappelez que cette phase marque l’apogée du Second Empire, pour reprendre votre sous-titre. Dans un Paris en pleine transformation, Jules Michelet, George Sand ou encore Jules Verne viennent visiter l’Exposition universelle alors que trois années plus tard éclate la guerre contre la Prusse. Comment les acteurs principaux la perçoivent-ils ?

Le contexte politique intérieur et extérieur est en filigrane de l’Exposition. L’année est riche en événements (grèves, tensions parlementaires, crise du Luxembourg, exécution de l’empereur Maximilien du Mexique, fondation de la Confédération de l’Allemagne du Nord, intervention militaire française dans les États du pape, etc.) et les contemporains perçoivent l’Exposition bien souvent au travers de celle-ci, d’autant qu’ils ne rédigent pas nécessairement leurs mémoires en 1867, mais parfois après la guerre et la Commune.

Pour les contemporains, l’Exposition est à la fois un événement qu’il faut avoir vu, mais que l’on juge souvent en fonction de ses propres convictions politiques – notamment au regard du régime impérial. George Sand admire les tapis persans et le géant chinois, mais déplore l’affluence des visiteurs provinciaux – alors qu’elle-même réside dans le Berry, à Nohant. Pour la majorité des visiteurs, l’Exposition a sans doute été avant tout une expérience de loisir, du moins pour ceux qui avaient suffisamment de ressources pour venir.

Vous livrez des pages passionnantes au Palais du Champ de Mars pour lequel vous offrez au lecteur une véritable visite guidée   . Le parc du Champ-de-Mars est quant à lui divisé en quatre zones, chacune respectivement dominée par les Belges, les Anglais, les Allemands et les Français. Quelles formes prend la compétition entre les différentes nations ?

Les organisateurs parlent systématiquement du caractère pacifique de la compétition. Cependant, il s’agit tout de même d’une compétition.

Les exposants présentent leurs produits sous la bannière de la nation à laquelle ils appartiennent. Et ils sont jugés par un jury composé d’experts nommés par les différentes nations. Tout un ensemble de négociations qu’il est difficile de mettre à jour sont menées au moment des travaux du jury : il faut récompenser tel pays pour éviter qu’il ne soit oublié par exemple. Aucune nation ne doit être oubliée.

Dans le palais du Champ-de-Mars, les exposants sont groupés par nation et chaque commission nationale s’efforce de donner un cachet propre à son exposition. Les Français cloisonnent l’espace, là où les Anglais ne le font pas. Certains pays recourent à des architectes et des décorateurs auxquels ils demandent de s’inspirer de ce qui est considéré comme leur culture nationale. La Russie insiste ainsi sur la place du bois découpé.

Ensuite, les organisateurs demandent aux nations participantes de donner une couleur locale à leur exposition. On leur demande de construire dans le parc un pavillon représentatif de l’architecture nationale. On concède des établissements de restauration à chaque pays en lui demandant de mettre en valeur sa cuisine nationale. On organise des compétitions entre les musiques militaires des différents pays. Certaines régions autonomes de grands États en profitent pour essayer de se faire reconnaître au rang de nation. C’est le cas par exemple pour l’Égypte ou les principautés danubiennes (notre Roumanie d’aujourd’hui). Avec plus ou moins de succès. Les principautés danubiennes insistent ainsi sur leur caractère latin et chrétien là où les commentateurs voient un exotisme oriental.

Paris est aussi une attraction en elle-même pour les visiteurs. La capitale transformée par le baron Haussmann, qui n’est d’ailleurs pas le premier partisan de l’Exposition, offre alors des bâtiments, des événements, des restaurants et divers spectacles. Quels sont les éléments les plus emblématiques de ce Paris en transformation ?

Les transformations que connaît Paris à cette époque sont impressionnantes. La ville est littéralement en chantier, même si la tenue de l’Exposition permet d’accélérer l’achèvement de certains d’entre eux (chemin de fer de ceinture, parc des Buttes-Chaumont, église de la Trinité, par exemple).

Ce qui a sans doute le plus frappé les visiteurs de l’époque, c’est la transformation du centre de Paris, avec l’aménagement des voies nouvelles qui transpercent le lacis de la vieille ville, avec ses alignements d’immeubles bourgeois de chaque côté. C’est aussi le développement des réseaux de communication (omnibus, petites voitures, chemin de fer de ceinture, chemin de fer américain, petits bateaux). Mais on pourrait aussi citer la réalisation de bâtiments emblématiques, publics comme privés (hôtels et grands magasins par exemple), et le dynamisme de la ville avec ses industries et son commerce ou ses salles de spectacles.

Les Expositions universelles de 1889 et 1900 sont au cœur du programme d’histoire de première. Ont-elles été influencées par celle de 1867 ?

Oui. Elles en sont clairement les héritières, même si le contexte politique a changé et si les événements de 1870-1871 pèsent lourdement sur l’organisation de l’Exposition de 1878.

La continuité entre les Expositions de 1867, 1878 et 1889 est forte. D’abord au niveau des organisateurs : en 1878, le commissaire général est Jean-Baptiste Krantz, le directeur des travaux de 1867 ; en 1889, les hommes clés sont Adolphe Alphand, directeur du parc en 1867, et Emile Cheysson, qui gère en 1867 les questions techniques (fourniture d’eau et d’énergie aux exposants puis liquidation de l’Exposition). Gustave Eiffel, qui symbolise avec sa tour de 300 mètres l’Exposition de 1889, fait ses premières armes dans les expositions en 1867.

Les grands principes retenus pour l’organisation sont les mêmes : pilotage du projet par une commission dédiée ; mode de financement associant capitaux publics et privés ; classification des produits et organisation du jury. Le Champ-de-Mars, choisi pour accueillir l’Exposition de 1867, reste le pivot de celles de 1878 et 1889, même si de nouveaux sites sont intégrés au périmètre d’installation. En 1889, comme en 1867, l’attention portée à la question ouvrière est importante (visite d’ouvriers, organisation d’une section dédiée à la question ouvrière).

Les Expositions de 1878 et 1889 amplifient les tendances observées en 1867 : l’Exposition se dilate, dans une logique centrifuge (multiplication des sites, des bâtiments et des pavillons), les attractions se multiplient.

Ensuite, il y a tout de même quelques différences. En 1889, la France est républicaine et en pleine expansion coloniale, là où elle était en 1867 impériale et dotée d’un nombre de colonies encore réduite. En 1889, l’anthropologie tient une place plus importante qu’en 1867 où elle restait encore discrète. L’exposition de types humains avait été rejetée en 1867 là où, en 1889, des villages indigènes sont établis.