Exposé et décryptage de trois cas d’emballement médiatique autour de trois faits d’actualités économiques. À suivre…

19 octobre 2004, lors de la conférence de presse mensuelle du MEDEF, Ernest-Antoine Seillière alors président du Mouvement dénonce le recul du gouvernement Raffarin sur le projet de loi concernant les restructurations et s’emporte : "La bêtise économique ne fera pas l’avenir de notre pays."

Cette analyse est partagée par deux spécialistes de la communication d’entreprise : Catherine Malaval et Robert Zarader. Selon eux, la bêtise économique naît de la prise en compte d’une seule interprétation d’un fait économique. L’absence de confrontation des points de vue des différentes parties prenantes (salariés, industriels, médias, politiques, opinion publique) rend la perception des faits partielle, erronée ou contestable.

Pour illustrer cette bêtise économique, les auteurs reviennent successivement sur trois événements qui ont occupé l’actualité entre 2001 et 2007.

La première affaire est celle de la fuite dans la presse d’un projet de plan social touchant 3 000 emplois chez LU. Le deuxième récit détaille comment Metaleurop a pu s’affranchir de ses obligations sociales, écologiques et industrielles en changeant de nom. Enfin, les auteurs ont choisi de revenir sur la grève de la faim de Jean Lassalle, député de Lourdios-Ichère, pour protester contre la délocalisation d’un site de l’entreprise Toyal.

Ces trois faits d’actualité ont été traités dans les médias comme trois histoires. Des histoires d’hommes et d’entreprises évidemment, mais aussi des histoires politiques, médiatiques et économiques. Ces exemples ont été choisis pour mettre en évidence la capacité d’adhésion de l’opinion publique à un récit bien mené. Les auteurs décrivent l’utilisation du storytelling, cette capacité à raconter les faits sous forme d’histoire, afin de rallier (manipuler ?) l’opinion du plus grand nombre.

Les affaires sont racontées en détail, les mécanismes de construction du récit se mettent en place. Le lecteur comprend comment une vision unique a pu voir le jour et n’a pas toujours laissé l’occasion à toutes les parties prenantes de s’exprimer.

Par exemple, dans le cadre de l’affaire Toyal-Lassalle l’opinion publique retient le jeûne de 39 jours d’un député entamé pendant le Carême   pour protester contre une délocalisation. Les auteurs, quant à eux, donne une lecture différente et dépassionnée de cette histoire : il s’agit d’une grève de la faim contre un déplacement et un agrandissement du site prévu sur le territoire français (à Lacq). Ils apportent également une vision économique qui a trouvé moins de relais dans l’opinion publique : choix de la France plutôt que l’Allemagne pour le nouveau site, création d’emplois sur un site protégé et transformation du site actuel en site "vert"   .

Malaval et Zarader complètent cette analyse en replaçant les histoires dans leur contexte politique, social, économique et en apportant les dernières informations. Ainsi le projet de développement de Toyal sera finalement d’ouvrir une usine en Roumanie plutôt qu’à Lacq.

Durant toute cette affaire, les dirigeants de Toyal n’ont eu que peu le loisir de s’expliquer. L’enjeu principal était de faire cesser la grève de la faim du député déterminé, sans aucune autre considération économique, industrielle ou sociale.

La dernière partie de l’ouvrage est l’occasion de lancer des pistes d’analyse du phénomène de l’emballement médiatique. Quels sont les outils utilisés pour la diffusion de ces histoires ? Qui sont les acteurs principaux ? Quel est le rôle des politiques ? Quel est la place des syndicats ? Quel est l’avenir des sites de production ?

Ces réflexions sont éclairantes et font écho à des questions d’actualité. Cependant la variété des thèmes abordés empêchent parfois d’aller au fond de certaines questions. Les nombreux livres, blogs et articles cités en référence permettront d’aller plus loin dans l’analyse.

Les sociétés sont de mieux en mieux préparées à ces événements. Des histoires sont prêtes ou se prépareront rapidement grâce à l’aide d’agences spécialisées dans les situations de crise. Par exemple, dans le cadre de l’affaire Kerviel la situation s’est très rapidement muée en duel de communicants et donc de récits : celui du "bouc émissaire" d’un côté (Christophe Reille pour Jérôme Kerviel) et celui du "trader fou" de l’autre (Image 7 pour la Société Générale).

C’est dans le but de recenser ces futures histoires qu’un blog a été lancé concomitamment à la sortie de cet ouvrage. Ce blog laissera une place également à l’analyse en invitant des personnalités à réagir sur ces histoires   . Ce blog autorisera peut être l’expression de points de vue différents sur des affaires futures et ainsi de contrebalancer l’emballement médiatique à sens unique.

La rubrique "premiers lecteurs" est pour l’instant alimentée par quelques proches des auteurs qui se réjouissent de la sortie du livre qu’ils n’ont pas encore lu et par Frédéric Lemaître, journaliste du Monde à l’origine de l’affaire LU. Ce-dernier conteste dans son blog les propos tenus à son encontre et à celle du journal par les auteurs au sujet de cette histoire. Une troisième version de l’histoire LU serait-elle en train de s’écrire ?


À lire également :

- Verbatim de la conférence de presse de Ernest-Antoine Seillière 19 octobre 2004

- Blog des auteurs sur la bêtise économique

- La critique du livre Storytelling de Christian Salmon par Frédéric Martel
 
- Blog de Frédéric Lemaître, éditorialiste au journal Le Monde


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