Derrière le succès mondial d'un genre, la fantasy, se cachent souvent des engagements politiques, parfois inconscients.

Des imaginaires politiques de la fantasy

Après avoir travaillé sur le mythe du roi Arthur puis, plus récemment, sur les super-héros, William Blanc, spécialiste du « médiévalisme » – autrement dit de la réinvention du Moyen Âge dans la culture contemporaine –, revient dans ce bref ouvrage sur les horizons politiques qui sous-tendent les œuvres de trois des plus grands auteurs de fantasy : William Morris (La source du bout du monde, 1896), J.R.R. Tolkien (Le Seigneur des Anneaux) et G.R.R. Martin (A Song of Ice and Fire / Le Trône de fer, adapté à la télévision sous le nom Game of Thrones).

Même si elle appartient au genre des littératures de l'imaginaire, la fantasy entretient en effet des rapports complexes avec le monde réel. William Morris, inspiré par les travaux de John Ruskin, voire de Pierre Kropotkine, propose dans ses romans un Moyen Âge fantasmé qui permet par contraste de critiquer la modernité capitaliste et industrielle du XIXe siècle.

Influencé à la fois par Morris et par son expérience de combattant dans les tranchées, Tolkien reprend en partie cette vision : Saroumane, dont l'esprit est « fait de rouages et de métal », s'oppose aux Hobbits du Comté, êtres pacifiques vivant au rythme des saisons.

Le tout sur fond de conflit contre une puissance maléfique venue de l'Est, cherchant à conquérir le monde, qui évoque irrésistibliement la Deuxième Guerre mondiale. Le Seigneur des Anneaux participe d'un tournant écologique de la fantasy, qui se traduira notamment par une vision critique de la ville et de l'urbanisation, vision que l'on retrouve des œuvres d'Ursula Le Guin aux Schtroumpfs en passant par Astérix ou Elric de Melniboné.

Cette inquiétude écologique se laisse également deviner chez G.R.R. Martin : son cycle principal se construit en effet dans l'attente angoissée d'un hiver extrêmement long, promis depuis les premières pages – « l'hiver vient » – et qui a très vite été interprété comme une métaphore du réchauffement climatique, menaçant notre civilisation contemporaine. L'auteur propose ensuite trois brefs chapitres, regroupés dans une partie « bonus », portant respectivement sur les métamorphoses du dragon, d'adversaire manichéen à compagnon anthropisé, la métaphore de l'hiver dans la fantasy, les jeux de rôle de fantasy et enfin Conan le barbare.

 

Une fantasy politiquement engagée

Au fil de ce parcours, dont on regrettera essentiellement la brièveté, l'auteur montre à quel point la fantasy a, à son tour, une influence proprement politique. Le Seigneur des Anneaux nourrit ainsi la construction d'une écologie politique aux Etats-Unis, et l'on voit fleurir les badges « Frodon est vivant » ou encore « Gandalf président ». Plus près de nous, Game of Thrones a été extrêmement utilisé et mobilisé : en 2015, juste avant la COP 21, Greenpeace France détourne par exemple la célèbre devise des Stark pour proposer des affiches titrant « winter is not coming ». Quant à Nikolaj Coster-Waldau, l'un des acteurs principaux de la série, dans laquelle il incarne Jaime Lannister, il fait explicitement le lien entre le refus de la reine Cersei de s'unir aux Stark et aux Targaryens pour défendre les hommes contre l'armée des morts et le retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris, selon la politique de Donald Trump.

Il peut paraître paradoxal de trouver autant d'échos du monde contemporain dans un genre souvent critiqué comme étant « peu sérieux », et qui est reçu comme le genre par excellence de l'imaginaire, plus encore que la science-fiction. De fait, on remarque avec intérêt combien les auteurs refusent souvent ces analyses. Tolkien, par exemple, a toujours critiqué la comparaison entre Sauron et les Nazis, tout comme G.R.R. Martin a longtemps refusé de voir dans son œuvre des échos du bouleversement climatique. Faut-il alors voir dans ces analyses des surintreprétations caractéristiques des chercheurs ou plutôt, comme le suggère William Blanc, l'effet de l'inconscient des auteurs, se mêlant, dans des processus complexes, à l'inconscient collectif d'une époque ? À la différence du mythe des super-héros, portant une fascination pour le progrès, la vitesse et les machines, et traduisant une confiance dans l'avenir, la fantasy sert en effet le plus souvent d'échappatoire face à un présent méprisé et à un futur redouté.           

 

Dans un style précis, William Blanc propose ici une analyse fine et intelligente, sous-tendue par une immense érudition – on soulignera en particulier l'intérêt des analyses qui interrogent les illustrations de ces œuvres, les couvertures des livres reflétant souvent des visions fantasmées et idéalisées de la période médiévale, qui ne correspondent pas toujours au contenu réel des livres. L'ouvrage est très court, probablement trop vu à la fois la richesse des univers narratifs analysés et la complexité des enjeux qui se jouent dans ces intrigues : mais cette brièveté joue comme une promesse, dans l'attente d'autres analyses qui sauront continuer à cartographier ces « ailleurs » qu'offre la fantasy.