Un outil clair et utile, malgré une approche mono-disciplinaire.

L’ouvrage dirigé par Yvette Veyret est un dictionnaire critique de l’environnement. Il comporte 500 entrées et est écrit par 39 auteurs, tous universitaires ou chercheurs et presque tous géographes. La présentation en deux colonnes par pages est claire et pratique, les entrées imprimées en gras sont très rapidement trouvées et à la fin de chaque article des renvois facilitent le travail du lecteur. Une bibliographie riche de 16 pages permet d’approfondir les questions et quelques annexes donnent des tableaux dont la lecture n’aurait pas été aisée s’ils avaient du tenir sur une seule colonne. La table des matières est facile à lire et présente tous les sigles développés. Il s’agit donc d’un dictionnaire qui a été pensé pour une utilisation commode et pour une consultation fréquente. Il est seulement regrettable qu’il n’y ait ni carte ni croquis, qui auraient été bienvenus pour accompagner certains passages, comme celui qui porte sur la répartition des zones climatiques, ou pour l’entrée "réserves naturelles en France".


Une approche large

Certains termes sont détaillées en sous rubriques (il y a par exemple quatre entrées volcans). Résilience est abordé trois fois ("résilience", "résilience des systèmes écologiques et sociaux" et "résilience et risque") mais on retrouve aussi une entrée "climax/résilience". "Risque" est traité par  onze entrées, "Pollution" en provoque six, "Catastrophe" cinq, "crise" trois. Ce dictionnaire a donc une dimension très analytique, qui détaille chaque entrée selon diverses déclinaisons et selon les points de vue de différents spécialistes.

L’ensemble du dictionnaire est cependant caractérisé par une grande cohérence idéologique affirmée en introduction : la conception de l’environnement qu’ont les auteurs (les géographes en l’occurrence) est "quelque peu spécifique par rapport à celle d’autres disciplines". L’environnement n’est absolument pas ce que d’autres sciences entendent par la "nature". Pour les auteurs l’environnement est "un donné, un perçu, un vécu, un élément géré, un objet politique". Dans l’entrée "environnement" cette définition est précisée et devient "un objet social qui intègre données sociales et éléments  naturels dans un construit en quelque sorte hybride ». 

Tous les géographes ne partagent pas cet avis qui fait qu’à la définition de l’environnement ainsi construite pourrait correspondre "paysage", "jardin", "piste de ski de fond" et beaucoup d’autres objets hybrides mêlant éléments naturels et données sociales. Mais, dans la construction d’un dictionnaire, il est souvent utile que les auteurs exposent ou défendent un point de vue clair : c’est à partir de lui qu’ils vont décider de choisir telles ou telles entrées (et d’en exclure d’autres). Dans ce cas précis, la conception de l’environnement a plusieurs mérites : elle est large et implique de prendre en compte la dimension sociétale des faits naturels. À l’échelle d’un monde concerné par un changement climatique dont la part anthropique est importante, voire majeure, ce choix a une dimension épistémologique légitime. Un autre mérite est d’obliger les auteurs à analyser les représentations de la "nature" que se font les sociétés et à les critiquer parfois. L’entrée "Impérialisme vert et environnementalisme" est une dénonciation argumentée de certains comportements, ceux de la deep ecology par exemple.

Ce dictionnaire est donc orienté, et clairement partisan. Il exprime exactement ce que la plus grande partie des géographes français pense au sujet de l’environnement. Il a pour limite de n’avoir pas cherché à sortir de cette ligne majoritaire et de prêter le flanc à deux formes de critiques ponctuelles.


Quelle société ?

Une première critique porte sur la notion de société. Dans toutes les entrées ou presque la société est considérée comme un tout relativement homogène. Il n’y a aucune entrée "inégalités" comme si dans la société conçue par les auteurs tous les humains étaient également concernés ou également vulnérables. Il y a, certes, une mention des "plus défavorisés" dans l’article court qui parle d’équité et de développement durable. Mais en dehors de cette mention, l’analyse ne distingue pas, à un niveau d’échelle plus précis que celui de la société dans son ensemble, si des groupes humains sont égaux ou pas devant les problématiques environnementales. L’entrée "ville durable" signale que cette ville devrait fonctionner dans des conditions sociales équitables pour tous et réduire la fragmentation socio-spatiale. Rien n’est dit de la façon d’y parvenir et rien n’est dit au sujet de ce que différents groupes sociaux entendent par "équitable". L’entrée "risques industriels" ne s’occupe pas de savoir si les victimes potentielles sont plus souvent ouvriers ou patrons. Il semble donc que ce dictionnaire présente de la société une idée assez globale, étonnamment simple, ce qui contraste avec la variété des analyses au sujet de  différentes conceptions de la nature.


Un manque d’ouverture

La deuxième critique porte sur l’absence d’ouverture vers certains travaux anglo-saxons contemporains sur l’environnement. Le dictionnaire discute à l’envie de l’absence d’état zéro de la nature. Il n’existe pas, selon lui d’état de référence qui permettrait de définir une nature "vierge", sinon dans l’esprit de ceux (les écologistes) qui souhaitent la sacraliser pour des raisons non-scientifiques. Les hommes ont parcouru tout le globe depuis des millénaires et ont partout laissé leur trace si bien qu’il n’existe nulle part de nature non humanisée. Une telle conception est indubitablement vraie pour l’Europe. Il n’est pas possible de l’étendre telle quelle au continent américain, qui  a bien connu deux grands types d’environnements différents, un sans les apports des Blancs, l’autre avec leurs apports. Il y a dans ce cas, sinon un état zéro, du moins deux états distincts bien que tous deux anthropisés. Enfin cette conception devient fausse pour la Nouvelle Zélande et nombre d’îles (La Réunion, les Galapagos, les Falklands) dont on connaît l’état "écologique" avant tout contact avec les hommes. L’idée d’une "nature  vierge" n’est donc pas qu’un rêve de la deep ecology, c’est aussi un cadre conceptuel qui permet de comprendre comment fonctionne un milieu non anthropisé. C’est à partir de cet état de "nature naturelle" que de nombreux travaux anglo-saxons essaient de réfléchir à la portée, ou à l’ampleur des transformations que les groupes sociaux ont apportées à leur environnement.
 
Ces deux critiques signalent que le projet initial (construire un discours sur l’environnement qui soit spécifique aux géographes) est ambitieux mais risqué. Il n’est pas facile pour une science de tourner aussi résolument le dos à l’interdisciplinarité. Dans ce cas précis, l’environnement décrit par ce dictionnaire est, curieusement, presque épargné par les conflits sociaux et très éloigné des sciences de la vie. Il manque la dimension matérielle que donnent les luttes sociales et les approches naturalistes. L’ensemble du discours produit est donc très idéaliste. C’était sans doute la signification première du parti pris initial qui insistait sur le fait qu’il faut accorder à la dimension culturelle de l’environnement "une place majeure". Ce choix épistémologique ne retire cependant pas à l’ouvrage sa qualité essentielle : il est clair, assez complet et bien problématisé selon une idéologie commune à beaucoup de géographes en France. En ce sens c’est un ouvrage de référence à deux points de vue : scientifique et politique.


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Crédit photo : Mathieu Péborde / Flickr.com