A la découverte du travail en couleurs de la photographe de rue Vivian Maier.

Vivian Maier est née en 1926 dans le Bronx d’un père austro-hongrois et d’une mère française. Elle prend ses premiers clichés en France vers 1949 avec un Kodak Brownie, appareil simple destiné aux amateurs. En 1951, elle retourne aux États-Unis et achète en 1952 un Rolleiflex, appareil moyen format couramment utilisé par les photographes de l’époque, pour faire des prises de vue sans être vue. La position frontale de l'appareil permet de jouer sur la position des personnages, dans une sorte de mise en scène spontanée. Son travail rejoindrait celui de la Street Photography. Si Vivian Maier, nourrice de profession, photographia inlassablement les rues de Chicago et New York, elle resta anonyme toute sa vie. Jusqu'au jour où...

 

Une légende est née

C’est dans une vente aux enchères du contenu d’un espace d'entreposage en défaut de paiement que John Maloof, pour travailler sa thèse sur l’histoire de Chicago, achète une boîte de négatifs photographiques. Après des recherches infructueuses sur l'auteure des photos, il laisse de côté ses trouvailles. Ce fils de brocanteur, animé d'une passion incontrôlable, finit par les sortir à nouveau de leurs cartons et décide de les exposer. Essuyant un refus du MoMa à New York, il ne renonce pas et c'est à Chicago qu'il expose une collection considérable. En tout, c’est 3 000 photos et 100 000 clichés non développés qu’il récupère. Principalement, il s'agit de photos de rues réalisées entre 1950 et 1990. John Maloof décide en 2013 de réaliser un film, Finding Vivian Maier, pour mieux comprendre. Cela ne fera que renforcer le mystère. Vivian Maier est une femme à l'identité fuyante. Le film raconte, témoignages contradictoires à l'appui - ce qui est le propre de ce type de choix - une histoire tentant de lever le voile sur cette inconnue. Le risque est grand toutefois que la légende ne se substitue à l'art, et la psychologie à l'analyse des photographies.

 

 

Vivian Maier et la « Street photography »

On a qualifié son œuvre de « Street photography » car Vivian Maier prenait ses photos des passants sans mise en scène. Mais suffit-il de photographier au hasard, spontanément et en se cachant, pour produire une réelle œuvre esthétique ? Une œuvre d'art recombine les principes et les règles et obéit à une intention. Des enfants qui pleurent, jouent, des passants au regard évocateur que la photographie happe dans leur mutisme : on voit dans le travail de l'artiste la saisie de l'instant, de la suspension du temps de la chronologie. Une narration semble vouloir s'établir pour nous dire quelque chose que nous ne saurons jamais, à l'image de ces faits divers que Vivian Maier collectionne. Ce qui l'intéresse n'est pas tant la saisie d'une réalité sociale que l'énigmatique présence de celui qu'elle photographie.

 

La rue, la ruelle

Parler de rue et de passants, c'est en oublier la ruelle. Si la rue est publique et éclairée, la ruelle est plus étroite et moins visible. Dans les photographies d'Eugène Atget, père fondateur de la Street photography, les passants, trop fugitifs, n’apparaissent pas. Seules sont visibles l’architecture et les façades de Paris, qui ressemble à une scène vide, sans acteur. Missionné par le musée Carnavalet de 1870 à 1920, Atget archive en réalité les vieilles rues pittoresques de la capitale, qui s’apprêtent à disparaître avec la construction des boulevards haussmanniens. Qui est le véritable sujet du photographe ? La rue. Vivian Maier va y ajouter la ruelle. Celle où il ne fait pas toujours bon séjourner, celle de l'imprévu, du risque. Un des sens de ce terme est l'espace entre le lit et le mur, et plus largement la chambre, lieu du secret mais aussi de la révélation dans le cas de la chambre noire. De fait Vivian Maier nous plonge dans l'univers du film noir, et son goût pour les miroirs n'est pas sans écho avec le film Casablanca de Michael Curtiz (1947). Elle travaille la photographie dans ses liens avec le film et le roman noir, créant une attente dans le temps suspendu de la photographie, temps du suspens par définition.

 

Deux visions

Au-delà de ce que certains nomment « excentricité », au-delà de ce goût prononcé pour le secret, ou encore de sa « méchanceté » dont se souviennent encore les enfants qu'on lui confia, la question est celle de comprendre ce qui fait de l'œuvre de Vivian Maier une entreprise unique et artistique. Sur cet autoportrait, elle lève les yeux au ciel, détachant ainsi sa propre vision de celle de l'appareil photographique. Mais que regarde-t-elle qui échappe à son appareil photo ? Ce dernier est autonome, tout comme elle. On a deux visions complémentaires. Dans des vêtements amples qui dissimulent son corps, elle se cache derrière la porte qu'elle verrouille, semblable à un agent double protégeant sa véritable identité. Son nom, elle le changeait au gré des circonstances. Elle en modifiait l'orthographe ou en prenait un autre. Elle ne donnait pas son œuvre à voir. Par négligence ou parce que cela appartenait en propre à son travail photographique ?

 

Le goût du suspens

De sa chambre, telle une chambre noire, de sa ruelle, elle observe le monde où l'autre, s'il n'échappe pas à la prise de vue, cache le sens de ses actes. Vivian Maier utilisait un Rolleiflex bi-objectifs. Le propre des boîtiers 6 x 6 à visée ventrale est que l'appareil est tenu la plupart du temps à hauteur de poitrine. On vise frontalement, c'est à dire perpendiculairement au plan de projection. Chez Maier c'est particulièrement vrai : elle est ainsi au centre. Sur le même plan horizontal, au même niveau, elle se tient presque parallèle à son sujet, parfois légèrement en contre-plongée. Le modèle prend toute l'image, il est au premier plan de la scène. Par le truchement de miroirs, Vivian Maier, en espionne ou en enquêtrice, s'immisce dans son intimité, observatrice reflétée ou dissimulée.

Le goût de Vivian Mayer pour les faits divers, sur lesquels elle mène sa propre enquête, passe à l'oeil de l'objectif les témoins. Avec le soleil dans le dos, son ombre apparaît dans la cadre. Par-là, elle manifeste sa présence invisible, comme une signature. Comme un second cadre. Ce temps de la photo échappe à la continuité du récit. Le monde de la photographie est foncièrement dans l'attente de la suite, ouvert à un inachevé constitutif.

 

A voir :

Exposition "Vivian Maier, The Color Work du 19 janvier au 30 mars 2019"

Les Douches la Galerie 
5, rue Legouvé 1er étage 75010 Paris. 

La galerie est ouverte du mercredi au samedi de 14h à 19h ou sur rendez-vous.