La campagne pour la nomination démocrate bat son plein. La dernière ligne droite commence ce soir en Pennsylvanie avec, dans l’enchaînement, l’Indiana et la Caroline du Nord. Il y a encore peu, rien de semblait menacer Barack Obama, le charismatique candidat démocrate surfait de succès en succès. Sa capacité à gérer les crises - on se rappelle de son discours historique sur la réconciliation raciale délivré à Philadelphie en réponse aux propos de son ancien mentor le pasteur Jeremiah Wright - semblait le rendre infaillible. Les effets d’annonces d’une Hillary Clinton sur sa volonté de poursuivre la campagne pendant l’été ne pouvaient cacher l’écart grandissant entre les deux candidats. Seule une erreur majeure pouvait le désarçonner.

Il est encore trop tôt pour dire si elle est intervenue il y a maintenant près de vingt jours. On parle pourtant encore de cette polémique inattendue qui a pris de l’ampleur la semaine dernière. Elle concerne les propos tenus par le candidat à un meeting de donateurs ; dans une ambiance informelle, s’adressant à un public aisé, Obama a stigmatisé les blue collar. Parlant de ces nouveaux-vieux travailleurs pauvres, il les a décrits comme un groupe en marge de la société, aigri, se repliant par frustration sur les "armes", la "religion", "l’hostilité envers les étrangers et les immigrés", "l’opposition aux accords de libre-échange". Loin de briser l’image de démocrate élitiste qui lui a longtemps collé à la peau, Obama s’est à cette occasion aliéné un peu plus des électeurs déjà plutôt favorables à Hillary Clinton et dont le vote sera crucial en Pennsylvanie   . Va-t-on assister à un basculement dans la campagne ? L’avenir le dira.

L’histoire est aussi remarquable pour une autre raison. Ces propos ont été tenus devant des donateurs, lors de ce que l’on pourrait appeler une "conférence privée" dont les médias officiels étaient absents. L’impact et l’écho qu’ont connus ces mots posent avec acuité le problème des journalistes amateurs, ces correspondants informels travaillant la plupart du temps comme pigistes souvent bénévoles pour des sites Internet. Mayhill Fowler, la rapporteuse ici en question, est l’une des correspondantes du blog de l’huffingtonpost, une situation qui ne l’empêche pas d’être aussi un individu politisé : supportrice et donatrice aux campagnes de Barack Obama et d’Hillary Clinton. Elle se trouve dès lors dans ce que K. Seelye décrit comme une "zone grise" du journalisme où les statuts et les droits ne sont pas clairement définis. L’information, relayée sur Internet,  a mis moins d’une journée pour se retrouver exploitée par le camp Clinton. De là à savoir si cette dernière a su l’utiliser, c’est une autre question.


* "Obama: no surprise that hard-pressed Pennsylvanians turn bitter", FOWLER Mayhill, www.huffingtonpost.com, 11 avril 2008.

* "Blogger is surprised by uproar over Obama story, but not bitter", SEELYE Katharine Q., New York Times, 14 avril 2008.


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Crédit photo : flickr.com/ jurvetson