A quel âge devient-on vieux quand on est homme ou femme politique ? Contrairement à ce qu'on pense parfois, la gérontocratie n'est pas une invention contemporaine.

L’automne dernier, Bernie Sanders a été reconduit pour un troisième mandat de sénateur de l’État de Vermont. Malgré ses 77 ans, Sanders représente un candidat potentiel pour les élections présidentielles américaines de 2020. Son âge avancé ne semble pas lui porter préjudice puisqu’il suscite surtout l’engouement de la jeunesse. On retrouve une situation similaire chez deux autres vétérans de la gauche radicale, l’anglais Jeremy Corbyn (69 ans) et le français Jean-Luc Mélenchon (67 ans), qui ont réalisé certains de leurs meilleurs scores auprès des électeurs les plus jeunes lors des derniers scrutins nationaux de leurs pays respectifs. Face à ce curieux paradoxe, se tourner vers le passé permet de réfléchir à la question de l’âge en politique. Historiquement, l’ancienneté n’a pas toujours été un handicap et a pu être une condition sine qua non de l’entrée en politique. C’est ce qu’on appelle une gérontocratie et ce fut le cas de Venise à la Renaissance.

Les doges plus vieux que les papes

En 1519, dans une Europe où l’âge médian des souverains européen est de 33 ans, le doge (prince) de Venise Leonardo Loredan fait figure d’ancêtre du haut de ses 83 ans. La comparaison est encore plus frappante si l’on met Venise en miroir avec Rome : entre 1400 et 1600, les doges sont élus en moyenne à 73 ans… soit à un âge où les papes sont déjà décédés (ils sont élus vers 54 ans et meurent autour de 64 ans) ! En 1501, le rival malheureux de Leonardo Loredan, Antonio Tron, est jugé trop jeune pour accéder à la magistrature suprême malgré ses 60 ans.

À Venise, seuls les patriciens, les membres de l’élite dirigeante, peuvent voter et être élus. L’entrée en politique se fait à partir de 25 ans mais les possibilités demeurent limitées pendant longtemps : s’il faut officiellement avoir 32 ans pour entrer au Sénat, la plus importante assemblée de la République, la majorité des sénateurs ont plus de 50 ans. Les valeurs promues au sein du patriciat, comme la sagesse ou la prudence, sont considérées comme davantage propres aux hommes mûrs, tandis que la jeunesse serait source de corruption, d’agitation et d’incompétence.

La gérontocratie même dans la flotte de guerre

La puissante flotte de guerre de la République n’échappe pas à cette règle : dans la seconde moitié du XVe siècle, ses amiraux sont élus en moyenne à 63 ans (le doyen remporte le scrutin à 84 ans). Or les campagnes en mer durent souvent plusieurs années et la vie à bord des navires n’est pas de tout repos. On ne s’étonnera donc pas des nombreux décès en cours de charge : la moitié des amiraux appointés pendant la seconde moitié du XVe siècle meurent de maladie ou d’épuisement (mais aucun au combat). Le choix de désigner des hommes âgés perturbe le commandement de la flotte vénitienne et explique en partie ses défaites face aux Ottomans au cours de la Renaissance.

Une garantie contre la tyrannie

Une seconde explication, tout aussi politique, peut être avancée : un amiral victorieux pourrait se laisser griser et tenter d’imposer un pouvoir personnel à son retour à Venise. Les patriciens vénitiens de la Renaissance sont épris de culture antique et connaissent tous l’exemple de Jules César. L’âge avancé de leurs amiraux offre alors la meilleure garantie contre une dérive tyrannique. De fait, certains sont élus doges en récompense de leurs faits d’armes mais ne vivent pas assez longtemps pour comploter contre les institutions républicaines.

En 1577, Sebastiano Venier devient doge 6 ans après avoir remporté la bataille de Lépante sur les Ottomans. Il a alors 80 ans et meurt 9 mois plus tard. Un siècle plus tôt, en 1474, Pietro Mocenigo avait lui aussi atteint la magistrature suprême après 4 années passées à la tête de la flotte vénitienne. Il décède d’une maladie contractée pendant sa campagne en mer au bout de 13 mois, à l’âge de 70 ans.

Les jeunes s’impatientent

Que pensent les jeunes patriciens de l’idée d’attendre plusieurs décennies avant d’accéder aux magistratures les plus importantes ? La majorité se soumet aux règles du jeu – sans doute de mauvais cœur – mais certains refusent de patienter et usent de stratagèmes – l’argent déjà ! – pour brûler les étapes. En 1423, Francesco Foscari réussit à se faire élire doge à seulement 50 ans ! Ses contemporains attribuent justement son tempérament belliqueux à son « jeune » âge.

L’exemple vénitien montre comment l’ancienneté a parfois été la norme en politique au cours de l’histoire. Notre époque favorise davantage la jeunesse et on imagine difficilement un politicien mettant en avant son âge avancé pour séduire les électeurs. Néanmoins, les exemples de Bernie Sanders, Jeremy Corbyn et Jean-Luc Mélenchon montrent que les jeunes ne sont pas encore totalement les maîtres de l’arène politique. Comme l’a dit un ancien premier ministre français : « en politique, on n’est jamais fini ».

Sébastien Mazou

Pour aller plus loin

  • Stanley Chojnacki, « Political adulthood in Fifteenth-Century Venice », The American historical Review, vol. 91, 1986, p. 791-810.
  • Robert Finlay, « The Venetian Republic as a gerontocracy: age and politics in the Renaissance », Journal of Medieval and Renaissance studies, vol. 8, 1978, p. 157-178.
  • Creighton Gilbert, « When Did a Man in the Renaissance Grow Old », Studies in the Renaissance, vol. 14, 1967, p. 7-32.
  • Lucie Laumonier, « En prévision des vieux jours : les personnes âgées à Montpellier à la fin du Moyen Âge », Médiévales, vol. 68, 2015, p. 119-145.

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