Le fixé sous verre : majorité d'un art mineur ?

C'est à la station historique du Revard, sur les hauteurs du lac du Bourget, qu'un musée a ouvert ses portes en 2017 à cette pratique artistique méconnue de la plupart des amateurs d'art : le "fixé sous verre" ou "peinture sous verre". Cette technique consiste à peindre une image directement sur une face de la vitre, verre ou miroir, le résultat se regarde sur l'autre face. 

Le Musée du Fixé est le seul musée en France consacré au fixé sous verre. Installé au rez-de-chaussée de l'ancien Grand Hôtel PLM (Paris Lyon Méditerranée) construit en 1894 dans l'écrin du Mont Revard, il expose plus de 400 œuvres de toutes provenances et a pour ambition de promouvoir et populariser l’art du fixé sous verre, et de faire connaître les artistes vivants qui perpétuent cette peinture. Démarche surprenante pour un art qui fut au départ un art populaire, et qui, tombé dans l'oubli devient objet de conservation. C'est cependant aussi l'occasion de s'interroger sur ce “genre” fuyant, qui ne peut jamais vraiment être enfermé dans une détermination définitive. C'est l'occasion de questionner aussi le goût populaire et le temps long qu'il a fallu avant que le musée en tant qu'institution ne reconnaisse le bien fondé d'exposer un art populaire, plus ouvert à l'usage qu'à la question du beau.  Elle remet aussi en question les grandes catégorisations de l'art. C'est ainsi que très pratiquée au Sénégal, elle sort par son jeu d'imagerie, de la référence obligée de l'Afrique aux Arts Premiers. Au Sénégal, les grandes figures des confréries religieuses et de la résistance à la colonisation (Cheikh Amadou Bamba, El Hadj Malick Sy, Limamou Laye, Lat Dior...) ont inspiré de nombreux “fixés sous verre”. Cet art se donne à comprendre comme un art de contestation et de revendication d'une culture non officielle. Sa présence dans les musées est donc presque contradictoire. 

 

Le fixé : un art populaire

Largement pratiquée en Europe, de l’Espagne à la Pologne, et jusqu’en Asie, la peinture sous verre est liée à l’industrie du verre et à sa diffusion. Introduite à Venise au Moyen Age, elle atteint sa pleine maturité dans la deuxième moitié du XVIe siècle  grâce à l’influence des verriers byzantins installés sur l’ile de Murano depuis le XIIIe siècle. Venise devient alors un des centres de production de cet art savant qui tend à devenir dès le XVIe-XVIIe siècle un art populaire. Ni art total, ni travail purement artisanal, le “fixé” est dans une sorte d'entre-deux, rejoignant la vieille question de la collaboration entre l'artiste et l'artisan, entre le beau et l'utile. Bien vite la production en série se propagea au sein de manufactures qui voisinent les verreries : un commerce parfaitement organisé s’instaura et perdura jusqu’à la fin du XIXème. Le XIXe siècle marque l’apogée de cette technique picturale mais aussi le début de son déclin avec l’invention et la diffusion de la chromolithographie, ancêtre de l'impression offset.

 

Le temps du fixé : de l'Etre au Néant

Le temps du fixé, c'est d'abord le temps de la création. Peignant directement sur du verre, l'artiste ne peut pas se reprendre, retoucher, revenir : tous ces verbes dont le préfixe signifie le temps long du travail artistique au-delà du premier jet, le fixé les ignore. L'artiste commence par les finesses, pour terminer par les fonds, et doit donc imaginer jusque dans les moindes détails la version définitive de l'oeuvre au moment du premier coup de pinceau. 
Temps de la conservation ensuite. Comme toute oeuvre picturale, le fixé s'inscrit dans la permanence. Mais à la différence de la peinture ou de la sculpture, il peut disparaître en quelques secondes : il suffit d'un mouvement malheureux pour qu'il se brise en mille morceaux. Le fixé porte donc en lui, en même temps que le rêve de sa permanence, la promesse de sa finitude. 

 

L'espace du fixé : permanence de foyers déconnectés

Là où l'histoire de l'art aime à distinguer des genres liés à des grandes aires géographiques et à des époques - qu'on pense au Quatrocentto italien - des zones d'influences, des mouvements transnationaux mais néanmoins marqués géographiquement - l'impressionnisme ou le futurisme pour n'en citer que deux - le fixé se créé dans un espace discret : discret parce que peu médiatisé, mais aussi discret au sens mathématique, dans des foyers de création déconnectés, qui ne se connaissent pas mutuellement ni n'influencent leur région.

Jusqu'au XVIIIème siècle, le fixé se développe en parallèle en Asie, Chine et Japon notamment, et en Europe. Au XXème siècle, trois grands foyers du fixé co-existent, sans lien ou presque : le Sénégal, avec Dakar et Saint-Louis en particulier, la Croatie, à partir du petit village de Hlebine, et le centre de l'Europe (Alsace-Lorraine, Bavière, Nord de la Suisse). Le fixé dessine donc une mondialisation en pointillés, dans laquelle les décors champêtres croates coexistent avec la végétation exubérante sénégalaise, affirmant ainsi une forme d'indépassable de l'origine.

 

L'artiste derrière le fixé : l'Un et le Multiple

Dans la tradition artistique occidentale, l'artiste signe son oeuvre, quelle qu'elle soit. L'on peut bien sûr penser aux ateliers de sculpteurs de la Grèce Antique, ou de peintres sous la Renaissance Italienne, mais même dans ces cas, l'oeuvre est signée. Elle n'a peut-être pas été réalisée par le maître lui-même, mais dans son atelier, sous son impulsion. A l'inverse, la plupart des fixés ne sont pas signés, puisque l'artiste lui-même ne se sait pas, ne se dit pas artiste. Forme d'expression privilégiée des "gens de peu", femmes et milieux populaires en tête, le fixé n'a pas vocation à être individualisé. 
Si au cours du XXème siècle, certains artistes se mettent à signer leurs oeuvres, le collectif n'est cependant jamais très loin. C'est le cas de ces deux femmes amies, Germaine et Raymonde, qui laissent à leurs maris l'art noble de la peinture, et se mettent à peindre ensemble des fixés, parfois sur des plateaux, un support courant pour le fixé traditionnel. Ces fixés, elles les signent tout naturellement... Germonde.

 

Love & War
La nouvelle exposition proposée par le Musée du Revard, inaugurée aujourd'hui samedi 21 juillet, permet de mettre en regard des fixés qui évoquent l'amour sous toutes ses formes, et des peintures à l'huile proposant un regard sur la guerre.

Les fixés de l'artiste grenobloise Chanath (Chantal Legendre de son nom civil) proposent une vision de l'amour dans laquelle le féminin, Mère ou Nature, l'emporte sur les éléments. Le travail à l'encre invite à une multitude d'interprétations, tandis que l'absence d'éléments de décor identifiables font de l'élan d'amour un universel, dans lequel les particularités n'ont pas leur place : les corps ne sont pas ou peu genrés, les paysages de désolation pourraient exister n'importe où.

En regard, les peintures à l'huile d'Anne Paris imposent le particularisme de la guerre : noms de ville tronquées sur des cartes malmenées, références culturelles marquées, le tout dans une explosion de couleurs. A Sarajevo peut-être, partout à coup sûr, la guerre comme destruction de vies singulières.

Cette nouvelle exposition, du 21 juillet au 30 septembre, offre l'occasion de découvrir ou redécouvrir le musée du fixé sous verre du Revard, seul musée français consacré à cette forme d'art, qui mérite d'être plus connue

 

Disclaimer : l'auteur de cet article a un lien personnel avec le musée du fixé, ce qui lui a permis de bénéficier d'une visite de l'exposition en avant-première. La plupart des éléments de ce texte sont par ailleurs repris de la visite guidée du Musée, effectuée par le Président de l'Association des amis du musée du fixé, dont la compétence et la passion ont rendu possible cette exposition, et au-delà, la création de ce musée.

 

Musée du Revard - Musée du fixé, Tél : 04 79 61 96 24 - Site internet : http://www.museedurevard.org/