L'étude de la robe, de ses différents modèles aux façons de la porter depuis l'époque médiévale.

Georges Vigarello, spécialiste de l'histoire des corps et de leur représentation publie au Seuil un très beau livre sur l'histoire de la robe. Voilà un sujet d'étude passionnant car les contours de celui-ci sont très larges et touchent à plusieurs champs de l'Histoire, qu'elle soit culturelle bien sûr, mais aussi sociale, voire politique. Depuis la Moyen-Age, la robe est un moyen pour les femmes, en particulier celles de pouvoir, d'affirmer un rang, une puissance. Georges Vigarello montre même, grâce à une démonstration très claire et illustrée de nombreux documents iconographiques, qu'à travers l'histoire de l'évolution de ce vêtement, nous avons un reflet de l’histoire des femmes.

En effet, l'évolution des formes de la robe permet de retracer, depuis l'époque médiévale, l'évolution du statut de la femme dans la société : « la robe obéit à un contexte » selon Vigarello. Nous sommes donc ici en plein cœur de l'histoire culturelle et sociale de la société française, mais une histoire vue par un biais tout à fait original : un vêtement. Vigarello propose un livre exhaustif sur le thème de la robe, sur le fond et sur la forme, qui permet à la fois de comprendre et de voir les évolutions des modèles. Beauté des tissus, utilisation de certains artifices, tout est passé au crible par l'historien. Le but de sa démonstration est de voir comment les femmes se servent de ce vêtement, que ce soit dans un but esthétique (la séduction), social (montrer son rang et sa richesse) ou politique (afficher son pouvoir). La Robe, une histoire culturelle du Moyen-Age à nos jours, est donc un très beau livre d'histoire qui ravira aussi bien les férus d'histoire culturelle que les « amateurs » de belles robes qui y retrouveront des modèles majeurs de chaque époque.

 

Une histoire à travers les âges

Georges Vigarello s'attache à montrer l'évolution de la robe, de sa confection à son port par les femmes en insistant sur les grandes ruptures de la mode qui ont conduit à des changements majeurs dans la façon de porter ce vêtement. Chaque période, chaque mode suggère une sensibilité culturelle particulière qui se retrouve dans les robes et surtout dans la façon de les utiliser. Ce qui compte, et c'est une constante à travers les époques, c'est l'attendu sociétal autour de l'apparence des femmes : même si les modes diffèrent, la mise en valeur de la beauté féminine reste la fonction principale de ce vêtement.

La Robe, une histoire culturelle du Moyen-Age à nos jours est découpé en six grandes périodes définies chacune par des ruptures fondamentales dans l'analyse et la fonction de la robe. La première partie, consacrée au Moyen-Age et à la Renaissance pose les jalons de la robe au moins jusqu'à la Révolution. Vigarello montre ici comment, dans les robes primitives le buste est peu à peu apparu grâce en particulier à l'invention du laçage qui permet de resserrer le haut pour lui donner une forme plus mince et renforcer l'évasement du bas. La ceinture, accessoire important, apparaît dans les derniers moments de l'époque médiévale. À la Renaissance, la robe devient plus géométrique, reflet de son temps, ce qui renforce encore plus sa sophistication.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles c'est « le triomphe du haut ». À cette période, c'est le développement du corset, accessoire majeur jusqu'en 1914. Dénoncé, décrié même par les médecins et chirurgiens dès Ambroise Paré au XVIe siècle, le corset devient pourtant indispensable avec les robes, le but étant de faire apparaître une silhouette évasée avec un haut resserré et un bas qui s'élargit, quitte à renforcer cela grâce à des arceaux et autres accessoires en bois et métal ajustés sous la partie basse de la robe.

Au XVIIIe siècle, il s’agit de « contester les contraintes » : de la période des Lumières à la Révolution, les femmes cherchent une nouvelle liberté de mouvement, loin des carcans du corset et des armatures. Les Merveilleuses, nouvelles figures de la mode sous le Directoire, adoptent des robes plus fluides et plus à même de suivre les mouvements du corps : une « révolution de la robe » comme l'annonce Vigarello. Époque éphémère, mode éphémère puisque le XIXe siècle, traité dans la quatrième partie, marque un retour du corset et des armatures : des « résistances de l'artifice » comme le note Vigarello. Reflet d'une société où l'ordre triomphe à partir de l'Empire et jusqu'à l'établissement de la IIIe République à la fin du siècle, la robe est donc marquée par un retour des formes évasées, par l'utilisation massive de la crinoline et surtout du corset.

Ce n'est qu'après la Grande Guerre que la mode change vraiment dans le sens d'une libération du corps des carcans : la robe devient alors moins rigide, suit plus les formes du corps. La longueur se raccourcit, d'autres tissus sont utilisés : elle subit une révolution qui a pour conséquence une silhouette féminine beaucoup plus élancée.

L'après Seconde Guerre mondiale est marquée par « l'individualité, l'éclectisme et la sensibilité » : trois notions importantes dans la création des couturiers désormais célèbres comme Saint Laurent ou Dior.

Vigarello traite toutes les époques, toutes les modes ; rien n'a été oublié dans ce panorama de la mode, qui est ici prétexte à une histoire culturelle de l'évolution de la perception du corps de la femme.

 

Un beau livre avec de superbes illustrations

La Robe, une histoire culturelle du Moyen-Age à nos jours est avant tout un beau livre d'histoire, de grand format, carré, qui met en valeur l'iconographie nombreuse et bien choisie par Vigarello pour illustrer son propos. Reproduction de tableaux, de gravure, de magazines et autres photographies : les illustrations sont superbes et agrémentent parfaitement le texte (on pense ici notamment aux célèbres Femmes volantes de Peter Knapp pour illustrer les robes Courrèges reproduites dans l'ouvrage). Elles permettent au lecteur de suivre de-visu la démonstration de Georges Viagarello. L'utilisation par les Éditions du Seuil d'un beau papier glacé, grand format, permettent d'avoir une qualité d'image optimum : La Robe, une histoire culturelle du Moyen-Age à nos jours est à regarder autant qu'à lire.

En effet, le choix de l'iconographie par Vigarello est indissociable de son raisonnement : les deux vont ensemble. L'illustration explique le texte et vice-versa : c'est là une des grandes réussites de cet ouvrage qui vaut aussi bien par le raisonnement de Georges Vigarello sur l'évolution de la robe que par les illustrations qu’il a sélectionnées.

 

Symbolique, représentations et sociabilités de l'utilisation de la robe

La Robe, une histoire culturelle du Moyen-Age à nos jours n'est pas un simple livre sur l'évolution d'un vêtement depuis l'époque médiévale. Georges Vigarello, spécialiste français de l'étude des corps, démontre bien tout au long de son propos que l'évolution de la mode vestimentaire est concomitante avec la perception du corps de la femme et à la place de cette dernière au sein de la société. Cacher le corps ou au contraire le dévoiler, enserrer le buste dans un corset ou au contraire laisser la poitrine plus libre, autant d'évolutions de la robe qui sont les reflets des métamorphoses sociétales.

Le cas, déjà cité, des Merveilleuses sous le Directoire est, à cet égard, symptomatique. Après une période la Terreur, la bourgeoisie aspire à plus de liberté, ce qui se voit sur les robes portées à l'époque qui sont plus fluides et suivent les mouvements du corps, mode qui se poursuit jusqu'à l'Empire. La Restauration, période du retour de l'Ordre en France, est aussi le moment où les robes redeviennent guindées et plus sage, où le corps féminin se montre moins et se retrouve, à nouveau, engoncé dans un corset.

Le corps des femmes et sa mise en valeur par le vêtement s'inscrivent à coup sûr dans une époque dont le vêtement et son port sont les reflets