Le design au service de la connaissance gastronomique

Le design au service de la connaissance gastronomique. Un géographe de renommé, acteur déterminé de l’inscription du « Repas gastronomique des Français » sur la liste du Patrimoine immatériel de l’UNESCO (novembre 2010) met à disposition du grand public un atlas retraçant les éléments de l’identité gastronomique française et présentant la distribution territoriale de ses produits et producteurs dans l’hexagone et les Outre-mer.

 

 

Un ouvrage s’inscrivant dans une longue tradition gastro-cartographique

Depuis longtemps, on sait que la cartographie peut illustrer intelligiblement les richesses des terroirs. Dès la première moitié du XIXème siècle, les cartes de France Deyrolles s’y sont employées avec succès. Elles ont montré à des générations successives d’écoliers les fruits, les légumes ou les fromages de l’hexagone. Blay Foldex, le spécialiste des cartes routières et des communes, a été de son côté jusqu’à développer des produits grands publics dédiés à la richesse gastronomique nationale. Dans son catalogue, on trouve ainsi des cartes murales consacrées aux vignobles et aux fromages AOC/AOP français. Ces dernières décennies, dans une volonté de visualiser les patrimoines d’exception, les promoteurs du tourisme culinaire avec le soutien des administrations territoriales, les producteurs (artisans, conserveurs, fermiers), les restaurateurs ou fermiers aubergistes ont multiplié presque à l’infini les routes « gourmandes ». Ainsi a-t-on vu se cartographier la route de la noix du Périgord, la route de la pomme du Limousin, la route des eaux de vie d’Alsace, la route du chabichou et des fromages de chèvre en Poitou-Charentes, la route du cidre en Normandie, la route du sel en pays de Loire, la route de la fraise de Plougastel…, et tant d’autres encore qu’il est impossible d’en avoir une liste exhaustive. Autant d’itinéraires et de circuits découvertes dont les signalétiques bordent les routes de France avec leurs infographies aussi simples qu’immédiatement compréhensibles, faisant le bonheur des plus curieux des automobilistes et des randonneurs. La cartographie de ces richesses a révélé ou remis au goût du jour bien des trésors cachés.

Une infographie attrayante voire aguicheuse conduit à fréquenter des chemins de traverse. Son expression culturaliste glisse tendanciellement vers le marketing, l’instrumentalisation mercantile, au profit le plus souvent de petites voire très petites entreprises. Encore faut-il cependant l’établir à bon escient et se montrer extrêmement rigoureux dans sa réalisation. Si cela n’est pas le cas, on risque de faire rire rapidement à ses dépens. Une aventure qui vient d’advenir à l’entreprise américaine de grande distribution Whole Foods. Sa campagne vantant outre-Atlantique les fromages français a provoqué bien des commentaires de presse hilares et d’internautes moqueurs quand ils ont découvert sur une carte promotionnelle des fromages de France que la production du beaufort se matérialise en Gironde, celle du P’tit Basque en Loire Atlantique, ou encore que l’Epoisses et le camembert se fabriquent en Languedoc-Roussillon. C’est dire combien les atlas des richesses du patrimoine gastronomique français sont encore utiles. Dans ce contexte, on peut se réjouir que de jolies cartes régionales récemment établies naissent de véritables atlas thématiques.

 

Une diversité des terroirs très bien mise en scène

Fort opportunément les éditions Marabout ont confié à Adrien Grant Smith Bianchi et Jules Gaubert-Turpin le soin de réaliser sur la base de leurs guides cartonnés multilingues un atlas des vignobles du monde   qui dépeint l’histoire et les paysages viticoles de 62 pays, soit près d’un tiers des membres des Nations unies. Une vraie réussite ! Point de gastro-nationalisme ou de gastro-égoïsme nécessaires pour désigner les bonnes choses, le design peut suffire à donner aux consommateurs et aux fouineurs des informations justes et en nombre

Ces vingt-cinq dernières années, plusieurs journalistes et universitaires se sont essayés à réaliser des atlas de la France « gourmande ». Après Hervé Pinel en 1992   , Olivier Etcheverria et Gilles Fumey en 2004   , puis Estérelle Payany   , c’est au tour cette année du chroniqueur de L’Express François-Régis Gaudry   avec son imposante encyclopédie (139 contributeurs, 1 250 spécialités, 3,2 kg de savoirs) et au professeur Jean-Robert Pitte de s’être lancés dans l’aventure de la cartographie « gourmande ». Ce dernier n’est d’ailleurs pas novice en la matière puisqu’il avait préfacé il y a treize ans l’ouvrage de son collègue de l’université Paris IV et animateur des Cafés géographiques : G. Fumey.

L’enquête gastronomique de celui qui est aussi le Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques depuis 2017 est aussi simple dans son principe que didactique dans ses exposés : les analyses sur les pages de gauche, les infographies en contrepoint à droite. Un montage binaire mais en rien fastidieux du fait de la qualité de la présentation et la clarté des encadrés. Pas si simple quand on veut partager un maximum d’informations ! Le jeu des couleurs, l’inclusion d’images illustrantes, des encadrés concis, une signalétique simplissime permettent aux lecteurs de ne jamais se perdre au fil des pages. Chaque thématique abordée – il y en a 47 des produits (ex. tripes et abats, gibier, champignons, confiserie, pain, eaux-de-vie…) au rayonnement mondial de la gastronomie française et hexagonale des étoilés du Guide Michelin, en passant par les nouveautés de la Renaissance ou encore l’approvisionnement gastronomique de Paris de la fin du XVIIIème au début du XIXème siècle- peut ainsi être traitée avec ambition et sous divers angles (économique, géographique, historique, social). Le texte ne recèle guère de fantaisies, ne s’intéresse guère aux dernières tendances moléculaires ou végétariennes mais l’exposé est fondé sur des faits, des statistiques, des comparaisons internationales, précises sans jamais être énoncées de manière roborative. Bien au contraire ! On peut dès lors se plonger dans la construction de l’identité gourmande française, la géographie de 17 produits (ex. charcuteries, crustacés, beurres, vins, la distribution géographique nationale des viandes de bœuf Label Rouge, IGP et AOP) y compris les assaisonnements et le goût de 18 territoires (ex. Le pays lyonnais, la Corse, le Grand Sud-Ouest…). Des encadrés distrayants agrémentent nombre de ces chapitres. On y piochera la recette du cotignac par Nostradamus, une histoire du restaurant mythique de la gare de Lyon « Le Train Bleu » ou de l’arrivée du chocolat par la ville de Bayonne, un inventaire d’une cave de Paris à la fin du XVIIIème siècle, un menu à huit plats servis par l’Académie des abats en 1986, une présentation enchanteresse de la pomme d’or du Limousin ou encore celle des hortillonnages de la vallée de la Somme. Parmi les encadrés éclectiques, les plus gourmands se jetteront sur la page entière consacrée à quelques mariages harmonieux entre vins et cuisines traditionnelles sans même parler des recettes du potjevleesch apprécié dans les Flandres, du kugelhof alsacien, du pâté bourbonnais, des moules farcies sétoises, de la cotriade bretonne ou du ragoût d’agneau dans les mottes d’Ouessant.

 

Valorisons tout notre patrimoine ultramarin

Si la découpe territoriale retenue n’est pas celle de notre géographie politico-administrative, on en a cure mais on aurait préféré que le géographe de renom parle des Outre-mer plutôt que de l’Outre-Mer. Certes on lui saura gré de ne pas avoir oublié ces « bouts » de France mais le patrimoine gastronomique ultramarin, bien trop méconnu, mérite d’être mis en valeur à plus d’un titre   . Néanmoins, beaucoup reste encore à faire en la matière comme en témoignent la campagne de pétitions lancée en 2016 pour que les restaurants et hôtels ultramarins soient notés par le guide Michelin   , ils s’ajouteront donc le jour venu aux cartes de Carl Voyer qui nous a donné ici la géographie des grands restaurants parisiens de 1808 à nos jours et la distribution territoriale des restaurants 2 et 3 étoiles. L’enjeu est à la fois patrimonial et économique. C’est pourquoi des initiatives originales émergent pour faire mieux connaître les produits des Outre-mer. Lors du salon de l’Agriculture de mars 2017 trois distilleries tahitiennes de rhum (Avatea, Tahaa, Tamure) participèrent pour la première fois. En Nouvelle-Calédonie, on relèvera le lancement tout récent par une start-up local d’un ColisCalin qui distribue dans une box nombre de produits locaux (ex. miel de Lifou, sel de Ko, vanille des îles Loyauté,…).

 

Un livre qui titille la curiosité des papilles et de l’intellect

Bien évidemment, l’enquête de Jean-Robert Pitte ne pouvait vanter toutes les gourmandises françaises, encore fallait-il en faire une sélection la plus emblématique possible. C’est réussi ! Ceux qui voudront aller plus loin pour tel ou tel produit pourront s’en remettre aux monographies qui elles aussi s’enrichissent les rayons des libraires chaque mois un peu plus. Ceux qui voudront en savoir un peu plus par exemple sur la géographie des producteurs de whiskies français apprécieront la nouvelle enquête très fouillée du réalisateur R. Entreinger   . Mais comme chez chacun d’entre nous sommeille un gourmet ronchon, on trouvera toujours dans le livre de R. Pitte l’ « oubli » de telle ou telle de ses préférences. Pour ma part, je ne saurai mettre de côté la moutarde d’Orléans au sel de Guérande et dont l’histoire remonte au minimum à la fin du XVIIème siècle. Pinaillage sans conteste mais le livre de Jean-Robert Pitte nous offre tant d’opportunités de pouvoir picorer dans un buffet très bien garni, agencé avec goût, avec des produits d’information frais et non recyclés. La gourmandise s’accompagnant d’une table plaisante, quelques cartes supplémentaires sur les lieux de production des arts de la table (vaisselles, verreries, ustensiles de cuisine,…) auraient complété joliment le tableau réalisé par le président de la Mission française du Patrimoine des cultures alimentaires.