Un recueil d'articles inégaux, réunis autour d'une problématique trop floue.

Cet ouvrage est issu d’un colloque de science politique organisé par le Centre d’études et de recherches autour de la démocratie (CERAD), en avril 2005 à Rennes. Il se propose, de façon originale, d’aborder les revues par le prisme des ruptures.

Dans sa présentation, François Hourmant ne fournit pas de définition claire de la revue. C’est dommage, mais cela peut se comprendre : le livre s’adresse à un public qui sait déjà ce dont il s’agit. Plus dérangeant est le fait que cet ouvrage parle de rupture aussi bien pour les manifestes fondateurs – qui, en effet, par essence, expriment une singularité sinon objective, du moins subjective, affichée, recherchée – que pour les itinéraires biographiques, les choix du support de la revue – avec la disparition du format papier au profit d’Internet – ou pour l’engouement des revues pour tel processus participatif, etc. Et l’on se dit alors que cette problématique de la "rupture" est tellement omniprésente qu’elle en devient évanescente jusqu’à ne plus trop rien signifier. L’angle d’attaque retenu dans nombre d’articles apparaît donc surfait. Bref, il y a comme un parfum d’artificiel qui s’exhale de ce recueil. Toute fondation, toute initiative, toute création, n’est-elle pas une rupture ? Tout changement, tout choix, et donc tout refus, tout désaccord n’est-il pas rupture ?

D’autres défauts desservent cet ouvrage. Un des plus étonnants est l’absence, parmi les contributeurs, de l’un des deux directeurs de l’ouvrage   , ne serait-ce que sous la forme d’une introduction ou d’une conclusion. D’ailleurs, si l’on peut bien lire une introduction à ce recueil, celle-ci peine, par exemple, à justifier la présence de l’article relatif à "La place des revues dans l’expérience participative de Porto Alegre". Quant à une conclusion qui mette les différents éléments en perspective : inutile d’en attendre une ici. Le lecteur se débrouillera donc pour élaborer la sienne tout seul… On le regrette d’autant plus que les sujets sont hétéroclites : de l’itinéraire intellectuel de René Guénon aux libertariens du Québécois libre, en passant par Politique, Tel Quel, Contrepoint, etc. De même, il ne faudra pas espérer une manipulation de l’ouvrage facilitée par une quelconque table des matières ou un hypothétique index. Non. Deux articles seulement – sur huit – exhibent une bibliographie, ce qui les rend paradoxalement incongrues. Signalons enfin au lecteur que la phase de fabrication a amputé le livre de sa dernière page, et risquons-nous à formuler un doute : la réalisation de ce livre n’aurait-elle pas été un peu bâclée ?

Faudrait-il pour autant jeter le bébé (le fond) avec l’eau (la forme) du bain (livre) ? Pas sûr. Les contributions sont, comme dans tout ouvrage de ce type, inégales. L’article sur "L’itinéraire intellectuel de René Guénon à travers le prisme de sa participation aux revues (1910-1951)" très touffu, très dense, est un texte pour lequel les notes de bas de pages sont particulièrement utiles pour se repérer. Bien que rébarbatif, il permet de saisir le parcours de ce penseur singulier, passé de l’occultisme aux milieux catholiques antimodernes, cependant marginalisé au sein de cette tendance en raison, notamment, de son tropisme pour l’Orient. Suit un article sur la revue Politique (1927-1940). Démocrate chrétienne, celle-ci était animée par des gens qui tentaient "d’agir politiquement en chrétien et de vivre leur religion en démocrate". Si le sujet est intéressant, en raison d’une position à contre-courant des "non-conformistes"   , la contribution reste trop statique, la revue n’étant pas abordée dans ses évolutions. On doit sans doute le meilleur chapitre à Gwendal Châton. Intitulé "Désaccord parfait. Le Contrepoint libéral dans la configuration intellectuelle des années soixante-dix", il articule admirablement les destinées individuelles avec les aventures collectives et les idées politiques. Retenons deux points essentiels sur lesquels insiste l’auteur : d’une part l’irréductibilité (malgré un indéniable ancrage à droite) du libéralisme défendu par l’ancêtre de Commentaire au clivage droite-gauche, et d’autre part le caractère prioritairement politique de ce libéralisme. La présence d’une contribution sur les libertariens animant le webzine Le Québécois libre (créé en 1998) est particulièrement bien située en fin de volume. Car, en effet, au-delà de l’adéquation d’une doctrine politique à un support tel qu’Internet, elle pose, d’une certaine manière, la question de l’avenir des revues dont la plus influente d’entre elles n’oserait même pas rêver être lue, chaque mois, dans sa version papier, par cent mille personnes   .


* À lire également sur nonfiction.fr : l'entretien avec Jean-Claude Casanova, directeur de Commentaire.