Qu'est-ce qu'un peuple ? Qu'est-ce qu'une ethnie ? Qu'est-ce qu'une minorité ? Ne cherchez pas de réponse dans cet atlas.

Déjà auteur d’un Atlas des langues du monde aux éditions Autrement, Roland Breton, professeur émérite de géographie à l’université Paris-VIII livre un Atlas des minorités dans le monde. Panorama des identités ethniques et culturelles.

Après une partie générale sur la dynamique des minorités à l’échelle planétaire, il propose un panorama de ces minorités continent par continent et région par région – à l’exception notable de l’Europe, qui fait l’objet d’un atlas spécifique, aux mêmes éditions. Le chapitre II est ainsi consacré aux minorités en Asie ; il s’intéresse successivement à la Sibérie, à l’Extrême-Orient, à la péninsule indochinoise, aux archipels de l’Asie du Sud-Est, au sous-continent indien, à l’Inde, à la périphérie du sous-continent indien, aux pays turcs et à l’espace iranien. Les chapitres suivants traitent des minorités dans le monde arabe (III) dans l’Afrique subsaharienne (IV) du continent américain (V) et de l’Océanie (VI). Chacun est subdivisé en aires régionales.

Au-delà de la construction d’ensemble, de quoi parle-t-on ici ? Qu’est qu’un peuple ? Qu’est-ce qu’une ethnie ? Qu’est qu’une minorité ? Ne cherchez pas de réponses élaborées à ces questions dans l’Atlas des minorités dans le monde. Deux introductions sont proposées, terriblement vagues :

- La première est intitulée "les principaux peuples minoritaires" agrémentée d’une carte de localisation. Mais qui sont ces "principaux peuples minoritaires" ? Quels critères pour les distinguer des minorités mineures ou accessoires ? Guère d’explication : "n’ont été retenus ici que les principaux peuples minoritaires ; c'est-à-dire les plus grands, qui ne sont à la tête d’aucun État, qui n’ont pas de territoire propre – comme les Roms – ou qui sont purement minoritaires dans un ou plusieurs pays". "Purement minoritaire" ? Qu’est-ce que cela signifie ? L’expression même est-elle heureuse ?

- La seconde introduction, "La diversité fondamentale de l’humanité", ouvre très grand le champ d’investigation de l’ouvrage : il porte sur "tous les caractères personnalisant les groupes humains et déterminants des communautés, voire des sociétés distinctes, à l’intérieur d’un cadre politique commun. Soit par leur localisation dans un milieu particulier favorisant certains modes de vie, soit par leur origine géographique extérieure, ou encore par des traits physiques spécifiques, par des appartenances linguistiques ou religieuses, ou des coutumes sociales propres." La suite de l’ouvrage confirme cette intention ; on y trouve pêle-mêle les notions de "communauté humaine", de "peuple", de "nation", de "communauté ethnique", d’"identité ethnique" (et même "identités ethniques profondes", p. 10), de "communauté ethnolinguistique" et même de "minorités raciales" (titre de la double page 18-19). Aucune de ces notions ne fait l’objet d’une définition, la dernière citée est certes courante dans la littérature anglo-saxone, mais elle ne l’est pas dans la tradition française contemporaine – elle renvoie plutôt à la vieille géographie coloniale – et mérite sans doute explicitation. Dans cette absence, l’impression prévaut d’une acception primordialiste des groupes humains. Sous le titre "Les minorités raciales", il est ainsi écrit que les communautés humaines peuvent être distinguées "à partir de leur type physique témoignant d’une origine ancestrale autochtone ou immigrante", il est question de "populations d’origines continentales diverses" "pures ou mêlées" (c'est nous qui soulignons), le tout illustré par une carte des dites "minorités raciales" en légende de laquelle figurent sous le titre "l’origine des populations" les catégories suivantes : "Améridienne, Métis, Européenne ou moyen-orientale, Mulâtre, Africaine, Est-Asiatique, Sud-Asiatique et océanienne". On retrouve cette référence datée et problématique aux "grandes différences entre races" jusqu’à la conclusion.

Parce que ces notions sont complexes, polysémiques et polémiques il conviendrait de les préciser. Au regard du glossaire proposé en fin d’ouvrage, les 25 mots utilisés pour définir "ethnie" me donnent envie de relire l’excellent Au cœur de l’ethnie sous la direction de J.-L. Amselle et E. M'Bokolo ; les 15 à 30 mots consacrés à "communauté", "identité" ou "nation" me font regretter E. Gellner ou F. Tönnies.

Comme tous les ouvrages de cette utile collection, celui-ci est copieusement agrémenté de belles cartes, tableaux, graphiques et autres anamorphoses. Hélas, la même absence de rigueur apparaît au niveau de la cartographie : les cartes ne comportent souvent aucune indication de sources et, lorsqu’elles sont mentionnées, elles sont vagues ("Nations unies, département des statistiques") ou, stupeur, très datées : 1964 pour les données de la carte sur la "composition ethnique de la Sibérie". Comme la visite du musée du Quai Branly, la lecture de cet ouvrage doit être suivie par celle de La situation postcoloniale. Les postcolonial studies dans le débat français   .


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Crédit photo : Galerie de S n o R k e l / Flickr.com