L'auteur présente son projet de refondation de l'école dans lequel la critique mal fondée l'emporte malheureusement sur la réflexion empirique.

Après le rapport Attali où il était question de réformer le système éducatif français, après celui de la commission Pochard dont le sujet principal était le métier d'enseignant, voici la contribution de Jean-Paul Brighelli à ce nouvel élan réformateur, si populaire ces derniers temps, et qui aime à se faire les dents sur les professeurs et leurs élèves. Cette petite commission, qui ne compte qu'un seul membre, en vaut bien une plus grande, avec un livre qui compte près d'une dizaine de chapitres aux thèmes variés : "laïcité", "autorité", "liberté pédagogique", "redoubler"... Plusieurs propositions occupent la fin des chapitres, soit en définitive presque une centaine d'idées préconisées pour refonder l'école. Cela donne à l'ouvrage une forme particulière, à la frontière entre le recueil de nouvelles et le tract syndical.

L'ouvrage démarre sur les chapeaux de roues avec une comparaison, qui se défend d'en être une, entre l'école d'hier et l'école d'aujourd'hui. L'école d'antan qui a assuré le salut de Daniel Pennac et de Camus l'Algérois est rapprochée de l'infernale école d'aujourd'hui qui ne peut assurer la réussite des centaines de milliers d'enfants scolarisés dans les collèges des banlieues riches en couleurs mais ghettoisées. Brighelli reprend en introduction les idées maîtresses de ses trois derniers ouvrages : La fabrique du crétin, À bonne école et Une école sous influence. Contrairement à ses trois derniers opus, l'auteur nous promet de participer à la reconstruction de cette école qu'il aime et châtie bien. Rassurons les amateurs de la Cassandre des classes préparatoires, la plume de notre pamphlétaire est toujours aussi bien aiguisée. On retrouve le même rythme haletant, les petites phrases courtes, les points d'exclamation qui jaillissent à l'improviste en soulignant l'urgence et en générant l'angoisse. Brighelli s'est fait les ongles avant de sortir le buvard du pupitre et il égratigne avec le plaisir sado-masochiste qu'on lui connaît ses victimes habituelles : l'Inspection, Eminem, Lionel Jospin, Queen Latifah, Ségolène Royal, Bégaudeau, Puff Daddy et le mouvement black-blanc-beur. Les fans de la rhétorique brighellienne ne seront ni dépaysés ni déçus. Ils pourront retrouver dans son troisième livre la même charge affective. La même violence, la même amertume sortent de cette bouche pleine d'encre qui lance ses imprécations de magie noire contre les fossoyeurs du système éducatif français. Les élèves de banlieues sont transformés en barbares, en Jivaros, sûrement cousins des fameux Apaches qui sévissaient au XIXe siècle jusque dans la capitale. Les pédagogues ou les chercheurs en sciences de l'éducation sont des comploteurs vicieux ayant juré la perte des lettres comme des sciences et dont il faudrait purger l'école une fois leur culpabilité avouée.

Notre cher professeur distribue aussi les bons points. On cite Finkielkraut en exergue. On remercie Cécile Ladjali. On va même jusqu'à conseiller L'Esquive d'Abdellatif Kechiche avec tout de même une mise en garde sur les premières minutes du film qui pourraient dérouter les spectateurs habitués à la langue châtiée et à l'accent pointu qui siéent si bien au cinéma français. Celui qui récolte le plus grand nombre de points verts, de vingt sur vingt, de félicitations du jury, c'est sans conteste Xavier Darcos. C'est à cette occasion qu'on prend conscience de la maturité nouvelle de notre Jean-Paul Brighelli national. Notre maître d'école, devenu docteur diagnostiquant le cancer pédagogique, souhaite devenir "docteur ès école", voire conseiller du ministre en qualité d'expert en faillite éducative. Aucun chapitre du livre n'est épargné par les nombreuses marques d'affection de l'auteur envers le ministre en exercice. Lorsqu'il est question de l'héritage de mai 68, passage obligé de tous les essais publiés cette année, l'auteur apporte son soutien à M. Darcos qui défendrait la liberté pédagogique contre ce pauvre inspecteur, Pierre Frackowiack, l'un des épouvantails préférés de notre auteur qui, lui, aurait pour objectif de priver le prof de sa liberté d'enseigner. L'hagiographe du ministre, qui ne pourrait de toute façon revendiquer la béatification de son vivant, poursuit dans le chapitre consacré à l'autorité. Il revient sur la fameuse gifle de Maubeuge du 30 janvier dernier. Au passage, il met un coup de pied dans les tibias de Ségolène Royal et de Lionel Jospin, d'autres épouvantails brighelliens qui, avec leurs décrets, auraient encouragé l'élève à insulter son professeur, l'infirmière à soutenir l'élève et le père à porter plainte. Quant au futur bienheureux, je cite : "Xavier Darcos, sans préjuger des faits, a simplement remarqué que l'élève aussi devrait être sanctionné – ce qui fut fait. Trois jours d'exclusion." Ayons l'honnêteté de rappeler que le ministre n'y est pour rien dans la sanction prononcée par le chef d'établissement du collège en question. On retrouve un peu plus loin dans l'ouvrage cette même volonté de sauver le locataire de l'hôtel de Rochechouart dans l'hypothèse d'une future expulsion. Lorsque le ministre a reçu Gabriel Cohn-Bendit, co-fondateur du lycée auto-géré de Saint-Nazaire, cela aurait été contraint et forcé. Il y aurait été contraint pour ne pas subir les foudres d'une "techno-structure qui ne se gêne guère pour [lui] mettre des bâtons dans les roues". En cas d'échec de sa politique, Jean-Paul Brighelli fournit par avance des excuses au ministre en le présentant comme victime de son propre ministère. C'est une drôle de façon de rentrer en politique et c'est très maladroit si l'objectif est de s'attirer les bonnes grâces d'un ancien collègue aujourd'hui au gouvernement. On apprécie l'optimisme schizophrénique de l'auteur dont le principal dada est de pronostiquer l'échec du ministre tout en ayant parié sur lui avant le départ de la course.

Certains chapitres présentent des faiblesses qui font sourire, d'autres effraient lorsque l'auteur convoque le bon sens populaire pour faire la publicité de plusieurs contre-vérités. Le thème principal reste celui du retour à l'école des années 1950 ou du début des années 1960. Jean-Paul Brighelli essaye de nous convaincre que tout allait pour le mieux durant cette période : le fameux "c'était mieux avant". Chacun sait que l'école n'avait pas au milieu du siècle dernier l'ambition démocratique qu'elle a eu par la suite, ni les difficultés que nous lui connaissons aujourd'hui puisqu'il faut désormais permettre aux élèves de trouver une place dans une société post-industrielle où il n'est plus question de réserver les universités et les grandes écoles aux "happy few" qui furent les commensaux de Jean-Paul Brighelli durant sa scolarité et sa carrière. L'auteur fait également référence au classement PISA pour étayer sa réflexion en dénonçant la dégringolade du système éducatif français face à la réussite d'autres pays comme la Finlande. D'abord, il n'est pas dit qu'une étude similaire menée durant les années 1960 aurait permis de souligner l'excellence de la France. Ensuite, on peut souligner que ces pays qui réussissent n'adoptent pas le modèle de l'école de la IIIe République mais se nourrissent de cinquante années de recherches en sciences de l'éducation pour proposer un modèle de filière unique dans le secondaire dont l'objectif n'est pas la sélection d'une élite mais l'augmentation de la moyenne des résultats de tous les élèves d'un pays en privilégiant des scénarios d'apprentissages adaptés à chaque élève ou du moins, en ayant le souci de traiter l'hétérogénéité au sein des classes. On est loin ici des mesures préconisées par Jean-Paul Brighelli dans son projet de refondation de l'école.

D'autres vices de forme apparaissent dans la procédure rhétorique qui permet à l'auteur de rendre son jugement. Son chapitre sur la maternelle s'appuie sur une maîtrise toute relative de ce premier chaînon du système éducatif français. La construction poétique de l'image de l'institutrice-maman est un véritable morceau de bravoure étant donné le peu d'arguments et de connaissances pédagogiques à la disposition de l'auteur. C'est la principale faiblesse de l'ouvrage dont le propos situe le problème de l'échec scolaire à la maternelle et à l'école primaire sans mettre à la disposition du lecteur les outils permettant d'analyser correctement ces deux institutions. Ce point faible est rendu flagrant par une autre faille dans le système de valeurs brighelliennes. Dans l'esprit de l'auteur il semblerait que l'élève ne fasse preuve d'humanité qu'à partir du moment où il peut, par écrit, exprimer une réflexion argumentée. Or, c'est justement l'une des préoccupations majeures depuis cinquante ans des sciences de l'éducation et des sciences cognitives de présenter les phénomènes qui permettent d'aboutir à l'obtention de telles compétences. Jean-Paul Brighelli ne connaît pas ces sciences qu'il qualifie d'hérétiques. Il méprise ce qu'il appelle le pédagogisme mais ne donne pas les clés pour comprendre le travail effectué à l'école maternelle ou primaire aux parents, aux citoyens et contribuables français, soupçonneux, qui se demandent encore pourquoi ils doivent appeler "professeurs des écoles" les nounous de leurs enfants. Jean-Paul Brighelli, en sacrifiant le pédagogue sur l'autel de la doxa, remplit l'office du démagogue.

La lecture de ce livre, pour un public averti, permet cependant de se faire une idée plus précise du débat franco-français sur l'avenir de l'école et de prendre du recul vis-à-vis de cette nouvelle querelle des anciens et des modernes qui agite la scène éditoriale hexagonale et invoque les vieux fantômes nationaux que sont les libertaires de 68 ou les hussards noirs de la IIIe République. Certains chapitres rendent compte d'une bonne lecture du rapport remis par l'équipe de Marcel Pochard, rendue célèbre par la défection de Michel Rocard plus que par son livre vert. L'auteur vulgarise certaines idées qui sont sorties de ce travail du chapeau comme la volonté de réduire les redoublements, celle d'envoyer en stages scolaires intensifs les mauvais élèves ou encore le projet de revaloriser le métier des enseignants en améliorant leur gestion et leur rémunération. Le chapitre sur les méthodes de lecture est bien ficelé : il présente les forces en présence et les différents protagonistes de cette guerre pédagogique. Le chapitre qui aborde l'histoire pose des questions intéressantes sur l'évolution de la discipline et le travail de mémoire qui semble lui incomber à elle toute seule. Enfin, il faut reconnaître que Jean-Paul Brighelli maîtrise son sujet lorsqu'il est question de l'importance des études littéraires dans le curriculum de l'élève qu'il expose dans deux beaux chapitres : "mourir d'extase" et "défense et illustration des études littéraires".

Ne boudons pas notre plaisir. La lecture de cet ouvrage est amusante et on ne se lasse pas de voir Bourdieu déguisé en Monsieur Carnaval avant l'autodafé, ou de lire des sottises du genre "la mémoire est un muscle". Rendons hommage à ce beau style pamphlétaire, bien servi par cette plume si particulière qui manie avec facilité le ridicule et le grotesque sans craindre de se salir les mains ou de tacher la blouse du voisin.


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Crédit photo : Ginieland / Flickr.com