Nos proverbes, censés véhiculer des bouts de sagesse ancestrale, sont souvent incompris, considérés obsolètes, de moins en moins usités quand ils ne sont pas simplement oubliés. Certains, pourtant, nous paraissent bel et bien faire sens aujourd'hui. Aussi la chronique L'âge de nos adages se donne pour objectif d'en dépoussiérer quelques-uns pour en raviver l'actualité. Cette semaine: "attendre quelqu'un comme le Messie"!

 

 

A travers la comparaison religieuse mise en avant, cet adage, attesté dès le XVIIe siècle, fait allusion à une attente optimiste et impatiente à l'égard d'une personne. Le mot « messie » provient d'un verbe hébreu mashah signifiant « frotter, oindre » et le mot mâshîah signifie donc « oint ». Le terme « oint », même s'il concernait, à l'origine, non des hommes mais des objets oints indicatifs du sacré, s’est appliqué rapidement, à partir du règne de Salomon (Xe av. J.C.), avant tout au roi. Celui-ci devient ainsi le personnage intronisé par Dieu en étant oint d’huile, comprenons celui choisi par Dieu et sur lequel repose son Esprit. Dans la mesure où la figure royale de David est le premier jalon du messianisme biblique en devenant l’« oint de YHWH », on perçoit ici la dimension historique que revêt dans les textes vétérotestamentaires « l’oint de YHWH »   .

Reste que quand la royauté disparaîtra, l’espérance attachée à la personne du messie se reportera sur l’attente d’un messie à venir. Aux hommes consacrés par Dieu (rois et grands prêtres) vont ainsi succéder les prophètes, lesquels affirment un lien vital entre la venue du messie attendu et l’histoire d’Israël (et des nations). Puis, à partir du IIe siècle avant J.C., l’attente de la venue du messie « dans l’aboutissement des jours » (be-aharit ha-iamin) marquera l’ultime étape du développement de l’idée messianique dans l’Ancien Testament.

De la période exilique à la période post-exilique, un glissement s'opère entre la reconnaissance d’une figure royale messianique et l’émergence d’une figure plus ciblée médiatrice du salut. On pense ici bien sûr au Serviteur souffrant de Yahvé tel que présenté dans le Deutéro-Isaïe ou au Fils de l’homme dans le livre de Daniel. Que l’émergence de ces figures après l’exil, rendue possible par l’attente exacerbée de la venue d’un messie, puisse ouvrir la voie à l’apparition d’un sauveur plus nettement identifiable, c’est ce dont le Nouveau Testament, à lui seul, semble témoigner.

Le christianisme et les textes néotestamentaires vont ainsi proposer un dépassement du messianisme populaire et l’avènement d’une figure messianique à la fois médiatrice du salut et eschatologique. Ainsi, le messianisme populaire du temps de Jésus, marqué par des attentes politiques précises, lié à l’idée d’un relèvement temporel du peuple et à l’espoir de son indépendance comme Etat (il s’agit ici bien sûr de se libérer du pouvoir des Romains), ne saurait répondre à l’idée de messie que se fait Jésus. En effet, il est intéressant d’observer, dans les évangiles, la manière dont Jésus se garde bien d’assumer le titre de messie   , refusant d’endosser toutes les valeurs anciennes de cette désignation formelle. Et ce n’est qu’à la lumière de Pâques que le titre de messie, retiré de toutes les ambiguïtés prépascales, se verra attribué à Jésus et joint en nom propre à son nom même, Jésus devenant non pas un messie, mais « le » Messie - le terme prend alors dans la logique de la pensée chrétienne une majuscule.

C'est précisément dans le prolongement du sens juif et chrétien du mot « messie » que vient s'inscrire la locution : « attendre quelqu'un comme le Messie », susceptible de faire l’objet d’un emploi profane, mais qui concentre de manière ramassée l’idée d’attente. Bien que libérée de l’acception eschatologique, cette expression reprend, dans une sorte d’arrière-plan religieux, l’idée chrétienne de sauveur investi d’une mission exceptionnelle.

De nos jours, l'expression peut être ainsi utilisée dans le domaine des sports collectifs, notamment en football : il sera dit que l'entrée d'un joueur est attendue comme le Messie (surtout s'il est Argentin !) ; concernant le champ politique, il semble que ladite locution, jadis employée, ne le soit guère aujourd'hui, sans doute parce qu'aux yeux de nos contemporains, le renouveau politique est moins conditionné par l'élection d'un leader charismatique que par la reconfiguration des pouvoirs. On peut voir aussi dans cet effacement de la locution un signe des temps : la volonté d'observer une certaine neutralité religieuse (d'où le recours plus fréquent, de nos jours, même si c'est dans un sens négatif, à l'expression « homme providentiel »). Enfin, comme par une ironie de l'histoire, cette locution, qui puise sa source dans un élan lié à une attente collective, paraît de nos jours s'être cantonnée à la sphère privée. L'expression sera ainsi employée dans le langage courant, avec une certaine ironie, pour souligner le caractère exagéré de l'espérance liée à l'attente d'une personne.