Tous les jeudis, Nonfiction vous propose un Actuel Moyen Âge. Cette semaine, mettons-nous la tête dans les étoiles... pour voir que l'intérêt pour l'espace ne date pas d’hier !

Alors que tous les regards étaient récemment tournés vers la « super-lune », la présence de Thomas Pesquet dans la Station Spatiale Internationale attire les feux des projecteurs. Les entreprises de hautes technologies ont quant à elles les yeux rivés sur la privatisation de l’exploration spatiale qui semble s’annoncer, pour le meilleur et pour le pire. En somme, scientifiques et grand public regardent aujourd’hui le firmament les étoiles plein les yeux... Alors, on pourrait être tenté de penser qu’il s’agit d’un trait particulier de nos sociétés situées sur la ligne de départ de la conquête spatiale, mais en réalité nous partageons aussi cette fascination des étoiles avec les hommes et les femmes du Moyen Âge.

Des débuts difficiles

Les choses avaient pourtant mal commencé. À la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Âge, les conciles et les Pères de l’Église ne cessent de condamner la pratique romaine de l’astrologie. À la fin du IVe siècle, le concile de Laodicée va même jusqu’à défendre aux clercs de pratiquer l’astrologie. Ce concile est suivi par de nombreux autres, comme celui de Tolède qui en 400 lance l’anathème sur toute personne donnant foi à l’astrologie. Ces dispositions sont ensuite reprises par la loi Salique et divers édits de Charlemagne et de ses héritiers.

Tous ces textes ont pour point commun de mettre sur un même plan devins, jeteurs de sorts et astrologues, dont les propos peuvent conduire à remettre en cause la volonté divine et le libre arbitre de l’homme. Pour les théologiens, les astrologues sont au mieux des imposteurs, au pire des suppôts trompeurs du diable. Les secrets de l’avenir n’appartiennent qu’à Dieu et l’homme est pleinement maître de ses actes, dont il devra rendre compte le jour du Jugement Dernier.

L’astronomie, base de la culture médiévale

Cependant, ce n’est pas l’observation et la compréhension des corps célestes – c’est-à-dire l’astronomie – qui est condamnée, mais l’astrologie, c’est-à-dire le fait de croire que la position des astres a une influence sur les évènements et les corps terrestres.

L’astronomie continue au contraire de constituer l’un des sept arts libéraux, à la base de l’enseignement tout au long du Moyen Âge et le « tronc » commun de l’enseignement universitaire à partir du XIIIe siècle. Pourtant, le haut Moyen Âge hérite bien peu de choses de l’astronomie romaine. Les hommes du Moyen Âge savent pertinemment que la terre est ronde, mais ils pensent que les astres tournent autour d’elle (c’est le géocentrisme, qui ne sera remis en cause qu’à la Renaissance). Surtout, ils s’efforcent de calculer les cycles lunaires, ce qui est essentiel pour fixer la date de certaines fêtes mobiles du comput comme Pâques. Comme dans l’Antiquité, on explique le mouvement des astres par des figures géométriques, ce qui explique que la géométrie soit considérée comme une introduction à l’astronomie. Cependant, on tente surtout de comprendre la course des astres et les règles qui régissent l’univers pour montrer que la création voulue par Dieu est harmonieuse et bien réglée, ce qui démontre sa puissance, sa sagesse et sa bienfaisance.

Si l’Occident ne conserve qu’une astronomie sommaire, les savoirs antiques sont perpétués et développés dans l’espace byzantin et arabe. La cour abbasside de Bagdad, où le souverain finance aux VIIIe et IXe siècles la construction d’observatoires, est l’exemple-type de la protection et de l’accueil que les princes musulmans offrirent aux astronomes.

Les savoirs astronomiques de l’Occident ne prennent leur envol qu’à partir du XIIe siècle, après qu’ait commencé un mouvement de traduction de traités arabes. Les instruments d’observation, comme l’astrolabe se multiplient et ne cessent d’être améliorés, entraînant une amélioration des connaissances astronomiques.

Pourtant condamnée, l’astrologie est sur toutes les lèvres

Voilà pour le savoir astronomique, c’est-à-dire proprement scientifique, et ses progrès. Pourtant, la vague de condamnation de l’astrologie était loin d’avoir suffi à faire disparaître sa pratique. Dans l’esprit des hommes du Moyen Âge, astronomie et astrologie sont deux faces d’une même pièce et si on apprend à prévoir la position des astres, c’est surtout pour les besoins d’une prédiction astrologique ou de l’exercice de la médecine. Car nombre de médecins pensent que la position des astres affecte la santé des patients et que chacun est plus ou moins exposé à l’influence de différents corps célestes.

Les croyances astronomiques imprègnent de nombreux aspects de la culture et de la société médiévale. Nombre de ceux qui en ont les moyens – car les astrologues savent rendre leurs prix astronomiques – cherchent à bénéficier des « lumières » de l’astrologie et de multiples souverains s’entourent d’astrologues attitrés qui veillent à leur santé, prétendent leur révéler leur avenir et les conseillent sur des questions aussi importantes que la guerre. Charles V fut l’un des rois de France les plus attentifs aux avis de ses astrologues et s’initia même à la discipline afin de la pratiquer.

L’attrait considérable que l’Occident médiéval nourrit pour l’astrologie touche au XIIIe siècle le monde universitaire, ce qui provoque plusieurs réactions de l’Église. En 1277, l’évêque de Paris condamne par exemple le déterminisme astral. Mais aucune de ces gesticulations  ne permet de faire reculer la pratique de l’astrologie, qui partout progresse.

Car l’astrologie médiévale ne se réduit pas à un ensemble de techniques d’observation et de prédictions, elle cherche à constituer un système global d’interprétation du monde et de la vie, à répondre à des questions métaphysiques aussi complexes que « pourquoi ? », « où vais-je ? ». Aujourd’hui, les physiciens observent le firmament en tentant de comprendre l’origine de toute chose, les scientifiques y voient le futur de l’humanité. L’homme du Moyen Âge qui, à l’aide d’un astrolabe et d’une table de calcul tentait de connaître son futur n’est pas si éloigné de l’homme contemporain, qui aime entrevoir le devenir de son monde dans des blockbusters de science-fiction ou dans des livres scientifiques : tous deux lèvent les yeux vers les étoiles pour tenter d’imaginer leur avenir.

 

Pour aller plus loin :

- Bernard Ribémont (dir.), Observer, lire, écrire le ciel au Moyen Âge, Lille, Sapience, 1991.

- Coll., Le Soleil, la lune et les étoiles au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Sénéfiance, 1983.

 

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