Pratique judiciaire en plein essor, la comparution immédiate conduit à s’interroger sur la délicate conciliation entre justice et urgence.

Angèle Christin est chercheuse au département de sciences sociales de l’École normale supérieure (Paris). Elle s’est intéressée aux audiences de comparutions immédiates tenues lors des émeutes urbaines de l’automne 2005. Décrites par la presse comme "une justice au rabais" expéditive et violente, celles-ci ont été considérées comme laxistes par de nombreux responsables politiques.

D’où la volonté de l’auteur de comprendre le processus institutionnel menant à ces procès, en se posant la question suivante : quelle est la marge de manœuvre des professionnels, policiers, magistrats et avocats ?

Son travail présente une fragilité, reconnue d’emblée : il repose sur l’étude d’un petit nombre de cas et sur un nombre limité d’entretiens, menés en 2005 et 2006 dans trois tribunaux de grande instance de la région parisienne, Paris, Bobigny et Créteil. Mais la finesse d’observation d’Angèle Christin, la précision avec laquelle elle rapporte les scènes et la prudence de ses interprétations lui permettent de donner une image juste du processus qu’elle décrit.

Après un exposé clair et didactique sur l’organisation judiciaire, les comparutions immédiates sont situées historiquement. Quelques chiffres évoquent la part croissante qu’elles prennent dans le fonctionnement des tribunaux et les incarcérations qu’elles entraînent.

Suit une description de la "chaîne pénale", avec la pression des urgences, les mécanismes d’automatisation mis en place par les magistrats pour y faire face et la culture propre à chacun des services intervenant : permanences du parquet, des avocats, des juges correctionnels.

Angèle Christin met en évidence l’importance que revêt pour les professionnels la procédure pénale, cet ensemble de règles souvent passé sous silence et dont l’application demeure discrète. Dans leur course contre le temps, parquetiers, avocats et juges ont deux obsessions : l’enquête a-t-elle été conduite dans la légalité et les infractions sont-elles constituées ?

Mais le constat est fait que, ces règles fondamentales mises à part, la comparution immédiate ne permet ni individualisation, ni pédagogie de la sanction.

Elle apparaît finalement comme un traitement judiciaire sous pression, dans lequel les professionnels n’évacuent les affaires qu’en devenant indifférents aux personnes jugées, se montrant à la fois frustrés par cette déshumanisation, et curieusement satisfaits, malgré cela, de parvenir à jouer leur rôle.

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