Un récit de l'histoire du Québec bien mené, mais trop partiel.

Il ne faut pas s’y tromper : malgré son titre, sa couverture, et les photos formant son cahier central, Le Roman du Québec n’est pas un ouvrage commandé par le ministère du Tourisme du Québec, mais une tentative réelle, bien qu’inaboutie, de présenter son histoire et d’analyser ses évolutions.  

Journaliste reconnu, Daniel Vernet est directeur de la rédaction du Monde pour les relations internationales. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment sur la Russie   , l’Allemagne   , et les États-Unis   . Le Roman du Québec est son deuxième opus dans la collection dirigée par Vladimir Fédorovski, "Le roman des lieux et destins magiques", après Le Roman de Berlin   . En accord avec l’objectif de cette collection, Daniel Vernet entreprend ici de raconter, d’une manière délibérément vulgarisatrice, l’histoire du Québec, des expéditions de Jacques Cartier à nos jours. Une histoire mal connue en France, et trop souvent réduite à des traits grossiers : la colonisation et l’abandon par la métropole, la ruralité, l’influence de l’Église, et les revendications nationales. À l’inverse, l’auteur essaie de rendre justice à la richesse et la complexité des évolutions du Québec. La force de l’ouvrage est de combiner efficacement le récit chronologique et les analyses thématiques et problématisées. L’ambition de l’auteur se heurte néanmoins aux limites du genre dans lequel il s’inscrit : ni roman, ni livre d’histoire, ni essai, Le Roman du Québec manque de précision (on regrettera l’absence d’une bibliographie digne de ce nom), voire parfois de profondeur.


Le Québec, des expéditions de Jacques Cartier à nos jours

Daniel Vernet suggère d’abord, en décrivant les différentes phases de la Nouvelle-France, les bases sur lesquelles se construit l’identité d’un territoire et d’une population. Au-delà des déterminants géographiques et climatiques, la formation du Québec doit beaucoup aux intérêts économiques. Ainsi, après la découverte de la vallée du Saint-Laurent et la fondation des premiers comptoirs, le territoire est laissé à l’entreprise privée, qui détermine les relations entre les premiers (et rares) colons et les autochtones. Puis, avec l’intérêt renouvelé de la métropole, le commerce transatlantique, en particulier des fourrures, prend de l’importance. Les conflits entre Français et Britanniques participent également de l’identité du territoire québécois. L’auteur explique qu’"en Amérique, deux conceptions de la colonisation se sont affrontées. Les Anglais progressaient lentement. Ils assimilaient chaque conquête. (…) Les Français privilégiaient les prises de possession rapides, extensives et superficielles. L’intérêt sporadique de la métropole transforme la colonisation en château de sable. La première conception a triomphé"   . La France cède en effet le Canada aux Anglais par le Traité de Paris en 1763. 

L’histoire du Québec est ensuite dominée par les relations complexes avec le Canada, administré par les anglophones, obéissant à une succession de régimes constitutionnels, du régime militaire instauré en 1763 à la création de la Confédération canadienne en 1867. Malgré une reconnaissance variable de leurs droits, l’auteur met en évidence un attachement des Canadiens français à la monarchie constitutionnelle canadienne. Mais il s’agit d’une "loyauté ambiguë, qui est plus dirigée vers la Grande-Bretagne, qui a installé un système politique dont bénéficient les Canadiens français, que vers les représentants sur place de la Couronne plus sensibles aux revendications des anglophones"   . C’est dans ce contexte qu’émergent les premiers mouvements nationalistes, menés par Louis-Joseph Papineau et les frères Nelson dans les années 1830 et 1840.

Le XXème siècle est celui de "l’éveil de la nation"   , dans les actes, avec notamment le refus de la conscription lors des deux guerres mondiales, comme dans les discours, avec la théorisation de l’identité québécoise, en particulier par l’abbé Groulx. Parallèlement à son affirmation identitaire, le Québec change : il s’urbanise, s’industrialise, s’appuie sur un État de plus en plus interventionniste, et se dégage de la tutelle de l’Eglise. Daniel Vernet fait droit aux travaux des historiens montrant que ces évolutions importantes sont progressives, et qu’elles doivent non seulement à la "Révolution tranquille" menée par les libéraux de Jean Lesage, mais aussi à l’héritage, controversé, de Maurice Duplessis, qui dirige le Québec de la "grande noirceur", de 1936 à 1959. L’Exposition universelle de Montréal en 1967 consacre le dynamisme du Québec.

Pleinement intégré économiquement au Canada, et plus largement à l’Amérique du Nord, le Québec est néanmoins agité, depuis les années 1970, par le problème de la souveraineté : attentats du Front de Libération du Québec, réaffirmation de la prééminence de la langue française avec la loi 101, échec des référendums de 1980 et 1995…Un problème qui, selon l’auteur, n’est toujours pas réglé, en raison de "l’ambivalence permanente " des Québécois   . Même s’il estime que "le statu quo risque de se prolonger", il prédit "un prochain match", qui pourrait être "le bon"   .


Un portrait en partie contestable

En centrant son propos sur l’histoire politique et le nationalisme, Daniel Vernet dresse cependant un portrait du Québec qui reste partiel, et en partie contestable. Il néglige en effet une grande partie de son histoire socio-économique, dont l’intérêt a pourtant été montré par de récents travaux   . Ainsi, l’analyse de la ruralité  (l’auteur se borne à décréter que le Québec a toujours été moins rural qu’on ne le dit), de la place des femmes dans la société québécoise, voire même, à un moindre degré, de l’influence de l’Église catholique, reste superficielle.   

À l’inverse, l’intérêt pour l’évolution politique du Québec conduit l’auteur à exagérer l’importance de la problématique de la souveraineté dans la société québécoise contemporaine. Daniel Vernet n’hésite pas à décrire les Québécois comme "déchirés en eux-mêmes, incapables de se décider pour ou contre l’indépendance, tiraillés entre la volonté d’être maîtres chez eux et la peur du saut dans l’inconnu, soucieux de maintenir intacts deux rêves concomitants et incompatibles, celui nostalgique, d’un Canada qu’ils ont formé et qui leur ferait leur juste place, et celui, plus visionnaire, d’un Québec souverain"   . Cette ambivalence, ces hésitations sont peut-être celles des élites politiques et intellectuelles. Mais elles concernent moins la société québécoise dans son ensemble, qui est du reste assez hétérogène. En particulier, les plus jeunes semblent davantage indifférents à ces questions, dès lors que leurs droits et leurs spécificités sont reconnus et protégés au sein du Canada.  


L’intérêt presque exclusif de Daniel Vernet pour le nationalisme québécois ne traduirait-il pas, finalement, une approche très franco-française du Québec ? On s’étonne d’ailleurs que l’auteur ait besoin de préciser que "la revendication de la spécificité québécoise ne repose pas uniquement et avant tout sur l’héritage français"   . Le fameux "Vive le Québec libre !" du Général de Gaulle, abondamment décrit, résonne encore dans les mémoires, au moins françaises. Il n’éclaire cependant pas la réalité québécoise. Car, aussi intéressantes soient-elles, la compréhension du Québec contemporain ne saurait se réduire aux seules dimensions politiques et nationalistes. Daniel Vernet nous semble l’avoir quelque peu perdu de vue.   


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Crédit photo: Flickr.com/ Daniel Paquet